![Droit de cité : Le mythe du consensus](https://voir.ca/voir-content/uploads/medias/2012/01/9981_1;1920x768.jpg)
![Droit de cité : Le mythe du consensus](https://voir.ca/voir-content/uploads/medias/2012/01/9981_1;1920x768.jpg)
Droit de cité : Le mythe du consensus
Éric Grenier
Madame, Monsieur,
Il nous fait une grande joie, un immense plaisir et un honneur démesuré de vous convier au Grand Soir pour la Grande Ville, où convoleront en juste consensus les Montréalais de toutes origines, de toutes cultures et de toutes fortunes lors du Sommet de Montréal.
Nous procéderons alors à la rédaction d’un plan stratégique mobilisateur et rassembleur pour la nouvelle ville. Nous élaborerons, autour d’un but commun, des "chantiers" sur différents thèmes qui nous tiennent à coeur, allant du parc du Mont-Royal au développement économique, en passant par l’habitation, la démocratie et le bonheur éternel.
Le nombre de places étant limité, nous vous prions de confirmer la présence du syndicaliste, de l’intervenant-au-niveau-de ou du président de chambre de commerce représentant votre groupe social au plus tard le 4 novembre prochain.
Un buffet froid sera servi.
Au plaisir de rencontrer l’ecclésiastique de votre choix lors de cette soirée mémorable,
Gérald Tremblay, candidat à la mairie de Montréal
La politique du clan
On savait déjà que, dans sa première vie, Gérald Tremblay faisait partie de la frange nationaliste du Parti libéral du Québec. Ce qu’on savait moins, c’est qu’il se cachait en lui, au plus profond de son âme, un péquiste.
Et Dieu sait, comme vous et moi, qu’un péquiste carbure au consensus. Un péquiste au pouvoir, ça n’assume pas ses convictions. Il les fait avaliser par un conclave à saveur franc-maçonnique représentant prétentieusement l’ensemble de la population québécoise. Un Sommet, des États généraux…
Procédons à un exercice de rétrospective.
Nous sommes en 1996. Lucien Bouchard succède au démissionnaire Jacques Parizeau à la tête d’un gouvernement élu sous la promesse de gouverner autrement. Ce qui veut dire, dans le climat géopolitique d’alors, faire le contraire de ce qui se passe en Ontario. Un programme que Lucien Bouchard traîne comme un boulet fixé à sa canne et dont il cherche à se défaire. Dans un monde idéal (parce que je suis idéaliste), Lucien Bouchard aurait dissous l’Assemblée nationale et déclenché des élections pour obtenir le mandat de gouverner autrement qu’autrement.
Il a plutôt convié les représentants socioéconomiques de toutes les couches de la société québécoise à un Sommet, où ses talents d’arracheur de dents ont permis de soutirer aux représentants syndicaux, du monde des affaires, et des intervenants communautaires un consensus autour de l’autrement autrement.
C’est à ce type d’exercice que le candidat à la mairie Gérald Tremblay nous convie. C’est la pièce maîtresse du programme politique qu’il a dévoilé en grande avant-première jeudi dernier. Un "Sommet", qui s’ouvrira sur des "chantiers". À ce niveau, on ne parle plus d’emprunt, mais de plagiat de l’événement présidé par Lucien Bouchard en 1996!
Gérald Tremblay, ancien ministre à l’Assemblée nationale, applique au niveau municipal ces travers de la politique québécoise que sont ces incessants appels au consensus, ce serrage de coudes "entre nous" face à l’adversité qui nous entoure. Comme si les Québécois étaient tous du même clan, sinon de la même tribu, pour paraphraser un auteur récemment passé de vie à trépas.
Autrement dit, l’Union des citoyens de l’île de Montréal n’a pas de programme, et refuse d’en élaborer un. (D’ailleurs, le pseudo-programme présenté jeudi dernier est davantage un énoncé de bonnes intentions. Le problème, c’est de savoir comment y parvenir.) Elle convie plutôt tous les groupes d’intérêts de la ville à lui en procurer un.
Si ça dérape, vous ne pourrez pas blâmer vos élus. Ils n’auront que mis en application le "consensus" qui existe dans la population montréalaise.
Mais quel consensus, au fond? Le Québécois, modelé par son éducation judéo-chrétienne, est incapable de décider lui-même de l’avenir de sa communauté. Il s’en remet à des clercs. Autrefois, c’étaient les évêques et les curés; aujourd’hui, ce sont les syndicalistes, le patronat et toutes les autres organisations corporatistes.
Le hic, c’est que le Québec – encore plus la Ville de Montréal -, c’est très petit, et ses élites sont fort peu nombreuses. Si bien que ceux qui détiennent le pouvoir – les seuls invités à participer à l’élaboration des consensus -, à droite comme à gauche, dans le secteur privé comme dans le secteur public, ont tous suivi, à un moment ou l’autre, le même cours à l’université, siégé au même conseil d’administration, et ont tous leurs chalets autour du même lac. Bref, chaque fois qu’on fait appel à un Sommet pour établir un consensus, ce sont toujours les mêmes visages qui apparaissent. Les autres, qui n’ont pas été invités à faire partie de la gargantuesque table de concertation, sont condamnés à se prosterner au pied du consensus. Et doivent s’abstenir de le contester.
Avec comme résultat que la classe ouvrière est défendue, dans ces consensus, par un bourgeois rompu à la fabrication de fours à pain au bord du Memphrémagog.
C’est ça, le problème, avec les consensus: on parle en votre nom sans même que vous le sachiez. Et on dit n’importe quoi.
Que Gérald Tremblay veuille consulter la population montréalaise sur l’avenir de sa ville est tout à son honneur. Mais il serait plus avisé de le faire avant l’élection, et surtout, avant la rédaction de son programme politique.