Dans les coulisses du Congrès international olympique : L’envers de la médaille
La semaine dernière, à Moscou, les membres du Comité international olympique ont fait un choix politique en désignant Pékin comme la ville-hôte des olympiades de 2008. Au grand dam de Toronto. Le sport passerait-il avant les droits de l’homme?
Beaucoup d’encre a coulé au sujet de la fameuse rencontre du CIO à Moscou la semaine dernière. Des trois principales villes candidates, Pékin, Paris et Toronto, respectivement représentées par une armée de délégués, la capitale chinoise était, aux yeux des observateurs sur place, la grande favorite malgré la controverse liée aux droits de l’homme.
Les chances de Toronto paraissaient surévaluées par les manchettes canadiennes si l’on se fiait aux journalistes et experts circulant dans les halls des deux hôtels liés à la conférence, qui estimaient les chances du Canada quasi inexistantes. La délégation canadienne, pourtant, ne passait pas inaperçue, contrairement à la bande de Pékin qui préférait jouer la carte de la discrétion.
La mine confiante, cependant teintée d’une (feinte?) humilité pour le moins étudiée, les délégués chinois ne semblaient pas brusqués outre mesure par les critiques à l’égard de leur gouvernement. Si, lors de la précédente candidature de Pékin, en 1993, la Chine avait libéré quelques dissidents peu avant le vote, elle n’a même pas jugé nécessaire de se donner une telle peine cette fois-ci.
En reluquant la une de bien des journaux canadiens, on pourrait penser que les défenseurs des droits de la personne étaient nombreux (notamment du côté du comité de soutien au peuple tibétain), alors qu’en fait, il fallait vraiment avoir de la chance pour trouver l’ombre d’un manifestant. Il est vrai qu’à chaque fois qu’un groupe se hasardait à protester, la police russe, toujours à l’affût, arrêtait vivement les contestataires et étouffait l’incident de son mieux. Du travail propre!
Le grand cirque olympique
Moscou n’a pas lésiné sur les moyens pour en mettre plein la vue aux délégués étrangers. Parmi eux se trouvaient les membres votants des comités nationaux, ceux-là mêmes qui pourraient se pencher sur la probable candidature de Moscou pour la tenue des Jeux de 2012. Suivant l’ouverture officielle du Congrès, les invités d’honneur ont eu droit à une représentation spéciale du ballet Giselle, le favori du président Samaranch, au légendaire Bolchoï. Cependant, l’agitation provoquée par le congrès du CIO a semblé laisser la population locale indifférente. Sauf, peut-être, du côté d’une certaine industrie charnelle, et fort lucrative. C’est à croire que les plus belles femmes de Moscou (et elles le sont dangereusement!) s’étaient donné rendez-vous à l’hôtel Mejdounarodnaïa et surtout, au chic Radisson Slavianskaïa.
Apparemment, le prestige international est plus prioritaire que jamais. Dans le camp canadien, si le budget prévu pour l’organisation des Jeux de 2008 était fort modeste comparativement à celui soumis par le concurrent chinois, par contre, la présence de Chrétien, du premier ministre ontarien Mike Harris, du gênant maire de Toronto Mel Lastman (qui n’a pas été épargné par les journalistes), de l’équipe de promotion de la "vibrante Toronto" et des athlètes (de rouge vêtus; astuce un peu grotesque peut-être, mais fort efficace): tout cela totalisait une véritable armée d’environ 200 personnes. À l’ouverture de la présentation sur Toronto, les membres du CIO et journalistes présents ont eu droit à un grand déploiement de plumes et de danses indiennes (incluant la présence d’un "chef indien"), mascarade jugée d’un goût douteux par plusieurs. La présentation de Toronto mettait l’accent sur sa qualité de vie, ainsi que son caractère multiculturel. Pensez! On parle apparemment 80 langues dans cette ville si excitante, d’ailleurs située à proximité de "l’une des sept merveilles du monde": les chutes Niagara. C’est principalement ce qu’a retenu un journaliste russe du Moscow Times, vraisemblablement rentré d’un voyage en terre canadienne…
Difficile de chiffrer le coût d’une telle entreprise de séduction, mais on peut imaginer un budget astronomique. La capitale russe, certes éblouissante, n’offre pas de menus en lettres romaines, et certainement pas en anglais, au resto du coin! Il faut compter un minimum de 1500 roubles par tête (environ 75 $) pour manger calmement, en soirée. Au Radisson, où la plupart des étrangers étaient logés, le prix des chambres débute à 172 US$, y compris la taxe de 26 % (!). Un tarif qui n’inclut même pas le petit déjeuner… Et la grande majorité des hôtels affichent des prix de cet ordre.
Baratin humanitaire?
Au nom de beaux principes cachant surtout une quête de prestige et de capitaux internationaux, voilà que les capitales du monde se jettent tour à tour dans la compétition. Si les retombées économiques anticipées sont souvent importantes, les villes lauréates se retrouvent parfois avec des scénarios virant au cauchemar. En songeant notamment à notre fameux stade olympique, il est facile de se demander plutôt quelle sera la prochaine ville qui risquera l’endettement pour les 20 prochaines années, bouleversera la vie quotidienne de ses citoyens et s’attirera les foudres des organisations humanitaires, ou terroristes, fortement tentées de profiter d’un événement d’une telle envergure pour faire valoir leurs idées sur la scène internationale… On entend peu parler d’Athènes, lieu des Jeux de 2004, alors que la capitale grecque éprouve présentement moult problèmes de gestion pour l’organisation des Jeux.
L’athlète canadienne Chantal Benoît, membre de l’équipe de basket-ball en fauteuil roulant et médaillée aux Jeux de Sydney notamment, me faisait part, quelques minutes avant le vote, sa confiance totale quant aux chances de réussite de Toronto. La jeune femme insistait sur l’importance des Jeux olympiques: "Le sport est porteur de changements sociaux et joue ainsi un rôle capital dans la fraternité entre les peuples…"
Au moment d’écrire ces lignes, le successeur du président sortant n’avait pas encore été élu. Cependant, le candidat montréalais Richard Pound, visiblement épuisé par ce véritable marathon ayant duré depuis plusieurs mois, avait meilleure mine qu’au cours de la semaine précédant l’élection de la ville-hôte.
Parmi la bande canadienne, nombreux étaient ceux qui ne pouvaient retenir leurs larmes. L’athlète Chantal Benoît m’avait également confié, avant le vote, qu’elle comptait militer pour que soit accordé un véritable statut aux athlètes chinois en fauteuil ou avec un handicap, si "une improbable défaite de Toronto" survenait malgré tout. En voilà une qui aura du pain sur la planche.
Chose certaine, la méga entreprise qu’est devenue l’institution olympique gère des revenus qui, investis autrement, pourraient changer le destin de bien des populations. Qu’il soit porteur d’une véritable conscience sociale ou pas, on sait que le mouvement olympique est devenu richissime sous le règne du vieux Samaranch, avec des revenus ayant progressé de 1450 %, et provenant principalement des droits de télévision.
La victoire fulgurante de Pékin laisse songeur. Avec un peu de recul, mieux vaut en rire qu’en pleurer; et croire le discours des optimistes qui prévoient une ouverture très positive du géant chinois sur le monde. L’aventure olympique aurait ainsi pour effet d’assouplir, voire d’améliorer, le régime politique chinois. La preuve reste à faire; et l’organisme Reporters sans frontières promet une vaste campagne d’appel au boycottage.