![Une guerre civile au Québec… : Est-ce possible?](https://voir.ca/voir-content/uploads/medias/2011/12/10162_1;1920x768.jpg)
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Une guerre civile au Québec… : Est-ce possible?
Les querelles Ottawa-Québec pourraient-elles se transformer en guerre civile? Selon le professeur JEAN-PIERRE DERRIENNIC, auteur du récent livre Les Guerres civiles,des facteurs pourraient présager cette éventualité. Pas de panique: les risques que Montréal devienne Belfast sont encore minces.
Tommy Chouinard
Rares sont les livres produits et publiés par des Québécois dans le domaine des sciences politiques. Plus rares sont les ouvrages qui abordent le thème des guerres de façon accessible et dépourvue de tout jargon inintelligible. Mais encore plus rares sont ceux qui présentent le Québec comme un possible terreau à guerre civile! C’est pourtant ce que parvient à faire le livre Les Guerres civiles (Presses de Sciences Po) de Jean-Pierre Derriennic, qui vient à peine de paraître.
Le professeur de science politique de l’Université Laval présente un ouvrage fouillé sur les guerres civiles. "Des étudiants viennent régulièrement me demander des livres sur les guerres, raconte-t-il en entrevue. J’en ai beaucoup à leur proposer sur les guerres entre États, mais bien peu sur les guerres à l’intérieur des frontières d’un pays, soit les guerres civiles. Je voulais contribuer à pallier cette lacune: écrire un livre d’introduction par lequel on peut amorcer une réflexion sur le sujet. J’ai essayé d’apporter une contribution modeste dans un domaine sur lequel les livres de base commencent à manquer. Il y a un déficit théorique sur les réflexions en matière de guerre civile. Et comme ce type de guerre prend plus de place, sans être nécessairement plus fréquent, il était important de l’aborder."
Dans son livre de 270 pages, Derriennic analyse de manière théorique les tenants et les aboutissants des guerres civiles, qui peuvent être autant socioéconomiques (lutte de classes) qu’identitaires (lutte religieuse, entre autres). Le professeur se penche aussi sur les facteurs qui peuvent faire augmenter ou diminuer la possibilité de l’éclatement d’une guerre civile dans une société, qu’ils soient démographiques (natalité et mortalité), économiques (pauvreté et inégalité) ou culturels (conception et place de la justice).
Au-delà de ces explications illustrées d’exemples concrets, Derriennic applique sa théorie au Canada, une particularité intéressante et controversée de son ouvrage. "Je tente dans mon livre d’identifier certains facteurs qui peuvent nous permettre de prédire une guerre civile, affirme-t-il. C’est pourquoi j’ai pensé que ce serait intéressant de regarder quel type de guerre civile pourrait avoir lieu au Canada." Sans que personne (ou presque) n’ait osé imaginer un tel dénouement des querelles Ottawa-Québec, Derriennic écrit: "Au Québec, la vie politique tourne depuis trente ans autour d’un problème du type de ceux qui ont souvent produit des guerres civiles. Un grand parti politique, appuyé par presque la moitié des électeurs de la province, veut faire de celle-ci un État indépendant. Les dirigeants de ce parti parlent et agissent comme s’ils croyaient qu’il est possible de réaliser l’indépendance avec le soutien de seulement la moitié des Québécois, et de l’imposer à l’autre moitié et à tous les autres Canadiens."
Sans prédire un conflit sanglant imminent, Derriennic croit que les tentatives d’indépendance ou de séparation ont souvent conduit ailleurs dans le monde à des confrontations plus féroces que polies. "Il est rare qu’il y ait des sécessions sans violence, soutient-il. Il y a des exemples, mais c’est l’exception. Les sécessions violentes sont plus fréquentes que les non violentes. S’il y avait une sécession au Québec, ce n’est pas sûr que ce serait violent. Mais il faut essayer de voir: si ça tournait mal, comment cela tournerait mal exactement."
Au sujet du "comment cela tournerait mal", Derriennic propose deux scénarios de guerre civile qu’il juge "pessimistes". Premier scénario: l’indépendance a lieu et tourne au vinaigre. "Elle peut bouleverser les structures et faire peur à beaucoup de gens", estime-t-il. Second scénario: l’inaccessible indépendance frustre une frange radicale parmi les nationalistes québécois. "S’il n’y a pas d’indépendance et que le Parti québécois connaisse des limites, il y a un risque à ce que des nationalistes québécois désespérés commettent des actes violents, comme le FLQ à son époque."
L’auteur estime ces scénarios envisageables, certes, mais peu probables. Ces hypothèses ne sont-elles pas un peu exagérées, dans la mesure où le climat actuel est plus que calme? "Oui, bien sûr. Mais ce qui m’étonne le plus, c’est le tabou qu’il y a quand on aborde la question, indique-t-il. Tout le monde refuse de penser à la violence qui pourrait survenir. Je m’explique. Lorsque le mouvement indépendantiste est devenu important au début 70, beaucoup de gens ont dit que l’indépendance allait entraîner une guerre civile. Le Parti québécois a travaillé contre cette idée-là et a affirmé que jamais le recours aux armes ne surviendrait ici. En 1995-1996, quand est apparu le mouvement partitionniste, des souverainistes ont dit que cela allait causer de la violence. Étrangement, la possibilité de violence et de guerre civile au Québec a été envisagée par à peu près tout le monde. Mais cette possibilité a rarement été pensée sérieusement. Sincèrement, je crois que considérer comme une certitude que la guerre ou la violence soient impossibles, c’est un peu imprudent."
En passant, Derriennic est fort conscient qu’il soulève une question qui risque d’alimenter le débat sur la question nationale. Celui-ci est également l’auteur de Nationalisme et démocratie (Boréal, 1995), un livre qui avait soulevé l’ire des souverainistes.
Irlande d’Amérique
En raison de similitudes institutionnelles et culturelles, Jean-Pierre Derriennic n’hésite pas à comparer l’Irlande du Nord et le Québec. "Je crois qu’il y a des ressemblances, mais que le Québec a su éviter le pire. Le drame de l’Irlande du Nord a été de ne jamais être capable de faire des partis politiques où catholiques et protestants se mélangent. Le vote se fait toujours sur la base de la religion. Au Canada, par contre, il y a un bon mélange de francophones et d’anglophones dans les partis, et le Québec est bien représenté."
Toutefois, selon lui, certains facteurs pourraient polariser le conflit et créer un fossé entre les québécois francophones et le reste du Canada. C’est justement cette polarisation qui peut produire des flammèches. "Des gens veulent sauver le Canada en l’organisant sur une base dualiste: Canada-Québec, c’est-à-dire avec une structure à deux. C’est une erreur puisqu’on crée une opposition. Des partis entretiennent aussi la polarisation, tel le Bloc québécois. Par son existence et sa définition même, il ne peut pas avoir d’élus en dehors du Québec et obtenir des électeurs dans la population anglophone de la province. Le Bloc ressemble à un parti monoethnique ou monolinguistique."
N’empêche, Derriennic doit reconnaître qu’il existe bien peu de symptômes de violence actuellement au Québec. "Il y a une absence d’animosité du côté de la population entre anglophones et francophones, contrairement à ce qui se passe ailleurs dans le monde, comme en Belgique. La dispute sur la langue se manifeste très peu par des enfants qui se battent entre eux à la sortie de l’école, comme en Irlande. La cohabitation entre les deux populations est bien meilleure ici que dans bien d’autres cas." Par contre, d’après l’auteur, la question linguistique demeure un problème épineux. "À Montréal, si se développe un nationalisme très minoritaire, très frustré, avec le déclin du PQ et l’échec de l’indépendance, ceux qui seront tentés de faire des attentats prendront le problème linguistique comme prétexte. Il faut donc gérer le problème linguistique avec prudence."
Selon Derriennic, une chose est sûre: le nationalisme demeure un facteur important de guerre civile dans le monde d’aujourd’hui. Il suffit de jeter un oeil dans les Balkans pour s’en convaincre.
L’avenir des guerres
En 1999, il existait environ 500 millions d’humains (un sur douze) qui vivaient en situation de guerre civile plus ou moins grave, et 2 milliards (un sur trois) qui vivaient dans des pays où la guerre civile était un problème sérieux. Un demi-million de morts ont été causées par fait de guerre civile durant la même année. "Les guerres civiles ne sont pas plus nombreuses qu’avant, mais deux facteurs les font perdurer." Le premier réside dans l’idéologie islamiste qui, bien que moins inquiétante qu’il y a 20 ans, demeure un risque. "Quand un groupe veut que la politique soit subordonnée à la religion et qu’un autre ne le veut pas, une guerre civile peut éclater", précise Derriennic.
Les entreprises violentes à objectif économique (les mafias, terme plus à la mode) représentent l’autre facteur qui risque de produire des guerres civiles dans l’avenir. "Un certain nombre d’États très faibles, comme la Colombie, l’Albanie et l’Indonésie, assistent à la prolifération du trafic d’armes et de drogues. Si les États s’affaiblissent, ces phénomènes de violence peuvent devenir très importants."
Ces entreprises criminelles prennent de l’expansion avec la mondialisation, un phénomène qui, s’il est mal géré, pourrait mener à une guerre civile socioéconomique dans certains pays, comme en Amérique latine. "Si la mondialisation affaiblit les États et aggrave les inégalités, au lieu de favoriser le progrès économique, elle pourrait déclencher de la violence, souligne l’auteur. Ça va dépendre de la capacité de la communauté internationale à faire des règles."
Si les règles tardent, les interventions de la communauté internationale pour endiguer les guerres civiles, elles, se multiplient. Selon Derriennic, ce phénomène, quoique nouveau et parfois contesté, laisse présager une meilleure résolution des guerres dans l’avenir. "Il est difficile de savoir quand et comment intervenir, conclut l’auteur. Peut-être est-on intervenu trop vite au Kosovo et pas assez en Bosnie, par exemple. Mais c’est un recours intéressant pour aider à résoudre une guerre civile. Il suffit de voir comment il sera appliqué dans l’avenir."
Jean-Pierre Derriennic présentera une conférence sur les guerres civiles, mardi, 11 septembre, au Centre Pearson pour le maintien de la paix, 4750, rue Henri-Julien, 5e étage, bureau 5114.
Informations: 288-5959