Droit de cité : Le comment et le pourquoi du logement
Société

Droit de cité : Le comment et le pourquoi du logement

Des centaines de ménages pourraient se retrouver à la rue dimanche prochain, et ce ne serait pas pour célébrer le plus meilleur pays de l’univers.

À la veille du traditionnel jour D (pour déménagement, il va sans dire), la "crise du logement" est telle que le Front d’action populaire en réaménagement urbain (FRAPRU) demande à la Ville de ressortir les mesures d’urgence prises lors de la Crise du verglas de 1998. Question de loger de fortune ceux qui n’auront pas réussi à trouver loyer à leurs moyens.

Des camps de réfugiés, en somme. (Message à Guy Bertrand: le véritable exode n’est pas celui des anglophones vers l’Ontario, il est interne et pécuniaire, notamment parce que trop de Rhodésiens économiques se sont soustraits de leurs obligations en matière de logement social.)

La plupart de ces gens ne sont peut-être pas riches, mais quand même pas démunis; dans des circonstances régulières, ils auraient les moyens de se payer un toit. Oh! Pas le château de Céline, mais quand même mieux qu’une boîte de carton, ou qu’un "nique à feu" infesté de champignons.

Est-ce à dire qu’il y a quelque chose qui cloche au pays des Trois Gauches? Tous les politiciens ont beau réclamer la propriété exclusive de la gauche – comme si elle était un slogan inscrit au registre des raisons sociales -, reste qu’à Montréal, des familles n’ont plus les moyens de se loger.

On pourrait condamner le néolibéralisme à l’heure de la mondialisation et ses suppôts dans les parlements. L’analyse est plus facile quand il n’y a que des bons et des méchants, et que les méchants sont gras et riches.

Mais la situation actuelle du logement à Montréal n’est pas un western.

Problème plus social qu’économique
Le taux d’inoccupation dans le logement locatif a chuté à 1,5 % dans la région cette année. Les analystes en habitation prévoient qu’une fois la vague des déménagements du 1er juillet passée, le taux sera autour de 1 %. Or, pour que le marché soit en équilibre, le taux d’inoccupation devrait être quatre fois plus élevé.

Malgré la pénurie évidente de logements, leur coût demeure relativement bas. Très bas, puisque dans les classements des grandes agglomérations du monde, Montréal est encore dans les 10 % moins chères. Les loyers n’ont pratiquement pas augmenté en 10 ans, faute d’une demande soutenue. (Reste à voir les chiffres à la fin de 2001.)

Alors que pendant la même période, la reprise spectaculaire dans l’accès à la propriété, grâce à des taux d’intérêt historiquement bas, chauffait le prix des maisons. Or, quand vous payez une maison cher, et que les revenus des logements rapportent peu, être propriétaire de logements ne présente presque aucun avantage. C’est ce qui est arrivé. Des milliers de logements ont été transformés en résidences privées, et la plupart des nouvelles demeures qui ont été construites sont des résidences unifamiliales.

Les laissés pour compte sont pris dans une sorte de catch-22: tant qu’il n’y aura pas de hausse substantielle des loyers, il n’y aura guère d’intérêt pour la construction de logements neufs. Et quand la hausse surviendra, les familles qui ont eu de la difficulté à se loger cette année ne seront pas plus avancées, puisqu’elles n’auront plus les moyens d’habiter dans ces logements.

Et même si le marché prétend qu’avec une certaine déréglementation, il réussirait à suffire à la demande, il faut en douter. Dans un tel cas, on risque de se retrouver avec le même phénomène que dans la baie de San Francisco, où un travailleur à temps plein, avec sécurité d’emploi et 30 000 dollars US de revenus par an, sans enfant à charge, n’a les moyens que de se payer le YMCA ou un motel dans une très lointaine banlieue. Parce qu’avant même que Montréal ne connaisse une flambée des loyers, une famille sur cinq dépensait plus de la moitié de ses revenus pour se loger. Pendant que les loyers augmentaient à un rythme moindre que le taux d’inflation, la demande pour les HLM, elle, croissait de 20 % en quatre ans.

Au fil des ans, les autorités municipales, provinciales et fédérales ne se sont guère préoccupées du logement, et pour cause. Pendant 20 ans, Montréal subissait le phénomène inverse, avec un rétrécissement de sa population. Le problème n’était pas de trouver du logement, mais des résidants pour occuper les logements! Un haut fonctionnaire du ministère des Affaires municipales me disait il y a quelques semaines que dans les scénarios économiques et démographiques les plus optimistes, il y aurait encore suffisamment d’espace à Montréal pour 50 ans de développement. Une crise du logement? Invraisemblable!

Mais c’était sans compter les facteurs sociologiques. À Montréal, il y a le phénomène des personnes seules à l’aise, qui font main basse sur les logements neufs: 10 % des logements sont maintenant occupés par elles; et les deux tiers le sont par des couples. Ces derniers sont des baby-boomers maintenant débarrassés de leur progéniture. Et cette progéniture n’habite plus à la maison, ni en colocation. Elle a maintenant un bon emploi, de bons revenus, elle a confiance en l’avenir, et se met en ménage.

Résultat: à peine une nouvelle unité de logement sur quatre est donc consacrée aux familles. C’est très peu, quand on sait que les familles représentent au moins la moitié de la population…