La violence contre les homosexuels à l'école : À quand la récréation?
Société

La violence contre les homosexuels à l’école : À quand la récréation?

Pour les jeunes homosexuels, l’école n’est pas toujours un terrain de jeu. Car les élèves gais ou lesbiennes sont les premières victimes de harcèlement verbal et physique, de bullying, comme on le décrit plus souvent. Qu’attendent les écoles pour endiguer le problème?

Dominic a profondément détesté son parcours scolaire, truffé d’embûches et d’obstacles. Aujourd’hui âgé de 22 ans, il se souvient des difficultés vécues à son école secondaire du Nord de Montréal et des journées passées à éviter les autres, à longer les corridors tête baissée, à tenter de devenir invisible. Le tout, afin d’éviter les coups, les plaquages dans les cases et les claques derrière la tête. Les attaques de tout acabit, quoi.

Dominic est homosexuel. Ou bien "fif", "tapette" et "moumoune", selon ses anciens agresseurs. "Longtemps, je me suis senti coupable d’être gai. Je me faisais battre, bousculer, voler mon lunch et mon argent. Même si j’ai réussi à m’en sortir, et à me lancer dans des études en comptabilité, il n’y a pas une seule journée où je ne suis pas méfiant envers les autres." À tel point qu’il hésite maintenant à dévoiler autre chose que son prénom…

Sans être le lot de la majorité des jeunes homosexuels, l’histoire de Dominic n’est pas unique. Loin de là. La violence envers les jeunes gais se perpétue. Exemple parmi tant (trop?) d’autres: l’année dernière, dans une polyvalente de la Rive-Sud, un jeune a été agressé au couteau par un autre élève parce qu’il s’affichait ouvertement gai… Un cas extrême, certes, mais un événement qui démontre le règne d’un climat de tension.

Des moqueries aux sévices physiques, en passant par le taxage, plusieurs formes d’agression touchent les jeunes en général. Cependant, selon des intervenants du milieu scolaire, les principales victimes de bullying, ces attaques et brimades perpétrées par de petits caïds, s’avèrent les jeunes homosexuels. Une étude de Human Rights Watch réalisée aux États-Unis le démontre: les élèves gais ou lesbiennes endurent plus que quiconque (les minorités ethniques, par exemple) un harcèlement quotidien.

"Être un jeune gai ou une jeune lesbienne dans une école du Québec, c’est bien souvent être victime de moqueries et de bousculades, estime Alain Johnson, directeur général de Gai Écoute et ex-directeur adjoint du Collège Mont-Saint-Louis, une école secondaire de Montréal. Le problème, c’est que peu de choses sont faites pour éviter cette situation. Par exemple, si un jeune traite un autre élève de nègre, le personnel scolaire intervient, car ce comportement raciste n’est plus acceptable, tout comme les propos sexistes d’ailleurs. On n’a pas encore le même réflexe envers les comportements homophobes. Les écoles ont des règlements qui interdisent toute forme de harcèlement basé sur la couleur de la peau, la religion et le sexe. Cependant, très, très peu d’écoles y ont inclus l’orientation sexuelle. Il faudrait le faire, car la situation est grave et les répercussions sont néfastes."

L’étude et le livre intitulés Mort ou fif et réalisés par le sociologue Michel Dorais ont d’ailleurs sonné l’alarme: le taux de suicide ou de tentative de suicide chez les jeunes homosexuels est dramatiquement plus élevé que chez les jeunes hétéros. De plus, selon un sondage de Léger Marketing réalisé pour le compte de Gai Écoute, 45 % des Québécois pensent qu’un jeune qui découvre son homosexualité sera malheureux dans la vie, alors que 45 % estiment qu’il est temps de parler de ce phénomène dans le milieu scolaire. Signe des temps…

Coup de gueule
"Être homosexuel, c’est le dernier grand tabou et l’insulte suprême à l’école, ce qui amène les jeunes à enregistrer dans leur tête qu’être gai ou lesbienne est la pire chose qui puisse arriver", affirme Jean-François Hallé, coordonnateur du Groupe de recherche et d’intervention sociale gais et lesbiennes (GRIS). Hallé parle en connaissance de cause: il a été lui-même agressé à l’école en raison de son orientation sexuelle. Tant et si bien qu’aujourd’hui, il parcourt les écoles et les classes en compagnie d’une trentaine de bénévoles pour faire campagne en faveur d’une plus grande ouverture et éviter que d’autres jeunes subissent les même sévices. "Beaucoup de travail reste à accomplir de ce côté", note-t-il.

Et pour cause. Pour prouver ses dires, Hallé ne manque pas d’histoires pathétiques. Il y a, entre autres, celle de ce jeune de la banlieue de Montréal dont la mère, exaspérée, a téléphoné au GRIS ce printemps. "Ce jeune était isolé à l’école pour éviter les agressions tellement il était menacé physiquement par d’autres élèves, raconte-t-il. Il se promenait dans les corridors toujours accompagné d’un membre du personnel, arrivait cinq minutes après le début des cours et quittait cinq minutes avant leur fin pour éviter tout contact avec ses agresseurs. Il dînait même seul dans une classe. Bref, on le mettait à part, on l’enfermait!" Ce qui fait dire à Hallé que la société québécoise a encore du chemin à faire… "La majeure partie des gens sont prêts à tenir un discours de tolérance envers l’homosexualité, affirme-t-il. Mais tolérance n’égale pas nécessairement respect et acceptation."

On le devinera, les conséquences de l’isolement et du bullying s’avèrent bien souvent désastreuses. Mylène St-Pierre rencontre bien des jeunes en tant qu’intervenante au sein du Projet 10, un organisme qui vient en aide aux jeunes homosexuels de 14 à 25 ans par des ateliers et des groupes de soutien. Son constat est peu reluisant. "Les jeunes homosexuels agressés sont victimes de dépression, développent parfois des troubles de comportement et voient leur estime de soi fortement diminuée. Si la plupart s’en tirent bien et ne sont pas continuellement victimes de violence, il reste que d’autres ont plus de difficulté."

Quelle solution?
Si le bullying se perpétue et fait encore des victimes parmi les jeunes homosexuels, c’est en partie en raison de la banalisation des gestes de violence et de la timidité des interventions des directions d’école en cette matière. "Mais les choses commencent à changer", souligne Alain Johnson. Ce dernier ne manque pas de souligner la création, en octobre dernier, d’une table de travail sur l’homosexualité par la Commission scolaire de Montréal et celle de la campagne de Gai Écoute, Permettez-moi d’être heureux, qui vise à sensibiliser le personnel enseignant à la réalité de l’homosexualité.

Toutefois, Jean-François Hallé est plus pessimiste. "Je ne crois pas au discours positif et à l’amélioration réelle de la situation des jeunes gais à l’école. Rien n’est directement fait pour éviter les comportements homophobes." Hallé en prend pour preuve la réticence de plusieurs écoles à recevoir son groupe. "À peine quatre polyvalentes à Montréal ont voulu nous rencontrer, estime-t-il. La banlieue est un peu plus ouverte, mais c’est encore très difficile de se faire accepter. Les directeurs ont peur et certains parents ne veulent pas nous voir dans les classes."

Selon tous les intervenants interrogés, les écoles devraient donc faire plus. Toutefois, peu de gestes concrets sont accomplis: par exemple, seulement 100 écoles secondaires sur environ 700 au Québec ont accepté d’inscrire le numéro de Gai Écoute à côté de celui d’autres organismes d’aide dans l’agenda scolaire de septembre 2001… "Si inscrire un numéro dans un bottin est difficile, conclut Jean-François Hallé, imaginez le reste!"