Guerre de l'information : Infotainment tonight
Société

Guerre de l’information : Infotainment tonight

Les bulletins de nouvelles télévisées sont devenus le nerf de la guerre entre les chaînes de télévision québécoises. Ces dernières ne jurent que par l’approche locale et un montage plus serré. Et l’on compte sur le public pour remporter la course aux cotes d’écoute. Pour le meilleur ou pour le  pire?

Alors que les chaînes de télévision annonçaient la semaine dernière leur programmation automnale, on découvrait au même moment les couleurs que prendra le secteur de l’information. Fini, l’image vétuste d’un présentateur en plan mi-buste au ton monocorde, avec comme unique toile de fond un écran à sa droite (ou à sa gauche, selon l’humeur) diffusant des images douteuses et inanimées censées aider à une meilleure compréhension des événements.

Si le contenu éditorial des stations de télévision quant aux choix des sujets à traiter ne tend pas à changer de façon notable, la manière de présenter les choses, elle, se modifie considérablement. "À 18 h, il y a une guerre de l’information. Car au même moment, tout le monde essaie de recueillir la faveur du public. On fait donc face à un défi de présenter l’information de façon attrayante", précise Réal Germain, directeur de l’information à TVA. Un vent de nouveauté déferlerait-il sur la "planète information", milieu longtemps confiné entre les murs du conventionnel?

Que du divertissement?
Si certaines chaînes, dont TVA, conservent leur formule traditionnelle de présentation des bulletins de nouvelles, TQS et Radio-Canada semblent plutôt vouloir tendre vers une autre direction. Avec l’arrivée des canaux spécialisés et des chaînes américaines, la compétition est féroce pour qui souhaite survivre. Cote de popularité oblige (et cote d’écoute, il va sans dire!), il ne suffit plus de simplement livrer l’information.

Pendant que TQS poursuit dans le créneau de l’information commentée, amorcée par l’arrivée de Jean-Luc Mongrain, Radio-Canada réplique avec le nouveau Montréal Ce Soir. Dans ce nouveau format aux caméras plus dynamiques que la version précédente, on tente de se rapprocher autant du public que des événements, par l’intervention "sur le terrain" de journalistes. Pour Yves Bombardier, directeur de l’information à TQS, le public était prêt à accepter une nouvelle façon de voir l’information qui tienne compte de la notion de divertissement. "La télévision, c’est du spectacle. En regardant ce médium, on veut apprendre des choses et s’informer; mais essentiellement, c’est pour se divertir. Aujourd’hui, le public était prêt à recevoir une information rigoureuse mais dans un emballage plus divertissant. C’est l’heure de l’infotainment."

Mais à voir la propension aux faits divers et à l’actualité locale des bulletins télévisés entre 17 h et 19 h, heure de pointe de l’information, on peut se demander si cette volonté de divertir l’auditoire tout en l’informant n’a pas dilué le contenu des bulletins de nouvelles. Bien que l’information internationale et les sujets à caractères sociaux aient encore leur place, on ne peut qu’en constater la diminution. Si la rigueur journalistique n’est pas forcément remise en cause dans cette nouvelle façon de concevoir l’information, il n’en demeure pas moins que dans les bulletins en prime time, les sujets contribuant à l’ouverture sur le monde et à une meilleure compréhension de la société ont tendance à être éclipsés au profit des incendies du jour.

Dans le monde de "l’info-divertissement", l’individualisme triomphe. On est ici bien loin, à quelques exceptions près, des bulletins télévisés européens ancrés dans la tradition de l’information internationale. La logique de cette manière très nord-américaine de faire l’information a le souci de la proximité de la nouvelle; bref, elle s’intéresse avant tout à ce qui se passe dans l’environnement immédiat du public cible. "Au début des années 90, il y a eu un désintéressement de la chose publique au profit de l’individualisme nord-américain. Les gens n’étaient pas portés à s’intéresser à ce qui se passait à l’extérieur", note Claude Saint-Laurent, directeur général de l’information à Radio-Canada. Quant au directeur du programme de journalisme de l’Université Concordia, Enn Raudsepp, ce constat est encore plus vrai ces dernières années. S’interroger sur l’extérieur de ses frontières, s’informer sur ce avec quoi on est moins familier, ou sur des sujets dits "sérieux" (comme le conflit israélo-arabe, par exemple), cela demande un certain effort. Or, "le problème réside dans le fait que ce n’est pas la majorité du public qui veut faire cet effort. Aujourd’hui, il y a une perte de cette conscience sociale", précise t-il.

Télé marketing?
Au-delà du fait que le public était prêt à appréhender l’information télévisuelle sous un nouveau jour, ce changement de cap rappelle qu’avec la multiplication des chaînes privées, c’était une question de survie que d’offrir un produit amélioré, du moins en apparence. Les émissions d’information obéissent plus que jamais aux nouvelles lois du marché, particulièrement à celles du marketing. La compétition majeure n’est plus en termes de fourniture d’une meilleure information, mais davantage dans la façon de présenter le produit: l’amélioration du "packaging", pour employer le jargon administratif.

Par ailleurs, ce changement dans la façon de présenter l’information, en plus de la "tendance" aux faits divers et à l’actualité locale, témoigne de l’influence américaine sur le territoire canadien, rappelle M. Raudsepp. "Peu importe ce qui se passe aux Etats-Unis, cela finit par arriver au Canada. C’est déplorable, car les médias canadiens ont un excellent savoir-faire propre à eux, et qui ne les oblige pas à copier qui que ce soit. Le problème, c’est qu’on s’en écarte."

Finalement, des changements ne s’opèrent pas uniquement dans le secteur télévisuel de l’information. Le milieu de la presse anglophone canadienne connaît aussi des bouleversements. Pendant que le Globe and Mail aura accru son nombre d’histoires de crimes ou d’histoires dites "populaires" par leur contenu plus léger, The Gazette aura diminué son nombre de journalistes d’enquête là où persistait depuis des décennies la tradition anglo-saxonne des grandes enquêtes. Par ailleurs, l’arrivée d’Internet dans l’information et les progrès technologiques risquent de modifier encore le paysage de l’information, tant sur le plan du contenant que du contenu. Après "l’infotainment", pourra-t-on encore parler d’information?