Les squatteurs et le logement social : Sans toit ni loi
Société

Les squatteurs et le logement social : Sans toit ni loi

Alors que les squatteurs aménagent le Centre Préfontaine et veulent en faire un véritable laboratoire de la culture alternative, d’autres squats et manifestations sont à prévoir. Comme quoi le logement social devient un dossier de plus en plus chaud…

"Un toit est un droit. Ne vous laissez pas évincer… SQUATTEZ!" Voilà, en termes on ne peut plus clairs, la devise des célèbres squatteurs du Comité des sans-emploi de Montréal-Centre. Ce message revendicateur est inscrit en grosses lettres sur une pancarte qui orne l’entrée de leur nouveau logis sans frais de la rue Rachel, un ancien centre de réadaptation de quatre étages appartenant à la Ville de Montréal (le Centre Préfontaine), dans le quartier Rosemont. Depuis maintenant deux semaines, et après six jours d’occupation de la Maison Louis-H. Lafontaine, rue Overdale, la soixantaine de squatteurs aménagent les lieux avec leurs moyens, ceux du bord.

Ironiquement, le nouveau squat de ces anarchistes est situé juste devant… un méga-supermarché Loblaw’s! "Ce n’est pas seulement la rue qui nous sépare!" lance à la blague Caillou, porte-parole du groupe de squatteurs, assis sur une chaise devant l’entrée pour surveiller les allées et venues au château fort. "Pout! Pout! Pout!" Caillou sursaute: un automobiliste klaxonne joyeusement afin de manifester son soutien aux squatteurs. "Depuis l’action que nous avons faite, beaucoup de gens sont de notre bord et comprennent le gros problème du logement social", affirme cet ex-alcoolique et toxicomane de 40 ans.

"Le squat a fait beaucoup pour la cause du logement social", estime François Saillant, coordonnateur du Front d’action populaire en réaménagement urbain (FRAPRU) et ardent militant en faveur du droit au logement abordable pour tous. À tel point que, devant le succès de l’opération, aussi mitigé soit-il, différents groupes pourraient passer, eux aussi, à l’acte. À commencer par le FRAPRU, au printemps 2002. "Nous ferons une action qui s’en inspire dans le but d’agir dans le sens d’une revendication politique, affirme Saillant. Nous ne viserons pas des immeubles dans le but de les garder, comme les squatteurs. Nous les occuperons plutôt temporairement pour signifier qu’ils devraient devenir des logements sociaux. Nous voulons que le sujet du logement à prix abordable demeure dans l’actualité pour faire pression sur les gouvernements."

Comme 133 immeubles vacants se trouvent sur le territoire de la Ville de Montréal, bien des groupes pourraient investir ces lieux inhabités. "Je pense que d’autres gens vont faire du squat organisé et je m’en réjouis, souligne Saillant. Mais le squat n’est pas la solution à tout. C’est une forme de lutte qui répond aux besoins de quelques personnes. Il faut aller plus loin, c’est-à-dire mettre les gouvernements devant leurs responsabilités." Pourtant, le seul moyen d’action qui ait dernièrement fait bouger un tant soit peu le gouvernement sur la question du logement social n’est pas le lobbying, mais bien le squat, un acte illégal. N’est-ce pas le symptôme d’une problématique profonde que verser dans l’illégalité pour parvenir à obtenir un petit quelque chose? "Pour l’instant, la légalité n’accorde pas le droit au logement à tout le monde, tel que cela devrait être la norme, estime-t-il. Alors, il faut réagir. C’est illégal, oui, mais légitime. On doit quand même continuer à réclamer des comptes aux gouvernements."

Sans logis ni logique
Le FRAPRU a l’intention de battre le fer pendant qu’il est chaud: il entend agir pour que le logement social continue de faire parler de lui. Au moment de mettre sous presse, les militants du Front prévoyaient camper, les 15 et 16 août, devant un hôtel de London (Ontario), où se tient la conférence fédérale-provinciale des ministres de l’Habitation, afin de dénoncer l’attitude du gouvernement fédéral face à la crise qui sévit au Québec, mais également ailleurs au Canada. Le but? Relancer la construction de logements sociaux, qui peuvent prendre la forme de HLM (habitations à loyer modique), OSBL d’habitation (organisme sans but lucratif) ou coopératives. "Le gouvernement a annoncé, en mai dernier, 680 millions en quatre ans pour la construction de logements abordables. Mais cela ne subventionne que des loyers à prix élevés!" indique Saillant. "Il faut que la construction de logements destinés aux personnes démunies devienne une priorité car ce ne l’est plus depuis des années", affirme quant à lui Luc Lalonde, directeur général de la Fédération des OSBL d’habitation de Montréal. D’ailleurs, selon lui, si le Canada se classe maintenant au troisième rang, et non plus au premier, du fameux indice de développement humain des Nations unies, c’est qu’il constitue le pays occidental qui dépense le moins per capita dans les logements sociaux.

D’après François Saillant, l’heure est grave, à la lumière des statistiques. La crise du logement survenue le 1er juillet, durant laquelle plus de 300 familles se sont retrouvées à la rue du jour au lendemain, se poursuit. "Des familles vivent à plusieurs dans un 4-1/2, tandis que des femmes monoparentales en manque de logis sont dans des centres pour femmes violentées alors qu’elles ne vivent même pas cette problématique." Selon lui, la crise du 1er juillet a mis en évidence un grave problème. "Et l’année prochaine pourrait être pire si rien n’est fait", ajoute-t-il.

À l’heure actuelle, le dossier du logement social dort dans un quasi-oubli. "Au début des années 80, les gouvernements finançaient la construction de 8000 logements sociaux par année, explique Saillant. Actuellement, ils le font pour seulement 1325 unités. Il faut retourner à 8000 nouveaux logements sociaux pour satisfaire à la demande actuelle." De plus, en 1994, le gouvernement fédéral s’est désengagé du développement du logement social. Certes, depuis 1997, le gouvernement québécois a pris la relève avec le programme Accès Logis, qui finance la construction de coopératives et d’OSBL d’habitation. "Par contre, ce programme prend fin sous peu, indique Luc Lalonde. Il faudra encore se battre pour ne pas tout perdre."

Et pour cause. Car, loin d’être endigué, le problème demeure toujours aussi criant et la demande, plutôt forte. "À Montréal, le quart des ménages locataires dépensent plus de la moitié de leurs revenus pour se loger, affirme Saillant. Ils sont un million au Québec dans le même cas, alors que la province ne compte que 120 000 logements sociaux, à peine 10 % des logements offerts aux locataires. Et la situation s’aggrave depuis 1990." À Montréal, par exemple, 8500 noms figurent sur une liste d’attente pour l’un ou l’autre des 20 000 logements sociaux (certains ménages ou personnes ou attendent même depuis cinq ans!). "On reçoit énormément de demandes par année, souligne Luc Lalonde, mais on ne peut répondre à toutes par manque de logements."

Un laboratoire
Alors que les squatteurs aménagent le Centre Préfontaine, des pourparlers se déroulent actuellement entre le Comité des sans-emploi de Montréal-Centre et l’administration de la Ville au sujet de la gestion du lieu et du financement des dépenses. En attendant, les squatteurs désirent faire de leur logis un laboratoire de la culture alternative, "une école du système D", comme le dit Caillou. "Nous invitons tous les gens, mal logés comme militants dans l’âme, à se joindre à nous, affirme-t-il, enthousiaste. Nous voulons créer un lieu d’échange différent, organiser toutes sortes d’activités. En nous débrouillant seuls et en gérant la place, nous avons l’occasion de prouver qu’on est capable de se prendre en main et de créer un lieu pour les plus démunis. La Ville nous a donné une chance. Il faut la prendre."

Une soixantaine de personnes de tous âges oeuvrent de façon plus ou moins permanente au Centre. Une dizaine de comités ont été créés, chacun destiné à une tâche précise: la bouffe, la sécurité, l’hygiène, etc. "Jusqu’à maintenant, tout se déroule très bien, souligne Caillou. Il nous manque certains équipements de cuisine et quelques rénovations sont à faire, mais on travaille là-dessus."

Si l’effervescence est palpable au Centre, l’enthousiasme des gouvernements au sujet du logement social, lui, se fait toujours aussi timide. "Le squat a mis à la une le dossier du logement abordable pour tous, indique Luc Lalonde. Mais faut-il toujours aller aussi loin pour avoir de l’attention? Pourtant, cela fait des années que l’on se bat; et l’on reçoit bien peu. J’espère que les choses vont changer."