![Plain-pied dans le XXIe siècle : Le temps des barbares](https://voir.ca/voir-content/uploads/medias/2011/12/10271_1;1920x768.jpg)
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Plain-pied dans le XXIe siècle : Le temps des barbares
Voilà ce qui arrive lorsque la religion et la politique intoxiquent les esprits: la vie humaine est réduite à zéro, les hommes et les femmes ne sont plus que des pions que les idéologues déplacent à leur guise sur l’échiquier mondial.
Richard Martineau
Il y a quelques mois, lorsqu’un jeune Palestinien est mort dans les bras de son père après avoir été tiré lors d’un affrontement entre Palestiniens et Israéliens, le journaliste Pierre Maisonneuve a reçu un représentant du Congrès juif et un médecin palestinien dans un studio de RDI. Ces deux personnes étaient invitées à commenter ce terrible événement. Les images de cette mort atroce venaient tout juste de disparaître de l’écran que, déjà, les deux invités se disputaient. Le membre du Congrès juif disait que les Palestiniens étaient responsables; alors que le Palestinien, lui, accusait les Juifs.
Mais aucun n’a parlé de l’adolescent mort sous les balles.
Aucun n’a montré le moindre signe d’empathie pour cette victime innocente.
La discussion était idéologique, point. Le cadavre de l’adolescent n’était qu’un prétexte à relancer le débat. Pas la moindre allusion au drame humain qui, quelques jours plus tôt, s’était déroulé sous les yeux de millions de personnes émues et choquées. Pas la moindre larme, pas le moindre instant d’apitoiement.
On a tout de suite parlé politique, religion, histoire.
Voilà ce qui arrive lorsque la religion et la politique intoxiquent les esprits: la vie humaine est réduite à zéro, les hommes et les femmes ne sont plus que des pions que les idéologues déplacent à leur guise sur l’échiquier mondial.
Voilà ce qui est arrivé mardi matin. Des terroristes aveuglés par leur foi et leur rhétorique ont fait sauter toute notion de vie humaine. La leur, la nôtre.
Et, du coup, ils nous ont fait basculer dans une nouvelle ère.
Il n’est pas trop tôt pour affirmer que, désormais, plus rien ne sera pareil.
Quand des terroristes prennent possession d’un avion de passagers pour le projeter contre un building rempli de gens, tout est possible. Des bombes nucléaires artisanales sautant dans des endroits publics. Des microbes virulents déversés dans les rivières.
Mardi, nous sommes entrés de plain-pied dans le XXIe siècle. Celui du chaos, de la peur.
Ce n’est pas seulement le World Trade Center qui a explosé et qui s’est effondré, cette semaine, ce sont nos certitudes, le mythe confortable et réconfortant du Nouvel Ordre Mondial. Il n’y a plus d’ordre, il n’y a qu’un monde livré pieds et mains liés aux pilleurs.
Ceux qui considèrent les citoyens comme de simples abstractions que l’on peut brûler sur l’autel de la religion, de l’histoire, même du marché.
À la fin du Troisième Homme, l’extraordinaire adaptation du roman de Graham Greene réalisée par Carol Reed, Harry, l’arnaqueur joué par Orson Welles, se réfugie dans un parc d’attractions et discute avec l’un de ses vieux amis en haut d’une grande roue immobile. À un moment donné, il demande à son interlocuteur de regarder les gens massés en bas du manège. "Tu vois les petits points qui grouillent en bas? demande-t-il. Ressentirais-tu de la pitié si l’un de ces petits points arrêtait subitement de bouger? Si je t’offrais 20 000 livres pour chaque point qui s’immobiliserait, me dirais-tu, ami, de garder mon argent? Ou calculerais-tu combien de petits points tu pourrais faire disparaître en toute tranquillité?"
Cette scène a été tournée en 1949, juste après la Deuxième Guerre mondiale. Elle cristallisait le cynisme qui régnait en Europe au lendemain de ce terrible conflit.
Or, 60 ans plus tard, c’est exactement ce qui arrive. L’humanité n’est plus réduite qu’à une série de petits points que l’on fait disparaître à sa guise, pour des dollars, des mots, des morceaux de territoire.
La balance du Monde a basculé, et la vie a perdu tout son poids. La moralité s’est effondrée dans un nuage de flammes et de poussière, et le chemin est maintenant libre pour les barbares.
Que va-t-il se passer? Impossible de le dire.
Il ne me reste que les paroles de la chanson The Future, de Leonard Cohen:
"Give me back the Berlin Wall
Give me Stalin and St-Paul
Give me Christ or give me Hiroshima
I’ve seen the future baby
It is murder"
Apprenons à nos enfants qu’il n’y a rien de plus précieux que la vie.