Société

Professeure de littérature à New York University : Myrna Delson-Karan

Je suis allée travailler à l’université ce matin. Le campus est situé dans le Bronx, et en conduisant ma voiture, j’ai entendu aux nouvelles les événements en cours. Au début, je n’y croyais pas trop…

"Je suis allée travailler à l’université ce matin. Le campus est situé dans le Bronx, et en conduisant ma voiture, j’ai entendu aux nouvelles les événements en cours. Au début, je n’y croyais pas trop, je sous-estimais la situation. Mais en arrivant à l’université, j’ai senti que la situation était tragique: les étudiants et les professeurs couraient dans tous les sens, ils hurlaient et pleuraient. Plusieurs étudiants étrangers et des États du sud, qui sont venus étudier à New York non sans crainte, ont tout d’un coup vu leur peur confirmée. Les gens appelaient sans arrêt sur leur téléphone portable, essayant de réserver des billets d’avion pour quitter le pays; très vite, toutes les lignes ont été coupées. J’ai pu parler quelques secondes à mon fils, qui travaille dans un édifice situé à environ un kilomètre du WTC; il était en larmes, dans un état de panique totale. Il me parlait en regardant l’effondrement de l’édifice, et je pouvais entendre les gens crier autour de lui, partout dans le bureau. Je lui ai offert d’aller le chercher en voiture, mais il m’a imploré de retourner très vite à la maison, à Long Island. Je crois qu’il devra peut-être dormir au bureau ce soir, tout comme les étudiants qui resteront dans les salles de classes, rapidement transformées en dispensaires de fortune, les hôpitaux ne pouvant plus accueillir de blessés. Comme tous les hôtels sont pleins, les gens sont confinés dans leur lieu de travail. Tout au long de la journée, j’ai eu l’impression de me retrouver dans un très mauvais film de science-fiction; c’est carrément la guerre ici. Voir des gens se jeter des fenêtres d’un édifice pour ne pas brûler tient du surréalisme. Déjà, ce soir, on sent que la ville est en deuil, et que cet état de noirceur durera longtemps. J’ai toujours eu un peu peur d’habiter New York. Mais maintenant, nous allons vivre, avec raison, un sentiment d’angoisse perpétuelle."

Propos recueillis par Catherine Morency