Société

La semaine des 4 jeudis : Le dindon de la farce (Méfaits des propos volatils)

Mel Laxman, le petit maire frisé de Toronto, est un personnage coloré. Politicien des temps anciens, spectaculaire et grande gueule, c’est aussi un gaffeur impénitent. La semaine dernière, Mel a encore une fois semé la controverse en déclarant, lors d’un voyage en Afrique destiné à mousser la candidature de son ennuyeuse et proprette ville, que visiter ce tiers-monde l’inquiétait au plus haut point. Tout juste s’il espérait en revenir vivant: "Que vais-je faire là, je m’imagine cuire dans une marmite entouré de cannibales africains", aurait-il dit à la blague, en substance.

Émotion du côté du Comité international olympique dont une bonne partie des membres proviennent du continent noir. Mel a beau se rétracter sans fin, on ne donne guère de chance à Toronto d’accueillir les Jeux d’été de 2008.

Toujours la semaine dernière, entre deux excuses, Mel trouvait le temps de défiler comme chaque année sur le camion de pompiers de la Ville lors de la parade de la fierté gaie.

Bonne nouvelle, le petit Mel n’est donc ni un rétrograde ni un réactionnaire, il se contente d’être raciste. Et, puisque le racisme tire ses origines de l’ignorance, on peut considérer que, s’il a déjà rencontré des gais, il n’a jamais rencontré d’Africains, car il saurait que chez eux, il y a deux cents ans, on n’utilisait pas de chaudrons et que les derniers cas de cannibalisme recensés l’ont été dans d’anciennes républiques soviétiques où les affamés étaient très blancs de peau, car il ne fait guère soleil là-bas…

Bref, l’orientation sexuelle de ses concitoyens ne perturbe guère monsieur le maire… À moins que vous ne soyez un Torontois homosexuel noir africain. Auquel cas on ne sait si, mise dans la balance, sa tolérance envers l’orientation sexuelle viendrait à bout de son racisme atavique. Il faudrait que les scientifiques de York University tentent l’expérience. À moins, et c’est probable, que Mel ne mente comme un arracheur de dents. Que le soir, après la parade, en sirotant son dry martini au sommet de la tour de Toronto, il chuchote à l’oreille d’une de ses maîtresses qui ne porte pas de petite culotte sous sa robe Chanel: "Tu sais chérie, j’ai pas le choix, il y a des quartiers où ces lopettes gluantes sont presque majoritaires. C’est du vote assuré pour cinq minutes sur un char à tirer du fusil à l’eau… encore du champagne dans tes olives?" Et Mel de songer ensuite en son for intérieur que, de toute manière, depuis qu’ils ont appris l’existence d’enfants illégitimes, aucun de ses administrés n’ira douter qu’il est un sacré homme à femmes. Un monte-en-l’air de première.

Habituée à ses frasques, la classe politique canadienne n’a guère affiché d’états d’âme contre le petit Mel ni de regrets pour l’offense faite aux Africains. Cela s’explique probablement par les excellentes relations qu’il entretient avec le pouvoir tant à Ottawa qu’à Queens Park. Aurait-on simplement laissé le docteur Labrie traiter les Chinois de prostatataires sans réagir? Et ceux qui croient que l’annonce faite par Jean Chrétien d’une subvention de quarante millions de dollars pour la lutte contre le sida en Afrique, venant de la part d’un homme qui jadis refusait de prendre part aux conférences sur le sujet, est étonnamment opportune, ne sont que de mauvaises langues.

Les homosexuels de Toronto n’ont pas exclu Mel de leur parade. Il n’y ont même pas pensé. On ne voit pas pourquoi une communauté qui dénonce périodiquement l’ostracisme dont elle est encore victime voudrait se montrer solidaire quelques minutes des préjugés rétrogrades entretenus à l’égard d’un continent dévasté par le sida . Après tout, se disent-ils, ce ne sont pas nos affaires. Mel est là et c’est une merveilleuse preuve d’intégration. Car il est vrai que les homosexuels ontariens reviennent de loin en cette province du Canada où l’on aurait pratiqué tant du bord de la police que de celui de l’honnête citoyen des partys de gay bashing dans les banlieues à la sortie des bars dans les années 80. Sa seule présence lors du défilé gai semble une caution.

Imagine-t-on en effet deux grosses polices ontariennes aussi obtuses que moustachues fesser des amis du maire dans le fond d’une ruelle à trois heures du matin en leur criant "lopettes". Ils seraient aussitôt suspendus trois jours… avec solde…

Je pensais à toutes ces futilités en écoutant maman Dion hier midi sur TVA. Elle cuisinait une dinde. Cinquante grammes de beurre assaisonné de poivre rose de Cayenne, cinq cents grammes de champignons frais, le jus d’un citron vert, un quart de litre de crème quinze pour cent… Le portrait du petit Mel Laxman me revenait continuellement en mémoire. Frisé, dodu, bien gras. Jadis, de fins gourmets se sont laissé tenter pour moins. Heureusement, nous sommes dans un autre monde, civilisé et correct. De toute manière, où voulez-vous trouver un chaudron assez grand?