Droit de cité : Une affaire de pont
Société

Droit de cité : Une affaire de pont

Il y a les ponts d’or. Il y a le pont entre les générations. Il y a le pont de la rivière Kwai. Il existe même un pont aux ânes qui, selon le Petit Bob, signifie la démonstration du théorème du carré de l’hypoténuse.

Une savante explication que les participants à la Commission consultative sur l’amélioration de la mobilité entre Montréal et la Rive-Sud ont certainement dû utiliser lorsqu’ils ont présenté leur dernier projet: le nouveau pont.

Depuis une dizaine d’années, le nouveau pont est un idéal mystique de bien des politiciens, firmes d’ingénierie et constructeurs de bungalows en brique rose. Mais ce pont risque de demeurer dans le domaine de l’intangible.

À la suite de la première série d’audiences thématiques de la commission, présidée par l’ingénieur Roger Nicolet, où des experts étaient invités à étaler leur expertise, force est de constater que lorsqu’on parle de faire le pont entre Montréal et la Rive-Sud, ça demeure dans le figuratif. À ce stade-ci, on ne parle même pas de planche à dessin, mais de fantasmagorie. Je suis convaincu qu’avec les générations, l’expression passera dans le vocabulaire littéraire.

Nouveau pont: se dit d’un fantasme irréalisable et réprouvé. Comme dans: "Michel Prescott se juge capable de battre Pierre Bourque à la mairie. Laisse-le rêver, c’est son nouveau pont." (TREMBLAY)

Tous les intervenants qui avaient une opinion sur le comment-du-mieux-rouler-entre-le-centre-ville-et-la-Rive-Sud (des consultants, des chercheurs, des chroniqueurs de la circulation) sont venus dire à Roger Nicolet d’oublier le pont. Que ça ne réglerait rien, à part la disette de contrats des constructeurs de routes du Québec. Tous ont dit ça, sans exception.

Cela tombe mal. Le ministre des Transports, Guy Chevrette, avait justement embauché monsieur Nicolet pour qu’il lui dise où construire le nouveau pont. D’ailleurs, on peut supposer que Guy Chevrette attendait de cette commission la licence pour aller de l’avant avec le projet. Un peu comme Lucien Bouchard, qui lui aussi avait nommé Roger Nicolet à la tête d’une commission sur la crise du verglas, croyant à tort qu’il lui servirait sur un plateau d’argent la justification de la ligne électrique de 735 kV Hertel-Des-Cantons. Mais Roger Nicolet a bien été obligé d’admettre qu’il y avait quelque chose qui ne filait pas droit avec cette ligne. "Oui, c’est bien de vouloir boucler la Rive-Sud, mais Dieu que c’est gros pour rien, ce que vous avez construit! On dirait que vous vouliez faire de l’exportation." Badabing!

Dans le cas de Guy Chevrette, sa stratégie était grosse comme le bras: dans une première étape, la commission devait entendre l’avis des experts sur l’amélioration de la circulation entre l’île de Montréal et l’autre côté du fleuve. Et comme si le ministre avait présumé du résultat, la commission devait ensuite étudier l’emplacement du nouveau pont.

Mais où mettre un pont dont personne ne veut, y compris le Gros Bon Sens?

Dans l’imaginaire collectif, j’imagine…

Pour la psychologie inversée
Roger Nicolet ne sera pas désoeuvré pour autant cet automne. Le pont, ce n’était qu’une solution qui s’est fait déboulonner royalement. Il en reste un tas d’autres, comme un train léger sur l’estacade du pont Champlain. Et le prolongement de l’autoroute 30.

Car si cette autoroute menait enfin quelque part, cela permettrait à la Rive-Sud d’être de plus en plus autonome par rapport à Montréal. De se développer non pas en comptant sur la prospérité de Montréal, mais sur la sienne. Parce que là où il y a une autoroute qui mène quelque part, il y a du développement. L’exemple du couloir de la 15, entre Montréal et Saint-Jérôme, est probant. Et dans la région de Boston, l’État a fait construire une autoroute, la I-495, pour relier toute la côte du Massachusetts à Boston. Depuis, ce corridor est devenu l’un des plus florissants des États-Unis.

On devra aussi regarder du côté de l’efficacité du transport en commun. Actuellement, il en coûte la moitié du prix en essence pour voyager quotidiennement entre Saint-Hubert et Montréal plutôt que d’utiliser la carte de transport en commun régionale, même aux prix actuels du carburant. Comme incitatif, on a déjà vu mieux…

Il est étonnant de constater une fois de plus l’incapacité de ce pays de réfléchir par psychologie inversée (c.-à-d.: en se demandant plutôt si la façon d’améliorer la mobilité ne serait pas de la réduire). Les conditions de circulation entre Montréal et la Rive-Sud se sont constamment détériorées au fil des ans, malgré la construction des ponts Champlain, Mercier, du tunnel Louis-Hippolyte-Lafontaine, de l’autoroute Bonaventure, de l’élargissement de la route 116, de la 132, des voies réservées aux autobus, des navettes fluviales, du métro à Longueuil, etc. Chaque fois qu’il y a eu ajout d’un lien, la congestion grossissait.

Pourquoi? Parce que chaque nouvelle traversée tendue, c’est un incitatif à l’étalement urbain. Et après, on se demande pourquoi Montréal se vide au profit des banlieues…