Société

Droit de cité : Assez!

Juste à voir la mine offensée d’ecclésiastique devant autant de sexe, de drogue et de rock’n’roll qu’affiche Mongrain chaque soir depuis un mois, on comprend qu’on a affaire à un gros scandale.

On comprend que des têtes vont rouler. Que l’opprobre public est sur le point d’éclater dans la rue, que Montréal est sur le bord du soulèvement.

Come on, du sérieux! L’affaire des squatteurs commence à virer à l’hystérie maladive. Les pages de courrier du lecteur des quotidiens débordent de vos commentaires chagrins – que dis-je haineux – à leur égard. Gérald Tremblay en profite pour s’ériger chaque jour en champion du logement social, alors que la moitié des membres de son équipe de candidats n’ont jamais eu le moindre intérêt pour les HLM alors qu’ils siégeaient aux conseils municipaux des villes de banlieue. Si chaque ville de l’île avait fait sa part pour le logement social dans le passé, la situation du logement à Montréal serait forcément différente aujourd’hui.

On ne laissera pas la plus importante campagne électorale à Montréal, depuis sa fondation, être déviée par pareil sujet, si léger. L’attitude générale des médias et la réaction du public – lequel alimente l’autre? c’est difficile à dire – ont pris une petite couleur facho.

Parce que, c’est connu, dans les régimes un brin fachos, le peuple accorde une grande latitude éthique à ses riches et puissants, mais il est particulièrement implacable à l’égard des petits et des bizarres.

Alors, pendant que vous vous énerviez le poil des jambes pour quelques malheureuses piastres, issues de vos taxes et impôts, dont profiterait une gang de va-nu-pieds et de sans-coeur, votre très honorable premier ministre du Canada jouait au golf avec Tiger Woods, mais surtout avec Jean Monty, le président et chef de la direction de BCE, votre compagnie de téléphone. Un cadeau de 13 000 dollars offert personnellement par Jean Monty à Jean Chrétien, et qui vaut, seulement pour partager le vert avec Tiger Woods, en réalité beaucoup plus. Que le chaperon "éthicien" du premier ministre a béni. Et ça ne vous a pas ébranlé.

Pourtant, cette partie de plaisir se déroulait alors que BCE et d’autres compagnies de téléphone tentaient de convaincre le Conseil de la radio et télédiffusion canadiennes (CRTC) de conserver leurs privilèges.

Voyez-vous, le CRTC est en train de réviser le régime de tarification en téléphonie locale, qui empêche une véritable concurrence par rapport au service local. Bell craint que le CRTC ne cherche à la forcer à offrir de meilleures conditions d’accès à son réseau de fils et de poteaux à ses concurrents. Pour le moment, ces derniers y ont accès, mais les coûts demandés par Bell sont tellement exorbitants que ces petites compagnies de téléphone ne sont pas concurrentielles pour un sou.

De plus, le premier ministre s’apprête à nommer un nouveau président du CRTC dans les prochaines semaines. C’est sa prérogative. Selon plusieurs sources, le choix du gouvernement se serait porté sur un avocat de Toronto, Charles Dalfen, qui a déjà été vice-président du CRTC. Et dans sa pratique privée d’avocat, Dalfen a déjà eu comme gros client… Bell Canada! Un autre nom circule dans les coulisses d’Ottawa, et c’est Sheridan Scott, chef des affaires réglementaires chez… Bell Canada!!

Allô???

Dois-je vous donner un coup de téléphone pour vous réveiller? Je ne parle pas d’un coup de fil, mais bel et bien d’un coup de téléphone. Pas dring, mais bing! Préférablement à l’aide d’un bon vieux téléphone à cadran, et ses trois tonnes de métal.

Rien ne me permet de douter de l’indépendance du CRTC. Rien, non plus, ne permet de douter que la nomination d’un nouveau président soit teintée de favoritisme.

Je n’ai pas le droit de le faire, sous peine de poursuites, mais vous, vous avez non seulement le droit, mais le devoir d’être suspicieux devant une telle familiarité. D’exiger de votre premier ministre qu’il n’évite pas seulement les situations de conflit d’intérêts autour des terrains de golf, mais aussi les apparences de conflit d’intérêts. C’est un principe de base.

La semaine dernière, sur les ondes de la radio d’État, le dramaturge René-Daniel Dubois y est allé d’une autre diatribe contre le fascisme latent au Québec. Avec de telles attitudes de votre part, j’ai tendance à lui donner raison. Dans les bons régimes fascistes, on tolère beaucoup des grands et des puissants, et c’est auprès des petits et des sans défense qu’on applique l’implacable autorité de l’État…

Désolé
Cette chronique a été en partie écrite lundi après-midi, et devait être terminée mardi avant-midi. Mon propos devait être plus élaboré et je devais le parfaire au cours de cette inimaginable matinée. Mais désolé, je ne suis pas capable d’aller plus loin, tant le sujet me paraît futile, tant je me sens moi-même futile.

Et je ne sais plus qui remercier au juste de vivre dans un pays si atrocement en paix. Ça nous redonne le sens de la mesure. Vous êtes un peu facho? Allez, je vous pardonne.