Société

Courriers : Gauche story

Alors que des deux côtés de l’Assemblée nationale, il semble de bon ton ces temps-ci de pencher vers la gauche, il nous semblait pertinent de publier cette semaine deux longs courriers particulièrement durs à l’endroit du présent gouvernement, l’un signé par un simple militant du jeune Rassemblement pour l’Alternative progressiste, et l’autre par un collectif d’intervenants préoccupés par la qualité du filet social québécois.

Ne vous en déplaise, M. Landry, le Parti québécois n’est ni progressiste ni souverainiste.

Force est de constater que, dans la foulée du dernier congrès du Rassemblement pour l’Alternative progressiste et des rumeurs circulant autour de la création d’un parti de gauche féministe majoritairement dirigé par des femmes, le Parti québécois et ses dirigeants semblent bien nerveux. Mais de là à faire avaler autant de couleuvres à la population en si peu de temps, il y a là, il me semble, un pas que le premier ministre se devrait d’éviter de franchir.

Le premier ministre Landry, avec sa suffisance qui le caractérise si bien, fait la leçon aux véritables souverainistes et progressistes québécois. "La gauche, c’est nous", clame-t-il. "Le RAP doit réfléchir aux conséquences de ses actes pour ne pas diviser le vote souverainiste", conseille-t-il.

Le PLQ à gauche, le PQ à gauche! À ce rythme-là, il y a un sérieux risque de carambolage de ce côté de l’échiquier politique pour la prochaine campagne électorale. Est-il possible que la surenchère électorale se déroule plutôt à gauche cette fois-ci? […] Poser la question, c’est y répondre. Le PLQ retombera dans ses bonnes vieilles habitudes où le tout est à l’économie. Et le PQ, constatant qu’il y aura des forces progressistes et souverainistes prêtes à lui livrer bataille, tentera par tous les stratagèmes possibles de berner la population.

Le premier ministre actuel, pour justifier que son parti est bien à gauche, nous a dressé récemment le bilan de son gouvernement: l’équité salariale et la politique de garderies à cinq dollars [, à l’origine de ce fait:] les médias ont pu être témoins de parents allant reconduire leurs jeunes enfants en automobile de luxe alors que des familles monoparentales démunies attendaient encore leurs places. Tout un bilan progressiste, M. Landry!

J’aimerais bien rappeler au premier ministre et chef du Parti québécois son bilan qui se situe plutôt en droite ligne avec les politiques d’un gouvernement néo-libéral.

Politiques sociales
En matière de santé, les promesses creuses de 1998 n’ont jamais fait place aux engagements fermes pour la préservation d’un système de santé et de services sociaux publics, universels et gratuits. Malgré un sondage Léger & Léger/Coalition Solidarité Santé effectué en août 1997 qui démontrait que 78 % de la population considérait que la qualité des services s’était détériorée.

Les conditions de vie des personnes dans les centres hospitaliers de soins de longue durée se sont détériorées depuis 1998. En mars 2000, le premier ministre Landry soulignait l’importance d’établir un plafond aux dépenses du secteur de la santé. L’actuel ministre de la Santé, Rémy Trudel, vient de déclarer que l’État n’a plus d’argent pour se procurer la logistique moderne qui [sécuriserait] les patients en radiologie. Alors que les grandes entreprises profitent du laxisme de ce même gouvernement pour éviter de payer les impôts nécessaires pour maintenir nos programmes sociaux. Drôle de gouvernement progressiste!

Pendant le virage ambulatoire, nous n’avons pu faire autrement que de constater que cela a dû être assumé par les femmes, précarisant ainsi leur vie sociale et professionnelle. Huit mille infirmières ont déserté leur profession rendue impraticable humainement parlant.

Dans le secteur de l’éducation, ce gouvernement soi-disant progressiste du PQ a imposé des compressions de 1,2 milliard $ de 1995 à 1999, entraînant le congédiement de 700 professionnels. Aujourd’hui, nous retrouvons dans nos écoles primaires et secondaires moins de grammaires par tête d’étudiant qu’à la fin des années 60.

Au niveau collégial, le nouveau mode de financement pénalise les cégeps situés en régions, contribuant à l’exode des jeunes, et ralentit de ce fait le développement culturel, économique et social de l’ensemble des régions éloignées des grands centres.

Par les coupures dans les universités, le gouvernement "progressiste" du PQ a contribué à associer ces dernières aux valeurs marchandes, [les obligeant à] aller puiser ailleurs les ressources financières manquantes. Cela a eu pour effet d’entraîner une déviation de [la mission humaniste de ces lieux où] le savoir, la formation et le développement de l’esprit critique doivent être la véritable priorité.

Pour ce qui est du logement social, est-ce nécessaire de souligner que le budget a été charcuté de 80 millions $ dans les deux dernières années? Que les coupures se poursuivent chez des organismes de protection de la jeunesse et de défense des droits! Sans oublier les compressions budgétaires dans la sécurité du revenu en 1997 et en 1998. Ajoutons-y donc les nombreux décrets pour briser les droits de grève!

Politiques environnementales
Dans le secteur de l’environnement, le PQ se garde bien de nous rappeler les compressions de 40 % du budget du ministère de l’Environnement sous le règne de Lucien Bouchard. Le pillage collectif de nos forêts où la gestion est laissée dans les mains des propriétaires des compagnies forestières […].

Que dire du Secrétariat à la déréglementation, qui ne défend que les intérêts des grandes industries au détriment du respect de notre environnement. Récemment, nous apprenions que ce même gouvernement favorisera le thermonucléaire comme source d’énergie plutôt que d’investir dans l’éolienne ou le photovoltaïque.

Au bilan environnemental, on pourrait ajouter l’imposition du projet de l’usine Magnolia à Asbestos, le plus grand producteur d’organochlorés au Canada. Ou encore l’harnachement de nos rivières par les projets hydroélectriques non nécessaires.

Le monde rural, lui, subit les politiques du laisser-faire du gouvernement du PQ depuis trop longtemps. Ce même gouvernement qui laisse polluer nos campagnes et nos nappes phréatiques par les "barons du cochon". Qui laisse nos ressources vitales liquidées par les grandes industries agricoles, biotechnologiques et hydroélectriques. Les quasi-monopoles sur la zone verte privent actuellement les populations locales de leur gagne-pain. Et vous vous dites de gauche, M. Landry?

Politiques budgétaires
Au moment où ce gouvernement et ses alliés de l’Assemblée nationale se votaient une loi anti-déficit sans tenir compte des besoins de la population la plus démunie, de la sauvegarde de nos programmes sociaux et de notre environnement, nous, les forces progressistes, savions fort bien que nous avions affaire à des formations politiques néo-libérales qui adoptent l’idéologie du libre marché, s’écrasant à plat ventre devant le grand monde financier. […]

Les politiques budgétaires du PQ se sont traduites dans les dernières années par des congés fiscaux de 10 ans aux entreprises, causant la dilapidation de la richesse collective, aucun taux d’impôt minimum pour les entreprises, contrairement [à ce qui se passe dans les] autres pays occidentaux, 8 milliards $ d’impôts reportés pour 20 entreprises en 1997, un investissement de 34 millions $ pour 2001 afin de lutter contre la pauvreté, alors qu’on accorde des baisses d’impôts de 3,5 milliards $ qui touchent 60 % de la population la plus riche.

À vrai dire, les politiques budgétaires de ce parti au pouvoir ont [pour conséquence des] rues remplies de laissés-pour-compte, de psychiatrisés, de jeunes itinérants, une classe moyenne qui se raréfie et une pauvreté qui prend des proportions endémiques. D’ailleurs, en 1998, le Québec détrônait Terre-Neuve au rang de province la plus pauvre du Canada.

Les politiques néo-libérales du PQ sont l’antithèse même du progressisme […] et cela n’augure rien de bon pour l’avenir si on se fie aux propos du premier ministre qui déclarait, le 21 février dernier: "Je n’ai pas l’intention d’abandonner l’obsession économique qui est la mienne." […]

Il faut avoir du culot ou prendre de sérieuses libertés avec la vérité pour s’affirmer de gauche et faire en même temps la promotion de la ZLEA (Zone de libre-échange des Amériques). Ce projet a été considéré par des millions de Sud et de Nord-Américains comme un projet destructeur de notre environnement, de nos programmes sociaux, des conditions de vie de nos travailleurs et de notre démocratie.[…]

Avec un tel bilan, serait-il trop vous demander de cesser d’affirmer que vous êtes une formation politique de gauche?

Souveraineté
Ne vous en déplaise, M. Landry, il n’y aura pas de division du vote souverainiste lors des prochaines élections complémentaires et générales. Pour ce faire, il faudrait d’abord que votre formation politique démontre qu’elle est bien souverainiste et cela ne semble pas le cas.

Vous avez affirmé vous-même, sur les ondes de la radio publique, l’automne dernier, que "l’indépendance est un concept dépassé". […] Vous ne parlez plus de souveraineté, mais de nation et d’entente à l’européenne, entente où les pays perdent de plus en plus leurs attributs de souveraineté.

Votre projet, dont vous faites la promotion depuis 30 ans, n’a rien à voir avec la souveraineté d’un peuple. La souveraineté doit s’accompagner d’un projet de société, ce que vous avez été incapable d’offrir à la population. […]

[…] Cela ne semblait pas préoccuper votre ministre Pauline Marois qui déclarait, dès la conclusion des travaux des Commissions régionales sur l’avenir du Québec, en 1995: "Je ne crois pas qu’on doive lier l’existence d’un peuple à un projet de société ou pas." Alors que la majorité des mémoires déposés à ces commissions affirmaient que la souveraineté n’est pas une fin en soi, mais un moyen. Que la conception d’un projet de société définissant les objectifs à atteindre et les valeurs qui le fondent est préalable à la définition d’un statut politique et constitutionnel du Québec.

D’autre part, il est assez étrange qu’une formation politique s’affirmant souverainiste n’ait rien pu faire contre la concentration de la presse écrite, qui permet aux journaux à tendance fédéraliste d’étendre leurs lignes éditoriales dans tout le Québec […].

On doit cesser de se prétendre souverainiste quand on vend ainsi le Québec par morceaux. Des pans entiers de l’économie québécoise sont passés sous contrôle extérieur depuis votre arrivée au pouvoir en 1994. Aller faire avaliser le budget du Québec à New York devant les agences de cotes de crédit n’a rien à voir avec la souveraineté étatique. […]. La souveraineté dont vous faites la promotion ne profitera qu’à une brochette de technocrates et d’affairistes et non à l’ensemble de la population. […]

Votre appui à la ZLEA aboutira à moins de souveraineté. Il est malhonnête de ne pas l’affirmer. Avoir une place auprès des autres partenaires des Amériques ne garantit absolument pas davantage de souveraineté quand les politiques d’un gouvernement demeurent à la merci des multinationales.

Jamais le Parti québécois n’a été en mesure d’enraciner son projet dans la population. Les sondages successifs en faveur de votre projet, stagnant autour de 40 % alors qu’en 1995, près de 50 % l’appuyait, le démontrent bien. […]

Et si vous vous prétendez souverainistes et que vous craignez tant la division des votes, qu’attendez-vous pour changer le mode de scrutin pour y implanter des éléments de proportionnelle plus représentatifs de l’humeur de l’électorat? […] La proportionnelle pourrait permettre à des progressistes souverainistes de faire leur entrée à l’Assemblée nationale. Mais vous avez choisi plutôt de conserver ce système de mode de scrutin uninominal à un tour qui fausse de façon flagrante les données démocratiques. À quand les référendums d’initiative populaire? Il ne semble pas y avoir l’ombre d’une réflexion au sein du PQ à ce sujet.[…]

Si on avait voulu être sérieux dans ce parti, on aurait d’abord proposé une réforme démocratique par le bas. Là est la véritable souveraineté, une souveraineté populaire telle que le RAP la réclame, et qui permettrait de multiplier les espaces de discussion, de délibération et de participation en développant des réseaux d’associations citoyennes. Mais rien à faire, le PQ a choisi le camp de la mondialisation capitaliste actuelle, l’antithèse même de la souveraineté, celle qui ne renonce pas à ses responsabilités étatiques et qui fait la promotion de la démocratie participative.[…]

Lors des prochaines élections, […] nous pourrons prétendre en toute modestie que, pour aspirer à un Québec plus juste, plus démocratique, plus libre de ses choix et [respectueux de l’]environnement, cela devra passer par une autre formation politique que la vôtre.

Denys Duchêne, membre du Rassemblement pour l’Alternative progressiste
Québec
Si l’on se fie aux médias, le Québec assiste depuis quelques semaines à une course au leardership de la gauche entre les deux principaux partis politiques provinciaux […].

Tout d’abord, il y a eu le PLQ qui a adopté à son conseil général régional deux résolutions traitant de la sécurité du revenu, l’une sur l’indexation des prestations et l’autre sur l’instauration d’un barème plancher, un montant non amputable à l’aide sociale.

Puis, nous avons eu droit à des entrevues avec le premier ministre Bernard Landry qui, en réponse au PLQ, s’est exclamé: "La gauche, c’est nous!" paraphrasant sans doute Louis XIV avec: "L’État, c’est moi!"[…]

Enfin, le ministre de l’Emploi et de la Solidarité sociale, M. Jean Rochon, s’apprête à rendre publique cette semaine la stratégie de lutte à la pauvreté de son gouvernement.

N’en jetez plus, s’il vous plaît, la cour est pleine!

Essayons de voir clair dans tout cela.

Réglons d’abord la question de la gauche. Est-il besoin d’être de gauche dans notre société pour penser que tous ont le droit de manger, de se loger, de s’habiller et de protéger leur santé? Nous répondrons qu’il faut tout simplement avoir un peu de bon sens. Parmi les signataires de la Déclaration en faveur d’un barème plancher à l’aide sociale, on trouve d’ailleurs des députés libéraux et péquistes de même que des candidats de presque tous les partis en lice lors des dernières élections provinciales. Un barème plancher à la Sécurité du revenu n’a donc rien à voir avec les étiquettes politiques: c’est une question de santé et de prévention, un point c’est tout! Et nous croyons qu’un médecin, tout ministre qu’il soit, ne devrait pas l’oublier!

Deuxièmement, même si un barème plancher […] ne règle pas le problème de la pauvreté, ce montant minimum […] n’est pas insignifiant pour autant, parce qu’il peut faire la différence entre pauvreté et misère. […]

Troisièmement, s’il existait un "plancher actuellement en vigueur" comme l’ont écrit certains, ne pensez-vous pas que les groupes de défense auraient revendiqué autre chose? […] Nous demandons d’amender la loi pour y inscrire un barème plancher justement parce que la loi n’en dit rien actuellement […] et que cela a causé des dizaines et des dizaines de cas connus […] de prestataires avec des montants inférieurs à 300 $, à 200 $ et même à 100 $ par mois. […] Quant à la clause d’appauvrissement zéro, elle concernait tout autre chose et n’a jamais empêché que de tels cas se produisent.

Quatrièmement, s’il faut en croire certains ténors du gouvernement, l’instauration d’un barème plancher […] rendrait automatiquement les prestataires irresponsables, qu[‘ils] ne verraient plus la nécessité de se trouver un emploi ou qu[‘ils] frauderaient à qui mieux mieux. C’est vraiment prendre la question à l’envers: dans un État de droit, le gouvernement a le devoir moral de s’assurer que les citoyens ont les moyens de respecter les lois. Or, quand on place le prestataire en situation de survie, quand ses besoins essentiels ne sont pas couverts, quand sa vie est en danger, le mot légalité n’existe plus. Quoi de plus cynique qu’un gouvernement qui, au nom de la lutte à la fraude, pousse délibérément ses citoyens à choisir entre trouver légalement ou non d’autres revenus pour survivre ou mettre sa vie en danger… conformément à la loi!

Il faut par ailleurs comprendre que l’instauration d’un barème plancher ne rendrait pas impossible l’application de réductions à la prestation de base. […] L’important, c’est que pénalités et coupures n’aient pas pour effet de remettre en cause [la satisfaction des] besoins essentiels des personnes. […]

En terminant, nous croyons [qu’il est plus important] de savoir si tous les Québécois seront assurés d’être logés, nourris, vêtus et soignés [que] de savoir quel parti est à gauche, à droite ou à côté.

Et de ce point de vue, il faut constater que les libéraux, en adoptant le principe d’un barème plancher, font un pas important dans la bonne direction.

Voyons maintenant si le gouvernement Landry, qui se réclame de la gauche, peut nous faire la preuve qu’être de gauche n’exclut pas un minimum de bon sens.

Jacques Benoit, Organisation des sans emploi
Jean-Yves Desgagnés, Front commun des personnes assistées sociales du Québec
Montréal
Renaude Grégoire, Comité des sans emploi
Jean Lalande, Welfare Rights Committee
Josée Larouche, Table de concertation Action-Gardien
Clermont Racine, Clinique communautaire
Pointe-Saint-Charles

Luc Leblanc, Table de concertation Solidarité
Saint-Henri