Les dérapages de l'industrie porcine : Le prix du bacon
Société

Les dérapages de l’industrie porcine : Le prix du bacon

Dans la veine de l’Erreur Boréale de Richard Desjardins, le documentaire choc Bacon le film, d’Hugo Latulippe, s’attaque à l’industrie porcine qui se livre au saccage de la campagne québécoise en totale impunité. Regard sur les conséquences des mégaporcheries.

"Je trouve ironique qu’un gouvernement qui veut l’indépendance d’un territoire s’organise avant pour le couvrir de merde!" lance Daniel Pinard, lorsqu’on évoque avec lui la situation actuelle des régions agricoles du Québec. "C’est hallucinant! On ne peut plus aller à la campagne sans que l’on soit envahit par une odeur de merde. Et on nous dit que c’est normal!"

On déverse l’équivalent de 300 000 camions-citernes de fumier liquide chaque année sur le territoire québécois. Une activité polluante qui est la conséquence des sept millions de porcs de la province qui mangent et défèquent comme 14 millions d’êtres humains, apprend-on dans le documentaire Bacon, le film. Le phosphate contenu dans le purin infiltre le sol et contamine la nappe phréatique, ce qui pollue les sources d’eau potable et les rivières. C’est sans parler de l’odeur pestilentielle qui assassine l’industrie touristique et incommode les habitants des régions agricoles. Un lourd tribut à payer, disent les critiques, pour remplir le ventre des Américains et des Japonais, puisque 50 % de la production porcine québécoise est destinée à l’exportation.

Ce qui pue au nez de l’animateur de l’émission Les pieds dans les plats, qui a épousé la cause de l’Union paysanne, le petit frère québécois du mouvement paysan de José Bové, c’est qu’une poignée de grands producteurs de porcs aidés du gouvernement aient pu transformer le terroir en un gigantesque parc industriel sans aucune consultation publique. "Le citoyen a le droit d’encourager le type d’agriculture qu’il souhaite", indique Pinard, qui souligne que les contribuables financent, sans en avoir conscience, la destruction du patrimoine agricole.

Hugo Latulippe, l’auteur de Bacon, pointe du doigt le ministère de l’Agriculture, qui, dit-il, se considère comme un partenaire de l’Union des producteurs agricoles (UPA), l’unique syndicat d’agriculteurs au Québec, plutôt qu’un arbitre du monde agricole. "Au Québec, le droit de produire passe avant celui du citoyen", affirme-t-il. "L’UPA a le monopole total de tout ce qui s’appelle agriculture au Québec", soutient Pinard.

Le sous-ministre adjoint de l’Agriculture, Jacques Lebuis, ne cache pas que l’UPA est son principal client. "C’est un syndicat qui est représentatif de l’ensemble du monde agricole. Quand on élabore une politique, on s’adresse d’abord aux producteurs agricoles, c’est notre clientèle privilégié", indique-t-il, ajoutant que son ministère intègre " certaines considérations des citoyens". Lebuis indique qu’il est faux de croire que l’aide financière va seulement dans les poches des grands producteurs, puisqu’elle s’adresse à tous les agriculteurs.

"On n’est pas informé de ce que ça coûte une côtelette de porc, souligne Latulippe, un ancien de la Course destination monde. C’est un faux prix que l’on voit à l’épicerie. Ça n’inclut pas les coûts environnementaux et sociaux. C’est donc une dette que l’on laisse à la génération qui va suivre."

Chair à produire
Suivant la vague de la mondialisation, le Québec s’est lancé dans la course effrénée des exportations de produits agricoles, subventionnant à coups de centaines de millions de dollars des mégaporcheries, où s’entassent des milliers de cochons dans un environnement high-tech et aseptisé. Des "shops à viande", aux dires d’un agriculteur qui s’exprime dans le film, où les porcs sont élevés en cage, comme de "la chair à produire".

Productivité oblige, le cheptel de porcs augmente d’environ 400 000 têtes par année, ce qui fait dire à Latulippe que, bientôt, "il y aura au Québec plus de porcs que d’êtres humains". Selon l’agronome Maxime Laplante, porte-parole de l’Union paysanne, certaines zones de la région de Chaudière-Appalaches, le plus gros bassin de production au Québec, compte environ cinq unités animales par hectares, ce qui dépasse de près de 400% la capacité d’absorption du fumier par le sol.

"Lorsque le producteur n’arrive pas à acheter de nouvelles terres pour épandre son surplus de fumier, il change ses cultures céréalières pour une monoculture de maïs qui peut absorber beaucoup plus de fumier. Le problème, c’est que le maïs est une des plantes les plus polluantes car elle retient peu les éléments nocifs dans le sol et est très exigeante en matière de pesticides. En plus, elle agit comme un laxatif sur les cochons, ce qui aggrave le problème puisque encore plus de fumier est produit", explique Laplante, qui est propriétaire d’une ferme à Sainte-Croix de Lotbinière, à environ 40 km au sud-ouest de Québec.

"Lorsqu’il ne peuvent plus planter de maïs, certains producteurs rasent leurs forêts et enfouissent dans le sol les matières organiques, ce qui appauvrit considérablement la terre", ajoute-t-il. Le résultat est inquiétant: "plus d’un tiers des terres du Québec montrent des signes de stérilité", indique Latulippe dans son film.

Selon Laplante, le gouvernement du Québec, en continuant d’encourager le développement à outrance dans l’industrie agricole, répète les mêmes erreurs que la Grande-Bretagne, qui a été ravagé par une épidémie de fièvre aphteuse au cours de l’année. "On a tout mis en place pour avoir un problème de santé majeur", indique-t-il, soulignant que les risques d’une épidémie augmente de façon exponentielle avec la présence de quatre à cinq unités animales par hectare. "On a changé de façon radicale l’alimentation des animaux. Aujourd’hui, on nourrit même des ruminants avec des restants de viande. Tout ça a pour effet de multiplier les microbes dans le purin et on asperge cette soupe à la grandeur du territoire".

Erreur monumentale
S’il admet qu’un problème de pollution existe, le président de la Fédération des producteurs de porcs du Québec, Clément Pouliot, indique qu’on est loin du désastre annoncé dans Bacon et que les pratiques agricoles actuelles, contrairement à celles d’autrefois sont nettement plus soucieuse de l’environnement. Il soutient que les producteurs de porcs investissent dans le développement de nouvelles technologies, comme les usines de traitement, pour éliminer proprement le surplus de fumier.

"Bien sûr, certains boisés sont coupés depuis quelques années (pour l’épandage du fumier), mais il y a du déboisement depuis des centaines d’année au Québec. Et il y a aussi un effort pour reboiser les terres. Ça, on n’en parle pas dans le film ", indique Pouliot. Pas un mot non plus dans le film de la qualité et de la salubrité du porc produit au Québec, se plaint-il. "Nous sommes un modèle de référence dans le monde", dit-il, ajoutant que le documentaire de Latulippe est "tendancieux" et "manque d’objectivité".

Selon Pouliot, l’industrialisation de la campagne au Québec est le résultat des changements économiques et sociaux qui ont marqué la province depuis la Révolution tranquille. "Le consommateur a laissé le magasin général pour les grandes surfaces il y a 30 ans, nous avons dû nous adapter." Il souligne que l’industrie du porc, qui a créé 29 500 emplois directs et indirects au Québec avec des retombés économiques de 3,7 milliards de dollars, reste entre les mains d’entreprises familiales québécoises.

Reste à voir l’effet qu’aura Bacon sur les citadins qui ne croisent le porc que dans leur assiette. "Le film de Desjardins a eu un impact, mais a-t-il eu un effet? demande Daniel Pinard. Sur le fond, il avait raison, mais est-ce que ça a changé grand-chose? C’est un peu la même chose avec ce film. Il y a une prise de conscience qui monte mais elle est difficile à canaliser."

Bacon, le film est à l’affiche au Cinéma ONF du 14 au 21 septembre.