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Acceptation des gais : Faut-il crier victoire?
L’homosexualité est-elle encore marginale dans notre monde plus tolérant? Entre l’acceptation de la culture gaie et celle des homosexuels dans le quotidien, il y a une marge que la société hésite toujours à franchir. Chronique d’une vie en rose.
Luc Boulanger
Je me souviens fort bien de la première fois que j’ai vu des homosexuels. J’avais 15 ans. Par un beau soir de printemps, je m’étais aventuré rue Stanley – le "quartier" gai à la fin des années 70 – afin de vérifier si j’en étais bel et bien. Trop jeune pour aller au Jardin, alors le temple du disco avec le LimeLight, j’ai opté pour un restaurant du voisinage. Quatre hommes attablés près de l’entrée m’observaient, amusés.
Quatre hommes? Que dis-je! Aux yeux de l’adolescent d’Ahuntsic, ils ressemblaient plutôt à d’étranges créatures, fardées et parfumées. Ils portaient des chemises en dentelle ornées de jabots, des bagues éclatantes à chaque doigt, du vernis très noir sur les ongles… J’étais terrifié! Dans un grand éclat de rire, entrecoupé de "bitcheries" où le féminin l’emportait sur le masculin, le groupe m’a invité à sa table… Deux minutes plus tard, à bout de souffle, je m’engouffrais dans le métro, direction Henri-Bourassa. Durant toute la nuit, j’ai songé à mon avenir avec stupeur: Est-ce que j’allais, moi aussi, me vernir les ongles de noir toute ma vie?!?
Vingt ans plus tard, un ado de 15 ans qui découvre le Village gai ne se sent plus aussi seul. Il peut discuter d’un épisode de Queer as Folk avec ses amis au Second Cup; ou de la crédibilité du couple formé par René Richard Cyr et Bobby Beshro dans Nuit de Noces. Il risque d’être accosté par un reporter de Sortie Gaie; ou d’apercevoir les politiciens Réal Ménard ou André Boisclair à la terrasse d’un bar. Il croisera des gars et des filles de tous les styles et de tous les groupes sociaux. Entre les costumes colorés de Madame Simone et les hommes musclés sortant du gym, en passant par les lipstick lesbians préférant les sushis d’Est-Asie à la draft du Drugstore, le Village – sans être parfait – offre une multitude d’images de l’homosexualité.
Car les temps ont changé. En 2001, les gais découvrent leur orientation sexuelle dans un monde où la culture gaie se fond dans la culture dominante; où des éléments de la première sont récupérés par la seconde. Les raves, le culte du corps, l’androgynie, les travelos, l’humour bitch de Will & Grace, le piercing, Ricky Martin, Ellen DeGeneres et l’homoérotisme en général font désormais partie de la culture de masse. De plus en plus d’hommes sont coquets et achètent des produits de beauté. À la maison, les pères de famille discutent cuisine et design. Tandis que les célibataires décorent leur appartement avec soin. Jusqu’aux joueurs de hockey qui s’intéressent à la mode, tel Stéphane Quintal qui s’habille en DUBUC et ne rate pas un défilé du designer. On est loin de Maurice Richard dont l’ultime coquetterie était de laisser "juste un peu de gris" sur ses tempes…
Les hétéros qui vont danser sur la Main ressemblent aux homos du Village. Chemise ou t-shirt moulant parfaitement leurs muscles, les straights ne se gênent plus pour exhiber fièrement leur torse bronzé, épilé et tatoué. En fait, certains gars ressemblent à s’y méprendre à des Circuit Party Boys même s’ils n’ont jamais mis les pieds dans un bar gai! Comme remarquait un ami, boulevard Saint-Laurent, un samedi soir: de nos jours, on ne sait plus si un homme est homosexuel ou homophobe!
La philosophie dans le placard
Dimanche après-midi, des centaines de milliers de gens vont célébrer la Fierté à Montréal. Hétéros, homos, trans et bisexuels réunis; cuir, paillettes et fortrel confondus. Même les animateurs de CKMF et de CKOI, de leur voix grave et virile, sympathiseront sur les ondes. "C’est tellement branché d’être gai, qu’on a presque honte d’être hétéro!" a lancé l’an dernier l’un d’eux qui couvrait l’événement.
Hélas, la réalité est tout autre. La Fierté gaie, c’est un peu comme le temps des Fêtes pour les familles. Pendant le party tout l’monde s’aime, s’embrasse et fraternise. Puis, le lendemain, la réalité revient avec le mal de bloc. Et les conflits recommencent.
Voilà le paradoxe de la société actuelle: tout en se montrant favorable à la culture gaie, elle n’est portant pas prête à accepter ouvertement les gais. Elle veut bien écouter notre musique, regarder nos sitcoms, emprunter nos vêtements et aller voir notre défilé; mais de là à nous avoir dans le décor tous les jours, il y a un fossé que beaucoup d’hétérosexuels ne veulent pas franchir.
Et aussi certains homosexuels. Car la majorité des gais persiste à croire (malgré tant d’exemples prouvant le contraire) que le placard demeure le meilleur endroit pour vivre son homosexualité. J’ai un exemple frappant. Un recherchiste à Radio-Canada (lui-même gai) m’a récemment confié qu’il admirait mon travail journalistique. "Par contre, a-t-il ajouté un peu embarrassé, tu ne devrais pas écrire sur les gais… Tu es trop talentueux pour ça!"
Trois mois plus tard, je me demande toujours s’il s’agissait d’un compliment ou d’une insulte. Malheureusement, ce genre de raisonnement est assez répandu chez les gais dont l’estime demeure fragile (il faut dire que peu de gens les ont aidés à la renforcer). Imaginez un instant qu’on dise à Nathalie Petrowski qu’elle est une excellente chroniqueuse… sauf lorsqu’elle aborde la question des femmes; ou à Richard Hétu qu’il fait un excellent boulot pour La Presse à New York… mais qu’il devrait éviter de parler des Noirs!
L’homophobie: un cancer social
Certes, comme les femmes et les Noirs, les homosexuels ont gagné plusieurs batailles. Un récent sondage Gallup (réalisé au pays de George W. Bush et rapporté dans The Advocate) démontre qu’une majorité d’Américains, 52 %, trouve que l’homosexualité est un mode de vie tout à fait acceptable, comparativement à 38 % en 1977. Au Québec, la longue lutte de Roger Thibault et de Théo Wouters en est un autre exemple. Vous connaissez ce couple qui a défrayé les manchettes au printemps. Depuis 15 ans, les deux amoureux cultivaient paisiblement leur jardin dans leur maison à Pointe-Claire. Puis, un beau jour, des voisins homophobes ont décidé de leur rendre la vie insoutenable parce qu’ils étaient gais: menaces de mort, attentat à la propriété, harcèlement, etc.
Cette histoire (qui n’est toujours pas finie) a connu son point culminant le 27 mai dernier, alors que 3000 personnes ont marché dans les rues de Pointe-Claire pour appuyer le couple. Bien sûr, cette manifestation (et sa grande couverture médiatique) a prouvé que beaucoup de chemin a été parcouru depuis 30 ans, et que la société n’accepte plus ce type de discrimination. C’est très positif.
Mais il y a malheureusement un envers à la médaille. Pour moi, la lutte de Roger et de Théo rappelle également que l’homophobie est un cancer qui peut réapparaître à tout moment. Car cette manifestation m’a fait prendre conscience que, sans la solidarité et le travail acharné de la communauté et de ses leaders, les gais et les lesbiennes demeurent des individus seuls, isolés, marginalisés, dont le petit bonheur est sans cesse menacé.
Roger et Théo ne sont pas un cas isolé. Comme en témoigne Michelle Lamoureux, coordonnatrice de Dire enfin la violence : "Depuis août 2000, nous avons reçu plusieurs plaintes de ce genre, précise-t-elle dans une entrevue au magazine Fugues (juillet 2001). En fait, pour environ 15 % des plaintes recueillies par Dire enfin la violence durant cette période, l’agresseur a été le voisin de la victime. Les cas sont donc nombreux, et ce, en région autant qu’à Montréal. En général, un membre homophobe du voisinage risque de traiter la victime de tous les noms, de la suivre, de l’attaquer… Bref, tout pour lui rendre la vie misérable. À titre d’exemple, il y a deux ans, un homme a peinturé la clôture de son voisin en rose et y a inscrit le mot "FIFI". Encore récemment, une femme a menacé de tuer le chat de sa voisine parce que celle-ci est homosexuelle. Et bien des gens n’ont pas le courage de formuler une plainte, déplore Michelle Lamoureux. La situation serait donc encore plus sombre que ne le laissent présumer les statistiques…"
Masculin-féminin
Malgré la popularité de la Gay Pride, il semble donc que l’homophobie soit en santé. Le défilé de la Fierté attire des millions de gens en Occident: 800 000 personnes à Toronto; 500 000 à Montréal et à Paris. Jusqu’à Sion, une petite ville très conservatrice dans le Valais, où 20 000 Suisses ont célébré pour la première fois l’événement, le 8 juillet dernier. Et pourtant, dans la vie de tous les jours, l’insulte suprême qu’un hétérosexuel peut recevoir c’est "maudite tapette". On peut le traiter de gros porc ou de débile léger, cela passera toujours mieux que maudit fif!
Dans une entrevue sur Internet entourant la sortie de son film Hedwig and the Angry Inch, le comédien new-yorkais John Cameron Mitchell déplore que, pour un homme, la pire chose au monde, c’est d’être efféminé. "Il existe une expression commune en anglais qui s’applique à tout le monde: Don’t be a girl. Elle implique qu’être une fille, c’est faible et dégradant. À mon avis, il n’existerait pas d’homophobie s’il n’y avait pas d’abord de misogynie. (…) Pourquoi pensez-vous qu’il y a autant d’homosexuels qui font excessivement de la musculation au gym? Ils ont grandi en craignant de laisser paraître leur côté féminin. Alors, ils se virilisent pour pouvoir se défendre des autres et aussi d’eux-mêmes. Ils pensent que s’ils deviennent aussi forts que leurs agresseurs, tous leurs problèmes vont être réglés. Plus jeune, moi aussi je haïssais les gars efféminés, tandis que je trouvais ça beau une fille masculine."
Curieusement, les propos de Cameron Mitchell m’ont rappelé le souvenir lointain de la rue Stanley. Ce soir-là, en même temps que le nightlife gay, l’adolescent que j’étais découvrait la part féminine tapie en lui. Sous les traits outranciers de quatre "folles" sur le party, il réalisait que le monde est cruel envers ceux qui sont différents; impitoyable avec ceux qui osent afficher leur différence; et surtout, inconfortable avec le côté féminin des êtres.
Or, aujourd’hui, je regrette seulement une chose: ne pas avoir surmonté ma peur, et m’être assis à leur table.
Défilé de la Fierté gaie et lesbienne
Le 5 août
Départ à midi au coin de Guy et René-Lévesque
Photo: Benoit Aquin
Maxim Martin
Dur à cuir
Dans le sous-sol de la boutique Priape (qui ressemble à un donjon), Maxim Martin se prête volontiers à l’essayage d’accessoires en cuir pour souligner à sa manière le week-end de la Fierté gaie. L’humoriste reconnu pour son franc parler, ses blagues salées et osées sur le sexe découvre avec curiosité le monde du fétichisme. Il ne se gêne pas pour poser au vendeur des questions explicites sur les différentes pratiques sadomaso. Comme quoi un artiste fait toujours de la recherche…
Un an après l’affaire Daniel Pinard, est-il toujours de bon ton de faire des blagues sur les homosexuels et les lesbiennes? "C’est sûr qu’on marche un peu plus sur des oeufs, remarque Maxim Martin. Mais je ne pense pas qu’il y ait plus d’homophobie parmi les humoristes qu’ailleurs dans la société. Parfois, on dirait que c’est juste les gais qui ont le droit de rire d’eux-mêmes. Si je faisais les mêmes blagues de saunas que Mado Lamotte, ça créerait un tollé parce que je suis un humoriste hétéro. Mais de la part d’un travelo, c’est drôle…"
L’humoriste estime avoir été, avec Peter McCleod, l’un des comiques les plus réprimandés à la suite de l’affaire Pinard. "Au début, le débat portait sur les blagues homophobes dePiment fort. Plus tard, il a dévié sur la vulgarité en humour. Et là, Peter et moi, nous formions des bonnes cibles pour les journalistes, dont certains n’avaient vu aucun de mes shows. Pourtant, mes blagues de cul ne sont pas plus osées que, par exemple, une manchette d’Elle Québec vantant les mérites de la fellation, ou une émission de Janette Bertrand, sauf que j’aborde ces sujets dans le but de faire rire, et de dénoncer l’hypocrésie."
Dans son premier one man show, Maxim Martin fait une blague sur Claude Charron, qui est très drôle. Il a aussi des numéros sur le viol, la pédophilie. Y a-t-il des limites à son humour? "Je ne crois pas aborder des sujets pour seulement choquer. Pour moi, c’est important de provoquer un réflexion chez les gens, de jouer avec les lieux communs. J’ai un nouveau numéro sur la fierté des Québécois dans lequel j’interroge les réflexes nationalistes."
Maxim Martin a plusieurs amis gais; "je fais avec eux la même chose qu’avec mes chums straight: on boit de la bière, on regarde les Canadiens à la télé, et on parle de cul". Oserait-il faire comme Coluche qui avait couché avec un homme afin de préparer un sketch sur l’homosexualité? "Non, je ne pense pas aller jusque-là, répond le jeune (et récent) père de famille. Je manque peut-être quelque chose. Au fond, c’est comme sauter en parachute: si les gars hétéros craignent tant de coucher avec un autre homme, c’est peut-être parce qu’ils ont peur d’aimer ça!… En général, les femmes sont plus game pour essayer…"
Maxim Martin sera au Vieux-Clocher de Magog
Les 5, 6, 12, 13, 19 et 20 août