Prostitution de rue : Pas dans ma cour, bis?
Société

Prostitution de rue : Pas dans ma cour, bis?

La semaine dernière, le Bloc québécois a dévoilé les résultats de son étude sur la prostitution de rue. Selon le parti de Gilles Duceppe, on devrait désigner certaines zones où les prostituées pourraient exercer librement leur métier. Mais où situer ces zones? C’est le noeud du problème…

Les prostituées sont comme Britney Spears: personne n’achète leurs disques ou utilisent leurs services et, pourtant, elles sont partout et font beaucoup d’argent. Elles s’habillent aussi sensiblement de la même façon.

Enfin, ce ne sont pas toutes les prostituées qui font de l’argent parce que, comme on sait, les prostituées de rue sont souvent des toxicomanes, parfois porteuses du VIH ou d’autres maladies. De plus, ce n’est pas elles qui ont choisi ce métier, mais le métier qui les a choisies. Dans la rue, elles doivent trouver le moyen de survivre entre les clients violents, les proxénètes abuseurs, la police et les voisins qui ne veulent pas les voir dans leur quartier.

La semaine dernière, le Bloc québécois a rendu public le rapport de son comité sur la prostitution de rue. Le Bloc propose de mettre fin à la guerre entre les prostituées et les résidants des quartiers où elles travaillent. La prostitution serait décriminalisée et les municipalités établiraient des "zones désignées" où les prostituées pourraient pratiquer leur métier.

Le Bloc propose ni plus ni moins que la création d’un vrai Red Light, comme à Amsterdam ou ici même dans les années 40. Les prostituées pourraient se procurer des permis et s’inscrire à l’Assurance-emploi. Des programmes d’employabilité pourraiennt être créés pour les prostituées qui voudraient réorienter leur carrière vers le domaine des nouvelles technologies à partir de leur expérience sur le marché du travail.

Il ne resterait plus qu’à commander des ampoules rouges et choisir le quadrilatère de l’amour libre.

"On ne voit pas comment on va se sortir du syndrome "pas dans ma cour"", estime, pessimiste, Claire Thiboutot de l’organisme d’aide aux travailleurs et travailleuses du sexe Stella. L’organisme a participé aux consultations du Bloc et accueille favorablement le rapport, mais madame Thiboutot croit que, si tout le monde est pour les "zones désignées", tout le monde veut qu’elles soient loin de leur maison. "J’imagine qu’on va désigner un bout du boulevard Saint-Laurent, mais est-ce que les commerçants dans le secteur vont l’accepter? Je ne crois pas."

Centre-Sud
"La prostitution de rue, j’appelle ça le service à l’auto, explique Rosaire Théoret de la Corporation de développement Berri-UQAM. C’est comme chez Burger King ou McDo." Monsieur Théoret voit a tous les jours les clients des prostituées faire 15 ou 20 fois le tour du quadrilatère dans son secteur. "Ensuite ils vont dans une rue transversale pour consommer… le service."

Pour cette raison, monsieur Théoret accueille favorablement les suggestions du Bloc. Il croit que les résidants du coin n’en ont pas tant contre les prostituées elles-mêmes que contre le fait qu’elles pratiquent leur métier devant leurs maisons et leurs commerces. "La rue Ontario est une artère commerciale, mais les rues transversales sont résidentielles. Il y a des enfants qui habitent là et qui circulent, pour aller à l’école, par exemple."

"S’il y avait un endroit qui serait aménagé et clôturé, où les automobilistes pourraient aller se stationner et faire leur affaire, correct. Il y aurait une surveillance adéquate et il pourrait même y avoir des ressources pour les prostituées qui ont des problèmes de drogue."

Un genre de Red Light Parking, en quelque sorte. Sécuritaire et sanitaire, le Parking Sexy situé à côté de l’UQAM pourrait même permettre aux étudiants et étudiantes d’arrondir leurs fins de mois…

Monsieur Théoret souhaiterait que la nouvelle "zone désignée" soit située dans un autre secteur de la ville. "Le Centre-Sud a trop été pendant les derniers 15 ou 20 ans l’endroit où ont été concentrés tous les problèmes sociaux de Montréal. Les gens du quartier veulent souffler un peu. Quand la police fait des interventions auprès des clients, on se rend compte qu’ils vivent sur la Rive-Sud, dans le nord de la ville, etc. Il pourrait y avoir des zones désignées dans plusieurs coins de la ville."

Plateau – Centre-ville
Le comité du Bloc a choisi de déléguer aux municipalités la responsabilité de choisir les endroits où la prostitution serait décriminalisée et ne fait pas de suggestions à ce sujet. Tout au plus précise-t-on que ces zones devraient être dans des quartiers industriels et/ou commerciaux, loin des secteurs résidentiels.

Michel Dépatie, de l’Association des Commerçants de l’avenue du Mont-Royal, ne voit pas pourquoi les quartiers qui n’ont pas, en ce moment, de problèmes avec la prostitution toléreraient qu’elle arrive dans leur quartier, de façon légale ou non. "Nous, on n’a pas de prostitution sur le Plateau."

Même si certains coins du quartier ont un nightlife intense, monsieur Dépatie croit que sur le Plateau, comme dans le Centre-Sud, il n’y a pas de délimitation suffisamment claire entre les zones commerciales et résidentielles pour qu’on puisse penser y décriminaliser la prostitution. "Le Plateau, c’est le quartier le plus densément peuplé au Canada. Ce n’est certainement pas le coin pour installer ça!"

Ghislain Dufour est directeur général de la Société de développement du boulevard Saint-Laurent. Selon lui, ce qui se passe au coin de la Main et de Sainte-Catherine ne concerne pas les commerçants de son association, tous situés au nord de Sherbrooke. "Il n’y a pas de prostitution dans notre secteur. Pas de visible, en tout cas."

L’Organisme va attendre de voir la suite des événements avant de se prononcer. Si la Ville en venait à décriminaliser la prostitution à quelques coins du rue de chez eux, monsieur Dufour croit que plusieurs commerçants et restaurateurs s’objecteraient. "Personne ne va en vouloir. Entre vous et moi, c’est le "pas dans ma cour"."

À la Société de développement commerciale destination centre-ville, on indique que le sujet de la décriminalisation de la prostitution dans le centre-ville n’a pas été étudié et que rien ne porte à croire que ça s’en vient chez eux.

Village gai
"C’est sûr que dans le Village, on est grosso modo d’accord, affirme pour sa part Martin Houle, directeur adjoint de l’Association des Commerces et Professionnels du Village. Les commerçants les plus influents sont d’accord parce qu’ici, on vit la prostitution de rue et dans les parcs de façon importante, avec la drogue et la violence que ça amène."

Pardon? Une association de commerçants qui est pour la décriminalisation de la prostitution? Et pas seulement en principe, mais concrètement, dans leur quartier?

"Les gens ici sont peut-être plus informés, conscients et ouverts. On a déjà le phénomène des saunas, ici. Les maisons closes deviennent une façon de gérer la chose." Il y a selon lui des commerçants tout à fait légitimes et établis qui seraient prêts à ouvrir des bordels et des maisons closes, s’ils pouvaient le faire de façon légale, bien entendu.

Les commerçants seraient favorables aux maisons closes parce qu’ils y voient un moyen d’éradiquer la prostitution dans la rue. "Quand c’est illégal, ça déplace le problème, mais il revient toujours."

"Il faut que ça sorte de la rue, que ces gens-là déclarent leurs revenus. Il faut qu’ils soient déclarés et qu’ils paient de l’impôt. Dans le quartier, c’est tranquille, malgré la prostitution, la violence et la drogue. Les commerçants aimeraient mieux que ça se passe en milieu clos. Il y a toujours une question d’image."

Ce qui fait dire à Claire Thiboutot, de Stella, que le problème de la prostitution de rue va demeurer entier. "La personne qui est toxicomane ou qui porte le VIH ne pourra pas travailler dans une maison close. Elle va continuer à travailler au noir…"