Expertise des oeuvres d'art : Faux devant!
Société

Expertise des oeuvres d’art : Faux devant!

L’une des armes les plus redoutables pour découvrir les faux ornant les murs des galeries d’art et des musées pourrait bien avoir été créée au Manitoba dans un dessein a priori désintéressé et strictement éducationnel. Entrevue avec des chercheurs fous du très petit qui ont mis au monde un rejeton sans pareil…

Trois enseignants de l’Université de Winnipeg ont adapté un système d’abord destiné à la découverte des cancers et seraient maintenant capables de garantir avec une certitude impressionnante la période et l’endroit de création d’une toile ainsi que le nom de son auteur grâce à l’analyse des particules qui composent chacune des couleurs. Et sans toucher à la surface peinte.

Formé il y a cinq ans, ce triumvirat d’enquêteurs composé d’un chimiste, d’un géographe-spectroscopiste et d’une historienne de l’art sera prêt d’ici une année environ à se lancer à l’assaut des grandes collections du monde à la recherche de sujets d’étude. Équipés d’une caméra à infrarouge, d’ordinateurs et des autres pièces de leur appareillage exclusif, ils seront à même de sonder les teintes à la poursuite de précieuses informations.

"On peut identifier les pigments qu’il y a dans la peinture. C’est ça la chose la plus importante parce qu’en connaissant la chimie et la composition des éléments de l’oeuvre, on peut voir s’il y a des pigments uniques qui viennent d’un endroit en particulier en Europe ou ailleurs. On peut alors identifier exactement où cette oeuvre a été composée… et par qui, parce qu’il y a une signature personnelle de l’artiste qui se voit dans la façon dont les couleurs sont mélangées", détaille l’historienne du groupe, Claudine Majzels, passionnée.

"On peut aussi "voir" une date, pas exacte, mais on pourrait savoir si quelque chose est authentique du XVe ou du XVIe siècle ou si c’est une copie du XVIIIe ou du XIXe siècle parce que les pigments sont très particuliers par région et par époque."

Mais que font-ils précisément? "D’abord, on voit l’oeuvre dans la lumière infrarouge, explique Mme Majzels. Puis, les reflets que la caméra observe sont transmis à un ordinateur. Celui-ci a un programme [créé par les experts] qui peut interpréter la spectroscopie des éléments vus sous la lumière infrarouge. On a le profil de chaque élément. Il y a différents profils pour les différents éléments dans la peinture, pour tous les métaux et tous les éléments organiques qui sont utilisés pour faire les pigments."

Ainsi, ils sont capables de savoir si, par exemple, le dessin de départ sur la planche a été fait à base d’argent ou si le rouge peint dessus est composé de plantes ou de produits métalliques. "Comme ça, on peut comprendre la composition chimique de l’oeuvre, et ça, c’est très très précieux comme information parce qu’on peut savoir comment la conserver et on peut identifier la source de ses pigments."

Les explorateurs du microscopique ne se contentent toutefois pas de trouver les éléments. Pour une précision sans faille et des jugements sans appel, ils poussent encore plus loin leur recherche. Le chimiste, Douglas Goltz, ouvre une petite parenthèse afin d’éclairer nos lanternes: "Nous utilisons la spectroscopie moléculaire aussi pour savoir comment les pigments évoluent avec le temps, en vieillissant. S’ils sont exposés aux rayons UV, à la lumière, à l’humidité, à des polluants, etc. Cela affectera les pigments qui changeront d’un point de vue chimique."

C’est donc à la laborieuse tâche de cataloguer les éléments et leur évolution dans le temps que s’évertuent présentement les trois compères. "Il faut trouver la spectroscopie de tous les pigments qui ont jamais été utilisés!" s’exclame Mme Majzels. Avant de signifier à un grand musée qu’il présente une copie ou un faux, il est préférable de ne pas avoir le moindre doute. "C’est toujours difficile pour [un musée] d’admettre qu’il a quelque chose qui n’est pas ce qu’il avait dit qu’il avait. Le public peut être déçu ou perdre confiance."

Ainsi, pour s’exercer, ils commenceront par une collection du Musée des beaux-arts de Winnipeg, un de leurs partenaires. Le vicomte Gort avait légué de nombreuses oeuvres datant des XVe et XVIe siècles à l’institution. Mais cette dernière n’a jamais pu les attribuer à des auteurs en particulier.

Il semble que leur argument de "vente" le plus vigoureux ait plu au musée: "On a une méthode qui n’est pas du tout "intrusive", poursuit Mme Majzels. [Contrairement à ce qui se fait d’habitude], on n’a pas besoin d’enlever un morceau de peinture et de l’analyser dans un laboratoire chimique avec des acides. On n’a pas besoin de faire quoi que ce soit qui peut abîmer l’oeuvre."

Histoire de gros sous
Leur statut de chercheurs universitaires devrait tout autant jouer en leur faveur, croit Mme Majzels. "Jusqu’à maintenant, ça a été un champ d’étude très compétitif. Un connaisseur [celui qui pouvait identifier les oeuvres des grands maîtres] au XVIIe, au XVIIIe et, surtout, au XIXe siècle, c’était quelqu’un qui avait beaucoup de pouvoir. Durant des siècles, c’était simplement à l’oeil qu’on reconnaissait certains traits de la signature d’un peintre. La façon de mettre les cils sur les yeux, par exemple."

"Comme Bernard Berenson, qui étudiait en Italie. Il avait tellement de pouvoir que, à un certain point, on ne peut pas savoir s’il trichait ou pas. Parce que si on est la seule personne qui connaît la différence entre un Raphaël et un Tintoret, alors tout le monde veut savoir. Tout le monde va vous payer beaucoup beaucoup d’argent pour savoir s’il a une oeuvre plus précieuse qu’une autre. La vente des oeuvres et des identifications, ça peut devenir très personnalisé." Donc, est-ce que les vrais sont vrais? Cela reste à vérifier.

"Alors, en faisant ça d’une façon plus objective avec des résultats plus matériels, on évite ces questions de pouvoir personnel que les connaisseurs avaient autrefois, renchérit Mme Majzels. Et, peut-être, on peut trouver des vérités qui ont été cachées jusqu’à maintenant."

L’équipe pense donc être à même de dénicher des oeuvres contrefaites? "C’est très très rare de trouver des faux. Ce qu’on trouve plus souvent, ce sont des copies, tempère Mme Majzels. Jusqu’au XIXe siècle, bien sûr, il n’y avait pas de photographie. Alors, les artistes, pour reproduire une oeuvre, en faisaient une autre. Par exemple, on sait que Léonard de Vinci a probablement fait deux Joconde. Il y en a une à Paris que tout le monde connaît et il y en a une à New York qui est probablement aussi de lui."

"Les artistes faisaient eux-mêmes plusieurs [exemplaires] de leurs oeuvres et, en plus, tous les étudiants qui voulaient devenir maîtres étaient obligés de faire des copies des tableaux de leurs maîtres. C’était comme ça qu’on était instruit."

Les grands musées doivent donc abriter nombre de reproductions? "Oui, c’est fort probable. […] Il y a beaucoup de copies", soutient l’historienne.

Il ne faut néanmoins pas repousser du revers de la main la thèse de l’existence de multiples oeuvres factices. Bien que quelques précisions s’imposent, selon Mme Majzels. "L’idée de faire des faux, l’idée qu’on puisse tricher, c’est assez moderne. […] C’était très rare qu’il y ait des faux intentionnels jusqu’au XIXe siècle; quand le commerce de l’art a changé, il est devenu très capitaliste. Ça se faisait toutefois de temps en temps. On sait que Michel-Ange, par exemple, a fait un petit bronze et l’a enterré dans son jardin pour qu’il devienne un peu oxydé et sali. Et il a essayé de le vendre comme une antiquité!" Il appert donc que nos contemporains sont plus portés vers la tricherie.

Ainsi, l’équipe de l’Université de Winnipeg pourrait bien faire des découvertes spectaculaires. On n’a qu’à penser au cas de Rembrandt. "Il y a beaucoup trop de Rembrandt dans le monde pour un seul maître! C’est évident qu’il y a des faux et des copies."

"[Si on en trouve], la question sera alors: "Est-ce que ces oeuvres valent moins parce qu’elles ne sont pas de Rembrandt lui-même ou est-ce qu’elles valent encore autant parce qu’elles sont très belles, même si elles sont faites par d’autres maîtres, qu’on connaît moins, mais qu’on devrait connaître plus puisqu’ils sont capables de faire quelque chose d’aussi beau?"" se demande-t-elle.

"Maintenant, si c’est un faux du XXe ou du XIXe siècle de quelque chose de plus vieux et qu’on voit que c’est un acte criminel, que quelqu’un a essayé de tromper le public ou les experts, alors on aura une histoire beaucoup plus sensationnelle!"

Mais, sous la loupe des chercheurs, tout ce débat sur la valeur des oeuvres demeurera toujours irrationnel, insensé. Leur but premier n’est que de faire avancer la connaissance, certifie Mme Majzels. "Pourquoi un canevas avec un peu d’huile de couleur dessus vaut tellement? En principe, ça vaut peut-être 50 $. Qu’on paye des prix dans les milliers de dollars, ça, c’est très absurde, c’est un phénomène social qui est très intéressant."

Et que les détenteurs de faux se le tiennent pour dit, les enseignants entendent bien propager leurs vues. "On va créer un cours pour 2002 pour les étudiants avancés. Alors les étudiants en histoire de l’art, en chimie et en géographie pourront former d’autres petites équipes…"