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Intelligence artificielle : Métal hurlant
Verra-t-on bientôt dans nos rues un androïde aussi charmant que David, héros du plus récent film de Steven Spielberg qui sort actuellement en salle? Pour le scientifique texan CHRIS WILLIS, si l’avènement de machines humaines n’est pas pour demain, des progrès se font en la matière. Achèteriez-vous l’androïde qu’il conçoit présentement: une femme de ménage artificielle?
Tommy Chouinard
La sortie du très attendu film A. I. (pour artificial intelligence) risque fort de pousser un cran plus loin le fantasme de la création de l’homme-machine parfait, aussi brillant et sensible qu’amusant et volubile. Oubliez l’incompétent C3-PO et le guerrier Terminator! Le long métrage de Steven Spielberg raconte en effet l’histoire de David, un enfant androïde (pas un vulgaire robot, mais bien un automate anthropomorphique, donc à l’apparence humaine), qui devient le premier de son "espèce" à être doté de la faculté d’aimer.
Ce n’est d’ailleurs pas la première fois que la science-fiction met en scène des androïdes. Comme Isaac Asimov a rêvé bien avant Spielberg à des machines humaines intelligentes, une question légitime demeure: à quand la "naissance" d’un véritable petit David, un androïde pourvu de capacités mentales honorables? Certes, ce n’est pas demain la veille. Les plus folles expériences menées à travers le monde tentent toutefois de réaliser, aussi vite que possible, ce rêve d’intelligence artificielle sur deux pattes. Et surtout, de passer enfin de la science-fiction à la réalité… Vraiment?
"Dans 30 ans, je suis convaincu que toutes les familles auront leur propre androïde, car beaucoup de progrès sont accomplis." Optimiste avoué et scientifique convaincu, le Texan Chris Willis refuse l’étiquette de fabulateur et croit dur comme fer de robot aux promesses de l’intelligence artificielle. À tel point que ce diplômé en informatique, robotique et physique a fait fi des hics et fondé à Denton, près de Dallas, sa propre entreprise vouée à l’intelligence artificielle, AndroidWorld. Depuis une dizaine d’années, et en compagnie de trois collègues scientifiques américains, cet homme dans la cinquantaine conçoit ce qui était autrefois réservé à la science-fiction: un androïde, l’alter ego en fer et en fils de l’homme en chair et en os.
Et pas n’importe lequel. Il s’agit de "Valerie" (le nom de sa propre fille de 11 ans), une brunette androïde domestique de 5 pieds 10 pouces qui, une fois au point, s’acquittera de diverses tâches ménagères de façon autonome: nettoyage, repassage, époussetage, etc. Bref, tout ce qu’un être humain normalement constitué déteste faire. Le rêve, quoi. "Pour arriver au résultat final, j’ai dû et je devrai investir des milliers et des milliers de dollars", affirme celui qui peaufine les fonctions "vitales" de sa servante robotisée dans sa propre maison. "J’ai toutefois pu me lancer dans cette affaire en raison de l’accessibilité de plus en plus grande des pièces informatiques et électroniques. J’aime bien le défi que cela représente et je pense que c’est un secteur d’avenir relativement payant." Selon ses prévisions, Valerie devrait être commercialisée l’année prochaine, "si tout se passe bien", bien sûr. Le prix? L’équivalent d’une automobile, le climatiseur et les freins ABS en moins.
Évidemment, Valerie ne représente pas le seul androïde en voie de création. Selon Willis, près d’une centaine de projets différents se trouvent en cours de développement à travers le monde, particulièrement au Japon et aux États-Unis, comme le répertorie d’ailleurs de façon complète et détaillée son site Web (www.androidworld.com). "C’est une industrie en plein essor, estime-t-il. Des chercheurs de partout découvrent le potentiel des androïdes et l’entreprise privée est prête à investir." Tant et si bien que, d’ici une trentaine d’années, selon lui, l’industrie de l’androïde sera aussi imposante que celle de l’automobile.
Machine parlante
Les choses ont bien changé depuis la création du tout premier androïde au Japon, dans les années 70, lequel ressemblait davantage à une boîte de conserve sur deux jambes. L’année dernière, le constructeur automobile Honda a dévoilé ses deux nouveaux androïdes, Asimo et P3, dont la seule caractéristique qui les distingue vraiment est la grandeur (1 m 20 contre 1 m 60). Les deux peuvent marcher (assez lentement, mais bon…), descendre et monter un escalier (un exploit dans le domaine), éviter seuls des obstacles, pousser un chariot, serrer ou dévisser des boulons. Ils ressemblent à s’y méprendre à des astronautes en combinaison, mais ils pèsent une bonne centaine de kilos! "Des défauts existent encore, souligne Chris Willis. Par exemple, P3 ne dispose que d’un quart d’heure d’utilisation avant de devoir être rechargé, en plus de connaître encore des problèmes de fonctionnement." Quand on pense que 100 millions de dollars ont été dépensés sur ce projet et que 10 ans de développement ont été nécessaires pour aboutir au résultat final, force est de constater que la tâche semble toujours aussi ardue que dans les années 70…
Malgré les difficultés, des concurrents, comme Sony, tentent de damer le pion à Honda. Après le succès du chien-robot Aibo, un prototype, appelé Sony Dream Robot (SDR-3X), a été présenté l’année dernière au Salon Robodex, au Japon. SDR-3X danse, frappe un ballon avec le pied, marche à la vitesse de 15 mètres à la minute. Haut de 50 centimètres et pesant 5 kilos (bien petit pour un androïde), il peut prononcer 20 mots simples comme "bonjour". Cependant, le prototype est toujours en développement.
Visiblement, les chercheurs japonais se trouvent sérieusement dans le coup, épaulés par un gouvernement enclin aux nouvelles technologies. Un projet national, dirigé par le ministère de l’Industrie, accorde en effet une centaine de millions de dollars par année aux scientifiques qui étudient les androïdes. "C’est pour cette raison qu’environ 60 % des projets mondiaux en cette matière se déroulent dans le pays du Soleil-Levant." Les Américains ne sont pourtant pas en reste: par exemple, les chercheurs du Massachusetts Institute of Technology s’attaquent depuis plusieurs années à l’élaboration d’androïdes dont l’âge mental atteindrait celui d’un bambin de deux ans, ce qui veut dire, en clair, qu’il pourrait reproduire par imitation les gestes (préprogrammés) d’un être humain. Rien de concret n’a encore été mené à terme, par contre.
D’un androïde à l’autre, la recette (ici simplifiée) demeure la même: des systèmes hydrauliques et pneumatiques miniatures pour les articulations (25 environ par machine), des caméras pour les yeux, des magnétophones sophistiqués dans les oreilles, des micros à la place de la bouche et un micro-ordinateur en guise de cerveau. "Je pense que la base purement mécanique a été découverte et doit maintenant être perfectionnée, croit Willis. Mais le plus difficile est à faire, c’est-à-dire recréer l’intelligence humaine artificiellement."
Morceau de robot
Le plus grand défi que rencontrent les fabricants d’androïdes reste sûrement la reproduction artificielle de l’intelligence et du comportement humains. Car cette opération ne constitue pas une mince affaire. "Actuellement, l’intelligence artificielle est très restreinte, indique Chris Willis. Par exemple, Deep Blue, le programme qui a battu Gary Gasparov, sait bien jouer aux échecs, mais il ne peut toujours pas, comme son adversaire, faire la conversation et préparer des gâteaux. Ainsi, les androïdes sont limités à accomplir des tâches simples et répétitives, un peu comme les robots sur les chaînes de montage. C’est que l’intelligence, dans toute son intégralité, est très complexe. Un androïde n’agit que selon des scénarios préprogrammés, alors qu’un humain peut agir en fonction des situations de la vie et, surtout, des imprévus, de façon différente et appropriée."
Rendre humaine la machine semble donc le coeur du problème. Pourtant, les chercheurs tentent de plus en plus de reproduire chez l’androïde les cinq sens propres au genre humain. "Dans ce domaine, cela avance très bien", estime Willis. Par exemple, le toucher s’accomplit par des mains pourvues de senseurs qui identifient la texture, la forme, le poids et la chaleur d’un objet. L’ouïe est rendue possible par des microphones reliés à un programme qui décode le langage grâce à un système de reconnaissance vocale; et la vue, par des caméras dont les images sont traitées par ordinateur. La compagnie californienne Cyrano (de Bergerac…) a développé l’odorat par une puce informatique qui identifie l’odeur et permet à l’androïde de reconnaître qu’il s’agit d’une rose, par exemple. "Pour le goût, rien n’a été véritablement développé", note Willis.
Une équipe du Japonais Fumio Hara, chef du Département de génie mécanique de l’Université des sciences de Tokyo, tente de recréer artificiellement… un visage humain et ses expressions caractéristiques! Jusqu’à maintenant, le prototype peut exprimer six émotions (joie et peur, entre autres) grâce à des activateurs dissimulés sous la "peau" du visage artificiel. Un micro-ordinateur détermine quant à lui les paramètres de déformation du visage. "Il peut aussi imiter une expression, car en voyant quelqu’un réagir, le programme reconnaît les traits et peut donc faire de même", précise Willis.
Malgré tout, note-t-il, l’utilité des androïdes (dont le rôle demeure d’être des servants, voire des animaux de compagnie, de l’humain) reste à prouver. "À part des projets biens spécifiques comme le mien et celui de la NASA, qui désire fabriquer des androïdes pour des tâches dans l’espace, les machines humaines coûtent très cher pour tellement peu de possibilités d’action. De plus, elles sont complexes à construire, demandent beaucoup d’énergie pour fonctionner et de programmes informatiques pour opérer. Je pense qu’il faut encore attendre avant d’en venir à une véritable révolution et encore plus longtemps pour voir des machines qui ressemblent psychologiquement à l’humain."
Donc, le développement des androïdes ne s’avère pas aussi rapide et concluant que prévu… "C’est qu’on ne voit pas encore la nécessité de remplacer l’homme dans certaines tâches et de reproduire fidèlement son apparence en plus. Les robots qui n’ont aucune ressemblance avec nous font l’affaire dans des tâches très spécifiques. Mais l’existence et l’utilité des androïdes viendront bientôt. Je ne serais pas étonné si, dans quelques années, nous étions servis par un androïde au McDonald’s ou guidés par un autre dans un musée." Il y a fort à parier que lorsque ce jour arrivera, la réflexion sur la condition humaine atteindra une nouvelle dimension…