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Privatisation de l’électricité : Fichier centrales
Vous avez toujours cru que la production hydroélectrique était nationalisée pour l’éternité au Québec? Le ministre des Ressources naturelles, Jacques Brassard, serait en train de faire la démonstration du contraire…
Baptiste Ricard-Châtelain
L’Oncle Sam est friand de notre électricité. Mais, en échange de l’accessibilité à son lucratif marché, il exigerait une déréglementation certaine de notre industrie nationale, favorisant ainsi l’entrée en scène du privé dans les plates-bandes de la vache à lait du Québec.
Le nouveau Régime d’octroi et d’exploitation des forces hydrauliques du domaine de l’État pour la construction de centrales hydroélectriques de 50 mégawatts et moins, rendu public il y a peu par le gouvernement Landry, en serait la preuve. On y propose 36 sites à l’entreprise privée, sur des terres publiques, pour l’exploitation de petits barrages. Le tout adjoint à l’assurance que la production sera acquise par Hydro-Québec durant un quart de siècle.
"L’organisation du marché électrique québécois doit maintenant répondre à certaines obligations qui sont faites à Hydro-Québec en contrepartie de son accréditation comme grossiste pour vendre sur le marché américain. […] C’est une des exigences de réciprocité", soutient le porte-parole du comité rivières de la coalition Eau Secours! et analyste du secteur de l’énergie, Jean-François Blain.
Est-ce qu’on doit déceler dans l’attitude de l’État un pas vers une privatisation grandissante? "Probablement, oui, que le Québec, à assez brève échéance, va être confronté à une obligation d’ouvrir son marché s’il veut vraiment participer à la vente sur le marché déréglementé outre-frontière", poursuit-il, s’empressant de condamner le pouvoir: "La moindre des choses, en termes de courage et de transparence politique, serait qu’une question de cette importance soit soumise au public."
En plus, certifie M. Blain, le ministre Brassard pourra difficilement justifier économiquement les projets mis sur la table puisque les prix de revient seront nettement supérieurs à ceux de la société d’État. "On subventionne une industrie privée de la production hydraulique qui n’est pas rentable en elle-même ni dans le marché québécois, ni dans le marché extérieur."
"Pourquoi Hydro-Québec serait forcée par son actionnaire d’acquérir, par des contrats garantis sur 25 ans, une énergie à un coût plus élevé que sa propre production?" se demande-t-il dès lors, soulignant que la facture pourrait être refilée aux consommateurs nationaux.
Pacte social
"Ce que certains appellent le pacte social hydroélectrique, c’est supposé être de fournir l’électricité au plus bas coût possible à la population", s’empresse d’évoquer le professeur en sciences comptables à l’UQAM et coauteur, avec M. Blain, du bouquin Les Mauvais Coûts d’Hydro-Québec, Gaétan Breton.
"Un des problèmes [dans ce dossier], c’est le mantra qu’on est en train d’entrer dans la tête des gens, que tout ce qui est public est dégueu et qu’il faut privatiser à tout prix, et je dis bien à tout prix. […] Pourtant, si vous prenez les théories économiques et que vous les fouillez, il n’y a rien qui montre que les entreprises privées sont plus performantes que les entreprises publiques quand la comparaison est faite correctement. Et, dans le secteur de l’électricité, même les études mal faites montrent que les entreprises publiques, en général, sont plus performantes que les privées."
"Hydro, ça fait longtemps qu’elle a toujours des rapaces qui tournent autour. C’est un trop gros morceau pour être privatisé d’un seul coup. Alors le but, ça a commencé depuis une dizaine d’années, c’est de le faire petit à petit", pense le chercheur.
Au lendemain de l’ouverture des marchés de gros, étaye-t-il, Hydro-Québec a été découpée en trois grandes parts indépendantes: la production, le transport et la distribution. "Maintenant, on pourrait en créer d’autres. […] On peut morceler, et c’est le but. Mais quand ça va être assez morcelé, ça va être vendable."
Puis, l’économiste, à tendance sociale évidente, s’évertue à démolir certains éléments de l’argumentaire gouvernemental. D’abord, que les petites centrales privatisées favoriseront la création d’emplois en région et le développement économique. "Ça va aider qui? Il n’y en aura pas d’emplois, sauf pendant un temps limité. Quand les grosses compagnies spécialisées dans la remise à neuf ou la fabrication de barrages vont arriver, elles vont débarquer avec leur staff. […] De toute façon, un petit barrage, ce n’est rien. C’est seulement une petite structure sur une rivière que tu répares. Et, après ça, ça marche tout seul. Il n’y a pas d’employés."
Ensuite, qu’Hydro-Québec juge ces projets d’envergure trop négligeables pour vouloir s’y intéresser. "Mais, en Amérique centrale, ils ont fait des barrages plus petits que ce qu’ils déclarent être leur limite de petitesse ici. S’ils ne sont pas capables de le faire, qu’ils demandent à leur section internationale de le faire. Eux autres ont l’air d’être capables."
"Au Québec, on pensait qu’on avait pris une décision dans les années 60, c’est-à-dire de nationaliser l’électricité pour pouvoir construire un pays, enchaîne le président du Regroupement national des conseils régionaux de l’environnement du Québec (RNCREQ), Marc Turgeon, entrant dans la valse de la contestation. On se rend compte maintenant qu’on veut laisser une marge de manoeuvre pour avoir un peu de privé là-dedans. Mais le privé n’apportera rien de significatif. Sauf qu’en même temps, on entre un doigt dans l’engrenage."
Donc, les 425 mégawatts offerts aux producteurs indépendants n’auraient pas d’impact réel sur l’offre d’Hydro-Québec, au dire de M. Turgeon. Mais ne serait-ce pas un bon moyen d’aider les communautés rurales, de les sortir du marasme? "Ils vont peut-être les sauver le temps d’une élection!"
Selon lui, plutôt que de penser au prochain scrutin, le gouvernement devrait examiner le problème sous un autre angle. "On est toujours en surplus énergétique au Québec. Alors, il y a peut-être d’autres filières qu’on aurait pu regarder dont celle, qui à mon avis n’est jamais regardée, qui n’est pas plus regardée par les Américains, de l’efficacité énergétique."
La proposition: mettre en branle un programme de corvées à l’échelle de la province. Subventionner la réfection des logements mal isolés, des toitures qui coulent, etc. "Vous allez créer de l’emploi en région et vous allez améliorer la qualité de vie de gens qui, souvent, n’ont pas toujours de très gros revenus. Vous allez donc améliorer le niveau d’énergie que les Québécois prennent, vous allez avoir encore plus de surplus."
Mais, pour l’instant, le rêve de l’écologiste paraît irréalisable tandis que le projet de petites centrales semble avoir atteint sa vitesse de croisière. Restent ainsi les préoccupations plus terre à terre. Le choix des promoteurs à qui l’on donnera une pointe de la tarte hydroélectrique est du nombre. "Ce qui nous inquiète, c’est comment les décisions vont se prendre en région. Vous allez avoir des gens qui vont être à la fois juges et parties. […] La population, on lui fait miroiter de l’emploi, la MRC, des redevances." En conséquence, M. Turgeon craint que les critiques ne soient noyées par l’espoir.
D’ailleurs, le directeur général du centre de recherche en énergie Hélios, Philip Raphals, apporte de l’eau au moulin de M. Turgeon. Il avait déposé un rapport à la Régie de l’énergie sur le sujet. Il convient toutefois de préciser que c’était pour le compte du RNCREQ, et que l’expert ne fait ici qu’en remémorer des extraits sans prendre position.
Dans ce mémoire, M. Raphals suggérait que les promoteurs ne soient pas choisis selon le seul test de la profitabilité. "Parce que n’importe quel site hydraulique peut être développé d’une façon plus ou moins respectueuse de l’environnement. Et le projet le plus rentable va nécessairement, ou presque, être celui qui est le moins respectueux." La proposition n’a pas été retenue.
Autre recommandation: que des intervenants du milieu siègent au sein du comité de sélection des "candidatures". "Mais la politique du gouvernement, c’est que c’est juste Hydro-Québec et le ministère qui décident ensemble."
En terminant et toujours dans une optique de vulgarisation, M. Raphals note que la loi 116 pourrait avoir bien plus d’impact sur la pénétration du privé dans le secteur que le projet dont il est ici question. Cette législation, adoptée en juin 2000, prévoit qu’au moment où la consommation d’électricité des Québécois dépassera une limite X, toute personne pourra soumissionner afin de produire l’excédent nécessaire. Selon la règle, dès que le seuil sera franchi, "Hydro-Québec distribution, qui est maintenant distincte de façon légale et réglementaire d’Hydro-Québec production, fera un appel d’offres auquel Hydro-Québec production est libre mais pas obligée de participer et auquel toute autre compagnie peut également participer".
Malheureusement, malgré de nombreuses tentatives, il n’a pas été possible de discuter avec le ministre Brassard. Son horaire est surchargé, a fait valoir son attachée de presse, Louise Bouchard-Accolas.