Allan Rock et le sida : « Il faut sonner l'alarme! »
Société

Allan Rock et le sida : « Il faut sonner l’alarme! »

Il y a deux semaines, à la demande de Nathalie Rochefort, la nouvelle députée de Mercier, le ministre fédéral de la Santé, monsieur ALLAN ROCK, est venu à Montréal afin de rencontrer des représentants de groupes communautaires. Nous en avons profité pour lui poser des questions sur le programme fédéral de lutte contre le sida.

Depuis quelques années, la publicité sociétale (c’est-à-dire les messages contre l’alcool au volant ou le tabagisme, par exemple) est de plus en plus corsée. Poumons noircis, accidents sanglants, gencives ravagées – on n’hésite plus à multiplier les images sensationnalistes afin de sensibiliser le public et le sortir de sa torpeur. Mais pendant ce temps-là, les campagnes de prévention contre le sida, elles, continuent de nager dans la ouate. Amoureux lascifs, étreintes langoureuses, "le condom, c’est enveloppant": plus romantique, tu meurs.

C’est justement ce qui arrive: malgré l’arrivée de la trithérapie, des gens continuent de mourir du sida, et le taux de conversion à la séropositivité continue d’augmenter partout au pays. C’est pour contrer cette tendance inquiétante que le ministre fédéral de la Santé, monsieur Allan Rock, songe à "muscler" les campagnes de prévention.

"Avec notre dernière campagne contre les méfaits du tabagisme, on a constaté que le fait d’adopter une approche plus agressive attirait l’attention des gens et les encourageait à changer leurs comportements, nous a dit le ministre. Je trouve que le temps est venu de faire de même dans nos campagnes de prévention contre le sida. Soyons francs, les pubs promouvant le safe sex et le port du condom ne touchent plus les gens. Il faut durcir le ton, montrer les effets de la maladie. Après tout, il est question de vie ou de mort. Malgré le succès de la trithérapie, on n’a pas encore trouvé de remède au sida, et le virus continue de faire des ravages dans la population. On est loin d’avoir gagné la guerre, et il faut que la population le sache."

Verrons-nous bientôt des affiches montrant un mourant entouré des siens, comme dans la célèbre pub de Benetton? Trop tôt pour le savoir. Mais une chose est sûre: lorsqu’il est temps de faire passer un message, la modération n’a plus meilleur goût.

Cela dit, c’est bien beau, la pub, reste qu’il faut aussi de l’argent pour combattre efficacement le sida. Or, le budget alloué par le gouvernement fédéral pour la lutte contre le sida (42 millions de dollars) n’a pas augmenté depuis… 1991! Une situation que les groupes communautaires dénoncent avec vigueur.

"Les gens qui se battent sur le terrain ont raison de demander plus d’argent, dit le ministre. C’est pourquoi je les rencontre: pour écouter ce qu’ils ont à dire, et développer une nouvelle stratégie avec eux. Ensuite, je présenterai cette stratégie devant le Conseil des ministres et je leur demanderai de consacrer une plus grande part du budget à la lutte contre le sida." S’attend-il à être bien reçu? "Je vais utiliser l’argument économique. Je vais leur faire comprendre que chaque fois que nous prévenons une infection, nous sauvons des millions de dollars au système de santé. Il faut voir le problème dans son ensemble."

À quoi ressemblera cette nouvelle stratégie? "Nous sommes en train de la mettre sur pied, je suis encore au stade de la consultation. Mais le mot-clé, c’est la souplesse. Il ne faut pas se mettre dans un carcan. Il faut pouvoir réorienter notre tir en cours de route, car le sida évolue rapidement, et touche différents groupes sociaux. Les femmes et les autochtones, par exemple, sont beaucoup plus affectés qu’ils ne l’étaient il y a 10 ans. Il faut aussi rendre plus efficace le système d’approbation des nouveaux produits pharmaceutiques."

Et les piqueries légales, c’est pour quand? "Nous étudions la question de près. L’important, c’est d’établir un consensus entre les différents intervenants: la police, la communauté, les travailleurs de rue. Idem pour la légalisation des drogues douces. Quand j’étais ministre de la Justice, je me suis rendu compte que les sommes dépensées pour traîner en cour les individus accusés de possession simple étaient astronomiques. Nous avons donc songé à traiter la possession simple non comme un crime, mais comme une effraction, exactement comme un excès de vitesse. Les gens trouvés en possession de petites quantités de drogues n’auraient plus été jugés d’après les disposition du Code criminel, mais d’après la Loi des contraventions. Cela aurait contribué à désengorger les tribunaux."

Et qu’est-il arrivé? "Nous avons établi la plate-forme, mais nous ne nous sommes pas rendus à l’étape suivante. Avant d’aller plus loin, nous avons demandé à un comité du Sénat (le Comité spécial d’étude sur les drogues illicites au Canada) d’étudier la stratégie du gouvernement fédéral en ce qui concerne les drogues non médicales. Nous attendons les recommandations de ce comité avant de trancher. Un projet comme celui de décriminaliser les drogues douces aurait plusieurs conséquences, autant économiques que sociales. Il ne faut pas oublier que le Canada a signé des ententes internationales concernant la lutte contre le trafic de drogue et que nous entretenons des liens étroits avec les États-Unis. Bref, il faut étudier la question sous tous les angles avant de prendre une décision."