![Pornographie infantile sur Internet : Cybertrafic sous surveillance](https://voir.ca/voir-content/uploads/medias/2012/01/9931_1;1920x768.jpg)
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Pornographie infantile sur Internet : Cybertrafic sous surveillance
Alors qu’un réseau de cyberpornographie infantile vient d’être démantelé aux États-Unis, les autorités de plusieurs pays tentent d’endiguer ce phénomène. À commencer par le Québec et le Canada, dont les gouvernements resserrent les lois et scrutent le Net à la recherche de pédophiles. Tour d’horizon d’un marché clandestin croissant…
Stéphanie Filion
Le plus vaste réseau commercial connu de cyberpornographie infantile a été démantelé aux États-Unis la semaine dernière. Un coup de filet qui a mis fin aux opérations de la compagnie texane Landslide Productions, qui donnait accès à plus de 5700 sites Web visités par 300 000 abonnés de toutes origines. Cette enquête a permis de mettre la main au collet d’une centaine de personnes pour trafic de matériel. Un homme et une femme, le couple propriétaire de l’entreprise, sont déjà sous les verrous pour respectivement 1335 ans (!) et 14 ans. Pourtant, les policiers américains ne peuvent crier victoire. Au lendemain des arrestations, le chef de l’inspection postale américaine, Kenneth Weaver, a déclaré que ce réseau ne représentait que la pointe de l’iceberg du marché toujours croissant de la pornographie infantile sur Internet.
C’est aussi ce qu’estiment ses collègues québécois. "Il n’y a eu qu’un réseau de touché. C’est sûr qu’il en existe plusieurs autres", observe Umberto Tucci, chef de module au Service des enquêtes sur le crime organisé de la Sûreté du Québec (SQ), le département chargé des enquêtes reliées au cybercrime au Québec. D’autant plus que ce dossier n’est pas terminé: 2000 Canadiens, dont 436 Québécois, auraient été impliqués dans ce réseau international et feraient l’objet d’enquêtes. Une allégation que ni la Gendarmerie royale du Canada (GRC) ni la SQ ne veulent confirmer, la protection des enquêtes en cours oblige.
Et ce n’est pas tout. Comme l’a dévoilé la semaine dernière l’Alliance canadienne, un rapport des Nations unies décrit le Canada comme un fournisseur mondial majeur de pornographie infantile. Cette étude, qui devrait être rendue publique sous peu, met pour la première fois le Canada dans une position embarrassante, et révèle que l’exploitation sexuelle ne se confine plus à la Russie et à l’Asie, les deux tristement célèbres pourvoyeurs de matériel de pornographie infantile.
Toutefois, la lutte aux pédophiles va bon train au Québec, selon la SQ, qui a fait enquête sur 119 cas l’an dernier et sur 75 plaintes déposées depuis le début de l’année. "Nous travaillons en étroite collaboration avec les fournisseurs de services Internet, avec lesquels nous avons une très bonne entente, afin qu’ils n’hébergent pas de sites incluant de la pornographie juvénile, explique Umberto Tucci. Toutefois, nous savons que les pédophiles continuent d’agir dans les salons de clavardage (où ils traquent les jeunes) et par courriel individuel (ils envoient des messages incitatifs aux internautes ou échangent du matériel), lesquels sont beaucoup plus difficiles à trouver."
Le sergent Tucci avance par ailleurs qu’aucun fournisseur québécois n’héberge actuellement de tels sites. Toutefois, il ne veut pas se prononcer sur la situation actuelle au Québec. "Nous ne connaissons pas le nombre de pédophiles et il n’y a que peu d’internautes qui déposent des plaintes." Le sergent Marc Richer, porte-parole de la GRC, note une "hausse du phénomène proportionnelle à l’expansion de l’utilisation d’Internet et au perfectionnement constant des technologies numériques", comme les caméras vidéo et les logiciels de cryptage.
Le médium, c’est le message
C’est un secret de Polichinelle qu’Internet constitue un outil privilégié pour les pédophiles, et ce, tant par son accessibilité que par la quantité de matériel disponible. Comme dans toute bonne économie de marché, l’offre suit la demande ou la stimule, c’est selon. Ainsi, le matériel en circulation ne se limite plus aux photos ou à quelques films. AntiChildPorn (ACPO), un important groupe sans but lucratif qui lutte contre le fléau de la pornographie infantile sur le Web, révèle sur son site l’émergence de nouvelles tendances. Selon le regroupement, le nombre et la variété du matériel pornographique croissent à un rythme effarant, à cause notamment des coûts peu élevés des caméras vidéo. Celles-ci repoussent les limites des contacts virtuels jusqu’à imaginer un Montréalais commander et regarder l’agression d’un jeune Indonésien en direct sur son ordinateur.
Autre observation: de plus en plus de photos représentant le viol et même le meurtre d’enfants sont disponibles, ce qui laisse croire à une augmentation de la violence. Finalement, la production et la vente de pornographie infantile sont devenues des sources importantes d’argent pour le crime organisé. Une réalité observée notamment dans l’Ouest canadien, où bandes organisées et criminels mêlés à l’exploitation des enfants s’adonnent souvent au trafic de drogues et d’armes à feu, selon le dernier rapport annuel sur le crime organisé du Service canadien de renseignements criminels.
La dernière prise des autorités américaines prouve à quel point ce marché peut être lucratif. Landslide Productions rapportait 1,4 million de dollars américains par mois grâce aux frais d’abonnement mensuels de 29,95 $. Le Département de la justice américain évalue le marché de la pornographie infantile entre deux et trois milliards de dollars par année, ce qui en fait l’une des plus importantes industries clandestines, peut-on lire sur le site de l’ACPO.
À la SQ, 25 hommes, dont 10 en région, sont affectés aux cybercrimes, ce qui inclut les fraudes et les réseaux de prostitution. "La pornographie juvénile, c’est le crime sur Internet qui est le plus rapporté, note Umberto Tucci, qui estime qu’environ 75 % de ses enquêtes touchent directement la pornographie juvénile. Nous pouvons recevoir 50 plaintes pour un seul site." L’an dernier, quatre ou cinq jeunes ont avisé la SQ avant de se rendre à une rencontre en personne fixée par un groupe de discussion virtuel. Ils ont eu raison: derrière les internautes qui se faisaient passer pour des jeunes de leur âge, se cachaient des pédophiles. Généralement, les gens portent plainte après être tombés par hasard sur un site pornographique ou après avoir reçu un message électronique contenant une invitation indécente. Les enquêtes internationales sont coordonnées par l’intermédiaire du bureau canadien d’Interpol, à Ottawa, qui a reçu 164 demandes d’aide de l’étranger en 1999.
Le nombre d’agressions par rapport au nombre de contacts virtuels entre un pédophile et un enfant n’est pas connu. Le Dr Edouard Beltrami, un psychiatre et sexologue qui travaille auprès des pédophiles, estime que plus les pédophiles ont de fantasmes, plus grand est le risque de passage à l’acte. Selon lui, Internet est un médium puissant et dangereux. "La grande variété du matériel et le phénomène du jeu compulsif qui s’installe (les pédophiles ne frappent pas à tous les coups, ce qui stimule leurs recherches et leurs sens…) expliquent pourquoi les individus passent souvent de nombreuses heures par jour sur Internet. Certains demeurent huit heures en ligne, se couchent un peu et recommencent. Pendant ce temps, ils ne côtoient absolument aucun être humain, et deviennent de plus en plus renfermés… Cela peut devenir un cercle vicieux."
La loi du plus fort
Depuis longtemps, certains groupes de pédophiles, comme la North American Man/Boy Love Association, formée en 1978, revendiquent la légitimité d’avoir des relations avec des mineurs. Toutefois, leurs luttes ne risquent pas d’aboutir. La tendance est plutôt à la répression. Même que le seul fait d’accéder délibérément à un site de pornographie juvénile pourrait être passible d’une peine d’emprisonnement de cinq ans au Canada.
De fait, pour resserrer l’étau sur les activités virtuelles des pédophiles, le gouvernement fédéral a déposé, en mars dernier, un projet de loi qui vise à adapter le Code criminel à l’avènement des nouvelles technologies. Une autre des mesures prévues rend passible d’une peine maximale de cinq ans le fait de traquer un enfant sur Internet dans le but de l’exploiter sexuellement. La Cour pourrait également obtenir le droit d’obliger les serveurs Internet à mettre fin aux activités pédophiles de leurs clients. "Ces changements vont nous aider à enquêter et à traduire les gens devant les tribunaux", se réjouit Umberto Tucci, qui annonce du coup que d’autres changements sont prévus.
Pourtant, sur l’immense terrain de jeu qu’est Internet, l’absence de frontières demeure sûrement le plus grand défi, puisque peu importe l’origine du site, il est aussi facile d’accès pour tous les internautes, mais beaucoup plus difficile à supprimer lorsque hébergé dans un pays où la réglementation est défaillante, voire inexistante, comme l’Indonésie.