

Les "lofteurs" de Loft Story : Soft Story
Première expérience du genre dans l’Hexagone, le reality show Loft Story a soulevé les passions en France. Télé-réalité ou télé-poubelle? La journaliste Karima Brikh est allée rencontrer les gagnants de l’émission: Christophe et la bombe blonde Loana, devenus des superstars…
En France, Karima Brikh
À Saint-Tropez, à quelques kilomètres de la Madrague, la célèbre résidence de Brigitte Bardot, et après avoir survécu à plus de trois heures d’embouteillages, voici finalement la villa dont toute la France parle: la Bastide des Carles. À voir la meute de fans à l’entrée, appareil photo en main, tous prêts à prendre un cliché de l’ombre de leurs nouvelles idoles, je me demande comment je parviendrai à franchir l’entrée de la forteresse des nouvelles stars françaises: Loana et Christophe. Car, pour les gagnants de la première émission de télé-réalité française, Loft Story, qui auront été filmés 24 heures sur 24 pendant 70 jours, les dispositifs de sécurité n’auront pas été pris à la légère. Je fonce. Je réussis à me faufiler parmi les curieux, parents, enfants et adolescents hystériques, je franchis l’infranchissable…
Finalement, c’est autour de la piscine que l’interview débutera… une heure et demi plus tard! Chaleureux, bronzé jusqu’aux os, c’est Christophe qui m’accueillera de son plus beau sourire. Aussitôt installé, il ne tardera plus à me livrer l’aventure qui, du jour au lendemain, l’aura conduit au rang des personnalités médiatiques les plus en vue de France.
Exposure permanente
"J’avais besoin de me tester, de me défier, d’approcher mes limites, affirme Christophe. Et, tout comme la plupart des autres participants, l’envie de se montrer et de se faire connaître en tant que personne était présente. C’est vrai que dans la vie de tous les jours, nous sommes des gens qui n’ont pas peur de se montrer." Enfermés dans un loft de 225 mètres carrés, repliés sur eux-mêmes, sans télévision, radio, journaux, ni téléphone, avec tout un arsenal technique filmant jusque dans les moindres angles, la machine Loft Story était prête à tout capter. Avec plus de 50 micros, 26 caméras, dont trois infrarouges pour la nuit, filmés pendant 70 jours, 24 heures sur 24 et sept jours sur sept, Christophe et sa bande, surnommés "lofteurs", auront eu plus de temps qu’il n’en faut pour se montrer aux yeux de tous les curieux et voyeurs de France. Ces 11 célibataires (sélectionnés parmi 38 000 candidats!), cinq filles et six garçons, âgés de 20 à 29 ans, auront certainement été les jeunes les plus observés, écoutés et scrutés de l’Hexagone. Comme la production voulait offrir cette émission à un public de tous âges, les scènes à caractère sexuel ou les images de nudité auront toujours été censurées. Cela n’aura pas empêché certains cracks de l’informatique de trafiquer le site Internet de l’émission (où le public pouvait suivre tout du loft à n’importe quel moment) saisissant ainsi les images de Loana et Jean-Édouard, le tombeur du groupe, faisant l’amour dans la piscine. Aucune pudeur, ces "lofteurs"? "Au départ, on ne savait pas comment la production nous filmerait, on entretenait alors le doute que, peut-être, ils filmaient ailleurs. Puis, après quelques jours, on finit par oublier les caméras et on vit simplement. Et dans la passion, on n’y pense vraiment plus! C’est le lendemain que je me suis sentie mal", me confie Loana.
Mais, au-delà du besoin de se montrer et du défi personnel, les raisons qui ont poussé ces jeunes à participer au reality show français varient selon chacun. Alors que certains rêvaient d’être connus, d’autres souhaitaient gagner le gros lot destiné aux vainqueurs: une maison de 1,5 million de francs (environ 300 000 $). Quant à Loana: "J’avais avant tout ce désir de rencontrer le grand amour. J’ai été attirée par la bande-annonce de l’émission. Vous êtes célibataire et souhaiteriez vivre une "love-story"? Je voulais tenter ma chance".
Passeport pour la gloire?
La pin-up du groupe n’aura certes pas trouvé son prince charmant, mais sa participation à l’émission lui aura servi à se faire une place au banc des célébrités. Celle qui jadis vivait avec sa mère dans un 20 mètres carrés, en plus d’avoir gagné la maison de ses rêves, ne cesse de recueillir des propositions d’ordre professionnel. Après avoir fait la couverture de plusieurs magazines français dont Paris Match, elle est sacrée icône de l’année par la revue Elle. Comme si cela ne suffisait pas, elle décroche un contrat d’un an avec l’agence de mannequins Karine’s Models, et on la verra dès l’automne prochain sur les podiums de son nouvel admirateur, le créateur Jean- Paul Gaultier.
À regarder le contenu des émissions quotidiennes d’environ une demi-heure relatant les "meilleurs moments" de la journée, on a du mal à saisir pourquoi, à eux seuls, les lofteurs auront pratiquement réussi à éclipser du paysage médiatique français les Chirac, Jospin et Zidane. Car Loft Story n’était pas moins que la démonstration d’un quotidien banal, sans consistance et, pour la plupart du temps, sans intérêt. La production de M6 ayant traité le résumé quotidien sous l’angle du divertissement, les débats et discussions d’une jeunesse quant à certains phénomènes sociaux ou politiques auront ainsi échappé à l’oeil du public, au profit d’un tournoi de cartes ou d’un karaoké.
"La télévision aura montré qu’elle peut prendre n’importe qui et en faire une star. On n’a rien fait dans Loft Story. Dans ce qui nous arrive aujourd’hui, nous n’avons aucun mérite. On n’a pas bossé. On a dormi, on a mangé, on a fait la fête. Et cela, n’importe qui aurait pu le faire, ce n’était pas compliqué! Grâce à une médiatisation, on est propulsés. Pourtant, on est exactement les mêmes qu’avant. C’est terrible, c’est critiquable, c’est grave", affirme Christophe.
Plus qu’un contenu pertinent et captivant, Loft Story doit sans doute davantage sa grande popularité à son concept nouveau genre en France. Pour la première fois dans l’Hexagone, les caméras se seront approprié la fragile intimité de l’espace privé provoquant la joie des uns et la consternation des autres. La chaîne de télévision française M6 aura pris d’assaut les traditionalistes français et réalisé un coup de maître médiatique en franchissant le cap de la télé-réalité. Pas une semaine ne se sera écoulée sans que la presse à sensation ne se régale du passé tumultueux de certains lofteurs et que les journaux, tels Le Monde, Libération ou Le Figaro, ne s’évertuent à décrypter le phénomène.
Adapté de l’émission hollandaise Big Brother, ce jeu-réalité aura conquis un large public (pas moins de 5,2 millions de téléspectateurs lors de la première!) en plus d’ébranler toute la France dans son rapport avec la télévision et d’en bouleverser les fondements. Face à un tel succès, les autres chaînes françaises répliquent déjà en proposant des émissions qui poursuivront dans le créneau de la télé-réalité. Après l’époque Pivot, ou le triomphe de Bouillon de culture, la France baigne désormais dans l’océan de la télé-réalité…