Droit de cité : La leçon de Hudson
Société

Droit de cité : La leçon de Hudson

Il y a mille et une façons de s’objecter à la contestation judiciaire des fusions forcées. Il y en a tant que chacun de ceux qui s’opposent aux procédures du maire Trent et compagnie devrait trouver la sienne.

Mais s’il existe un motif que personne ne peut invoquer, c’est celui de l’argent. S’il y a un principe qu’on ne peut contourner, c’est le droit de faire appel aux tribunaux lorsqu’on se croit, à tort ou à raison, lésé dans ses droits. Il est fondamental, qu’importe les coûts financiers qu’il implique.

Après la décision du juge Maurice Lagacé de la Cour supérieure sur la validité de la loi 170 forçant la fusion des villes de l’île de Montréal, plusieurs voix, certaines très officielles comme celle du maire Pierre Bourque, ont dénoncé "l’acharnement judiciaire" des 19 villes de la banlieue. "Ce serait du gaspillage de fonds publics", dit le maire, si les villes osaient l’appel.

Et puis après? Nous n’en sommes pas à un gaspillage près. Les deniers publics ont souvent la fâcheuse habitude de s’investir dans des domaines plus ou moins constructifs. Les quelques millions que dépenseront les villes de banlieue en frais juridiques valent bien ceux des portes chinoises éclairées…

Le système judiciaire est justement là pour être utilisé jusqu’au bout de ses ressources, histoire de s’assurer qu’il y a bien eu justice. S’il y a acharnement injustifié, la justice se chargera de le stopper.

Si les mêmes arguments avaient été retenus contre la Ville de Hudson, les citoyens ne seraient guère aujourd’hui protégés des pesticides. Son règlement, en encadrant l’usage, était contesté par des entreprises d’épandage de pesticides. Les cours ont donné deux fois raison à ces dernières. La Ville est donc allée en appel. L’acharnement de cette petite municipalité (5000 habitants) paraissait un puits sans fond pour les finances municipales, d’autant plus que la lutte semblait perdue d’avance. Pourtant, après 10 ans d’"acharnement", la Cour suprême vient de donner raison à la Ville de Hudson.

Le jour même du jugement Lagacé.

Argument anti-fusion
À l’unanimité, les juges ont validé le règlement municipal de Hudson.

Bon, contrairement à ce que la couverture médiatique de l’événement ait pu laisser croire, la Cour n’a pas autorisé les villes à interdire les pesticides. Elle ne s’est prononcée que sur le règlement de Hudson, qui en limite les usages à des fins de prévention pour la santé et l’environnement. À Hudson, si c’est pour nous éviter les sauterelles, les pesticides sont autorisés. Mais si c’est juste pour faire beau, selon des critères esthétiques bêtement lubriques, c’est non.

Beaucoup plus que le jugement Lagacé sur les interprétations pointues de la Constitution, celui de la Cour suprême touche directement les gens dans "la réalité des choses vraies et concrètes".

Absorbés par la bouffe, l’eau, la peau et l’air, les pesticides sont accusés d’aider la prolifération de certains cancers, comme la leucémie, ou de certains problèmes neurologiques, comme le Parkinson. La science accumule une preuve déroutante à cet égard. C’est pour ces raisons qu’en 1991, la Ville de Hudson, et 36 autres depuis, a décidé de faire sa petite part dans la protection de l’environnement, par prudence élémentaire. Ce que la Cour a avalisé.

Entre vous et moi, si ce n’est pas normal d’être précautionneux avec les pesticides, pourquoi plante-t-on des affiches aussi menaçantes que des avertissements anti-poison sur les pelouses après l’épandage? Ça dit presque: "Attendez que la pluie et le vent lavent les surplus ailleurs dans la nature. Après, vous pourrez vous rouler dans votre gazon…"

Ce que la Cour suprême a reconnu, c’est que la santé et l’environnement sont des enjeux si importants (après tout, la Charte des droits et libertés accorde aux Canadiens le droit à la vie et à l’intégrité physique), que tous les gouvernements et administrateurs publics doivent s’en mêler.

Ça commence par Ottawa qui élabore le cadre général. Une sorte de minimum garanti. Un peu comme la loi sur la santé, qui nous garantit d’être soigné partout au Canada. Après, libre aux provinces d’y aller de leurs ajouts, de leur bonification. Et encore après, les municipalités peuvent adapter le règlement à leurs particularités. C’est ce qu’on appelle "la vision complémentaire des compétences" entre les gouvernements, déjà pratiquée en matière environnementale entre le fédéral et les provinces.

Ce jugement aura des impacts dans le débat sur les fusions municipales. Plusieurs villes fusionnées, comme Westmount, Beaconsfield et l’Île-Bizard, ont des règlements semblables. Mais pas Montréal. La Ville du maire Bourque s’est toujours refusée de réglementer l’usage des pesticides, sous le prétexte qu’elle n’avait pas autorité en la matière. Ce qui n’a pas empêché des villes moins importantes qu’un tronçon de rue montréalais de le faire. C’est presque un argument anti-fusion.

En quoi les citoyens seront mieux protégés dans une grande ville? Les arrondissements conserveront-ils leur règlement? Sera-t-il étendu à toute l’île? La question se pose, et demande réponse immédiate.

L’écologisme de pacotille de l’administration actuelle, presque sectaire quand il s’agit de l’empaquetage des déchets, a fait preuve de bien peu de leadership dans le cas de ces poisons, malgré ses moyens. D’autant plus que la Ville de Montréal admet utiliser les pesticides dans ses parcs, parfois même en quantité supérieure aux productions agricoles…

Or, c’est ce genre de qualité de vie que les citoyens de la banlieue craignent de perdre avec la fusion.