Suspension cryogénique : Passeport pour l'éternité?
Société

Suspension cryogénique : Passeport pour l’éternité?

L’idée de congeler un corps humain pour le ramener éventuellement à la vie est toujours apparue comme relevant de la plus pure science-fiction. Mais des chercheurs soutiennent qu’une nouvelle technologie pourrait transformer ce rêve fou en réalité plus tôt qu’on ne le croit. Science ou business?

C’est en 1930, dans The Jameson Satellite, une nouvelle de l’écrivain de science-fiction Neil R. Jones, que fut évoquée, pour la première fois, l’idée de ramener à la vie un corps humain préalablement congelé. Depuis, plusieurs autres ouvrages littéraires ont abordé ce thème avec des succès variables. Le septième art n’est pas en reste, ayant lui aussi produit ses oeuvres sur le sujet. Les fans de Woody Allen se souviendront du satirique Sleepers (1973) où le héros, Miles Monroe, qui entre à l’hôpital pour un simple ulcère, se fait congeler et revient à lui 200 ans plus tard, complètement perdu. Plus près de nous, Forever Young (1992) avec Mel Gibson mettait en scène un pilote d’essai se portant volontaire pour une expérience novatrice en cryogénie et qui est réanimé 50 ans plus tard.

Cette mystique de l’immortalité trouva aussi ancrage dans l’imaginaire populaire par l’entremise de célébrités telles Walt Disney, Andy Warhol ou Peter Sellers, dont les corps seraient (selon ce qui a toutes les apparences de légendes urbaines) conservés par le froid dans un lieu tenu secret. Les chiffres officiels stipulent qu’aux États-Unis, 90 personnes sont en suspension cryogénique (conservation du corps dans l’azote liquide), alors qu’un peu moins de 1000 autres auraient signé un protocole en ce sens.

Et les partisans de ce procédé expérimental, qui ne ménagent pas leurs efforts afin de l’extirper des limbes de la science-fiction, semblent gagner lentement en crédibilité; plus tôt cette année, les réseaux de télévision ABC et KRON 4 consacraient des reportages sur le sujet.

Nouvelle frontière
Chercheur chez Zyvex, entreprise américaine spécialisée en nanotechnologie moléculaire, Ralph C. Merkle nourrit de grands espoirs depuis qu’en janvier 2000, l’administration Clinton consentait 500 millions $ à la recherche et au développement en nanotechnologie, une nouvelle technologie très prometteuse et aux applications multiples. "Si la suspension cryogénique était envisagée avec beaucoup de scepticisme jusqu’ici, elle apparaît de moins en moins futile depuis quelques années avec les nouveaux développement de la nanotechnologie, qui pourrait nous permettre d’agir au niveau atomique et moléculaire afin de réparer, de modifier, ou même de recréer tous les tissus humains, à l’exception de la tête." Selon notre interlocuteur, lorsqu’on aura compris comment agir au niveau des structures de base du corps humain, on pourra espérer ramener les gens à la vie. Dans l’intervalle, il faut néanmoins s’assurer de préserver les corps dans le meilleur état possible en stoppant toute activité moléculaire par la congélation.

Le grand pari que font les partisans de la suspension cryogénique est que les critères déterminant le passage à la mort ne sont pas fixés de façon définitive ou absolue. Robert Ettinger, physicien et président de la Cryonic Institute située en Illinois et où sont conservés 38 "patients", fait figure de précurseur dans le domaine. En 1964, il publiait Prospect of Immortality, considéré comme la première contribution articulée vers cette prouesse techno-scientifique de réanimation d’un corps congelé. "La définition de base en vigueur actuellement pour ce qui est de la mort est la cessation permanente des fonctions vitales. Cela n’étant établi qu’en fonction de l’évolution actuelle des connaissances. Il serait donc présomptueux de prétendre que nous avons, une fois pour toutes, établi la frontière entre la vie et la mort."

"Il n’y a pas si longtemps était déclaré mort celui qui avait cessé de respirer, ou dont le coeur avait arrêté. De nos jours, on sait qu’une personne en arrêt cardio-respiratoire n’est pas nécessairement morte. Le seuil de la vie a donc souvent été réévalué. Qu’on se comprenne bien, nous ne prétendons pas pouvoir ressusciter les gens. Nous croyons simplement qu’ils ne sont peut-être pas morts, que l’on se méprend peut-être encore sur ce qu’est la mort", ajoute M. Merkle, qui reconnaît que s’il est difficile à l’heure actuelle de prédire le moment où cette prouesse sera réalisable, celle-ci est en théorie possible. "Dans les années 1940, on savait qu’il était possible en vertu des lois physiques d’aller sur la Lune, mais on ne pouvait prédire quand. Voyez ce qui arriva 30 ans plus tard…"

À ce jour, aucun essai concluant ne fut réalisé sur des animaux vertébrés, seuls quelques insectes furent réanimés après avoir été frigorifiés. Cependant, souligne M. Ettinger, "plusieurs embryons humains sont nés après avoir été congelés, de même que de nombreux organes corporels sont redevenus fonctionnels".

Applications médicales
M. Ettinger soutient qu’un nombre grandissant de scientifiques de tous horizons participent aux recherches en cours. Les plus optimistes croient que l’exploit pourrait se réaliser dans 30 ans, mais généralement, on parle de 50 jusqu’à 200 ans. "Les principaux obstacles demeurent psychologiques, sociaux et philosophiques. C’est une question de mentalités."

N’empêche, devant un tel flot d’inconnues et d’hypothèses, il n’est guère surprenant d’apprendre que le monde médical affiche, généralement, un grand scepticisme quant au succès d’une telle "hibernation scientifique". Malgré tout, c’est très précisément sur cette science que reposera, à la finale, tout le succès de l’opération, car sans les fortes percées envisagées en nanotechnologie dans ses applications médicales, la conservation de corps ne sera que vaine entreprise. "Dans la mesure où les progrès scientifiques suivront les lois de la physique, tout est possible", croit Ralph Merkle.

Deux sociétés offrent des services de suspension cryogénique aux États-Unis. Alcor exige 50 000 $ pour conserver la tête et 120 000 $ pour le corps entier, alors que le Cryonic Institute ne vous demandera que 28 000 $ pour la conservation du corps entier. Généralement, les assurances-vie couvrent les frais. "Certaines personnes choisissent de ne faire congeler que leur tête. C’est moins cher et, de toute façon, nous devrions être en mesure de remplacer, de recréer l’ensemble des tissus manquants", précise M. Merkle.

Techniquement, le processus de conservation s’amorce dès que la mort légale est sanctionnée. En premier lieu, le corps est rapidement refroidi dans de la glace et acheminé au lieu d’entreposage. De là, on remplace le sang par une substance à base de glycérine, préservant les tissus contre la formation de cristaux de glace. Puis, le corps est placé dans une sorte de sac de couchage inséré dans une boîte spécialement conçue, soumise à des vapeurs de glace sèche qui abaisseront sa température jusqu’à – 40 degrés celcius. Ce stade atteint, le corps est graduellement immergé, durant une semaine, dans un conteneur d’azote liquide à – 196 degrés celcius.

Émerger du froid
Il est permis de se questionner sur l’étape cruciale du retour à la vie. Comment cela se passerait-il? "Il existe plusieurs scénarios de réanimation. Dès que l’on aura l’expertise médicale et technologique, la réparation ou le remplacement des tissus malades ou endommagés devra se faire alors que le corps est toujours maintenu à la température de l’azote liquide. La raison en est qu’à cette température, il n’y a aucune activité atomique ou moléculaire; rien ne bouge. Il sera donc beaucoup plus aisé d’effectuer des opérations de fine pointe." Par la suite, l’effet pourrait être spectaculaire, selon Ralph Merkle. "En peu de temps, l’individu passerait d’un état de congélation totale à la température normale du corps humain et ses fonctions vitales seraient remises en marche. Bien sûr, tout cela ne serait rendu possible qu’après parfois des mois de travail", soutient-il avec optimisme.

Mais la personne qui émergerait de cet intermède glacé serait-elle mentalement la même? "À l’heure actuelle, avec les techniques qui empêchent la vitrification ou la formation de cristaux de glace au cerveau, on a toutes les raisons de croire que la mémoire et la personnalité de l’individu seraient préservées", répond M. Merkle.

Pour les optimistes, la voie vers l’immortalité pourrait donc être pavée dès lors qu’une première réussite serait effective. S’ensuivrait, en théorie, un cycle sans fin de congélation-réanimation. "Le problème, en science expérimentale, est qu’on ne peut pas toujours mesurer, comme en médecine avec les observations cliniques, les progrès, ou qu’on ne peut avoir de résultats avant peut-être des années. Mais qu’ont à perdre les gens en phase terminale? Selon moi, dans cette aventure, il n’y aura peut-être bientôt qu’une variable essentielle: le temps", de conclure M. Merkle.

Une chose est sûre, ce n’est pas le temps qui manquera à ceux désireux de faire de la suspension cryogénique une industrie florissante. Des promoteurs envisagent d’ériger l’an prochain un immense centre de congélation, le Timeship. Véritable arche de Noé de l’extension de la vie, il pourrait regrouper plus de 10 000 corps et serait situé dans le sud des États-Unis, là où résident la plupart des retraités du pays…

www.alcor.org

wwww.cryonics.org