Société

La semaine des 4 jeudis : L’important, c’est de participer

Montréal maugrée contre 25 ans de factures, Samaranche s’en va, Toronto s’écrase, Dick Pound perd la face, à Salt Lake City, plusieurs procès pour corruption se terminent en renvois interminables.

Cette semaine pluvieuse baignait dans une ambiance préolympique plutôt déprimante. Et pourtant, l’inexplicable se produit chaque fois.

Malgré déficit et dépenses somptuaires, malgré corruption et menaces terroristes, malgré spéculations immobilières débridées et embouteillages persistants, malgré tant d’insolubles problèmes logistiques et tant de tristes précédents, rien n’empêche les nations et les villes du monde entier, petites et grandes, de battre le rappeltous les quatre ans afin d’accueillir les Jeux olympiques. Et d’hurler de joie comme des putois lorsqu’ils remportent la mise, comme l’ont fait lundi dernier des milliers de petits Pékinois inféodés au parti communiste.

Est-ce la perspective d’accueillir de charmantes gymnastes dopées aux hormones de croissance, de fiers haltérophiles difformes gonflés aux stéroïdes, des nageuses velues affligées du cancer de la prostate qui emplit d’ambition les peuples de la terre?

Est-ce la perspective chauvine de brandir drapeaux et oriflammes, héros parmi les siens, afin de mieux écraser ses semblables, qui excite les nations belliqueuses?

Est-ce le désir bien légitime de faire découvrir au monde entier sa région, sa cuisine, sa fierté nationale, le samovar, le kilt, la goulasch, le ragoût de pattes d’ornithorynque, la fricassée de nain de jardin, le sirop d’érable qui ravit les associations touristiques et l’Internationale des cuisiniers moustachus?

Ne rions pas, l’affaire est grave. Elle perturbe des premiers ministres en vacances, dérange des rois qui, entre le 9e et le 10e trou, doivent se fendre d’interminables visites protocolaires afin de mousser (au champagne) des candidatures désespérées. Sous les lambris des hôtels chics, d’ex-athlètes rivalisent au tir au sourire et au lancer de la vidéo promotionnelle, rappelant aux délégués repus leurs superbes exploits, tandis qu’en coulisse on fait du pipeau aux bonzes de télévision et que résonnent les trompettes de la renommée devant les marchands de boissons gazeuses, de gommes à mâcher et d’espadrilles, ravis de pénétrer plus avant de formidables marchés exotiques.

En échange de quoi la Chine s’offre cette semaine rien de moins qu’une réputation toute neuve.

De quoi retirer ce petit caillou des droits de l’homme coincé dans ses sandales qui entrave sa liberté économique.

Depuis l’époque des révolutions répétées qui l’ont affligée, entre les avancées, les reculs et les volte-face de ses petits dictateurs, la Chine a trouvé tout juste le moyen de s’entrouvrir aux marchés. Cette conséquence du demi-échec de ses politiques économiques n’a en rien entamé la volonté de la petite mafia politique qui la dirige de réprimer la liberté d’expression de ses citoyens. Ses politiques apparemment populistes restent celles des élites.

Il s’en trouve cependant pour affirmer que les portes de la démocratie s’entrouvriront naturellement avec les clefs du capital, que c’est par le biais des affaires que la situation des droits de la personne s’améliorera en Chine. Mais les Bush, Chrétien et même Jean-Paul L’Allier (qui accueillera à Québec une délégation chinoise en août), tous partisans de cette utopie, affichent tellement peu d’état d’âme et une si belle langue de bois qu’on ne peut croire que les lois des marchés feront effet sans ne serait-ce qu’une mince pression politique en moins de 100 ans.

D’autres prétendent qu’attribuer les Olympiques à Pékin n’est rien de moins qu’offrir une caution internationale à un régime criminel, et que de toute manière la Chine demeure un pays qui n’a jamais accepté d’influences venues d’au-delà de ses frontières et qu’il n’y a aucune raison que ça change. Je suis de ceux-là.

Amnistie internationale rapporte des milliers de violations particulièrement répugnantes perpétrées contre les droits de l’homme en Chine. Vingt-sept mille cinq cent quatre-vingt-huit condamnations à mort prononcées là-bas durant les 10 dernières années, 18 000 exécutions pratiquées durant la même période, 1000 depuis le début de cette année, parfois pour de simples vols qualifiés. D’innommables persécutions ont été perpétrées contre les pratiquants du Falun-gong au nom du régime communiste. Chantage, torture, extorsion de faux aveux.

Et comment ignorer l’assimilation et l’extermination pure et simple des Tibétains, sport national pratiqué par les fonctionnaires et l’armée chinoise. Comment? C’est simple… En se disant, comme le font en chour la majorité des associations d’affaires, politicailleurs et membres du Comité olympique, que l’important, c’est de participer.