Société

Droit de cité : La tolérance

La campagne électorale? Vous voulez rire? Même le tintamarre de la cabale s’est tu. Les rumeurs d’intrigues de palais, à l’hôtel de ville, où le roi semblait perdre la bonne grâce de ses mandarins, se sont noyées dans leur insignifiance.

Bref, lorsque les visites de maisons de vieux, de centres communautaires et de shops de l’Est s’arrêtent: c’est que quelque chose de grave est arrivé. De très grave.

Dans les circonstances, les deux principaux candidats à la mairie de la nouvelle ville se sont comportés dignement, c’est-à-dire qu’ils se sont effacés. Seul Pierre Bourque est apparu, parce qu’il est le maire, et, à ce titre, il avait trois tâches à accomplir.

1) Nous rassurer, dire que Montréal n’est pas une cible potentielle, et que nous étions en mesure d’accueillir les cohortes de voyageurs pris en souricière dans le ciel. 2) Lancer un appel au calme. Ce n’est pas parce qu’une demi-douzaine de terroristes algériens ont déjà séjourné illégalement à Montréal qu’il faille se montrer hostile à tout ce qui semble ni juif ni chrétien. 3) Nous demander de nous calmer le pompon, ne serait-ce qu’un vendredi, en nous recueillant trois minutes. Prendre une grande respiration et réfléchir, la paix dans l’âme.

À l’église Saint.James United, dans le centre-ville, lors du service oecuménique de vendredi dernier, il y avait un hallucinant kaléidoscope. Jamais sous un même toit religieux, à Montréal, n’avait-on vu pareille communion humaine qui, en d’autres circonstances, nous serait apparue exceptionnelle. Mais vendredi, on se serait surpris du contraire. On se serait surtout inquiété du contraire.

Parce que les dénonciations du "terrorisme psychologique" contre les Arabes de Montréal par le révérend Anthony Gabriel, de l’Église grecque orthodoxe, et la prière à la tolérance lancée par l’imam Cheik Nabil Abbas envers des communautés arabes et musulmanes "dépassées par les événements" arrivaient à point nommé. Les tribunes téléphoniques à la radio et à la télé, les pages de courrier des quotidiens étaient déjà remplies de propos chagrins contre les Arabes et les musulmans en général.

Pourtant, le gros Roger de Brossard qui se plaint qu’on laisse trop rentrer n’importe qui au pays a une chance sur quarante mille milliards de trillions d’être victime d’un acte terroriste aux relents islamistes; mais une chance sur trente mille seulement d’être abattu par son voisin pour une chicane de crottes de chien, et une chance sur deux de mourir d’un ACV parce qu’il mange trop de chips. Enfin, il valait peut-être mieux que ces appels au pas contre les étrangers battent les ondes, histoire de ne pas les laisser couver comme un cancer ignoré.

De l’état d’esprit qui régnait à Saint.James, il aurait fallu pouvoir en embouteiller, et en distribuer les milliers de fioles à travers la ville.

À défaut de ce miracle alchimiste, les Montréalais devront montrer ce dont ils sont capables. Depuis le temps qu’ils se targuent de leur tolérance et se drapent dans les oripeaux de l’interculturel, ils auront, dans les semaines qui s’en viennent, une occasion jamais vue de mesurer leur ouverture d’esprit. Pour moi et le reste des gens ordinaires qui n’avons pas de doctorat en théologie, il nous sera difficile de distinguer l’islam de nos voisins de celui des kamikazes d’Oussama ben Laden et des talibans (qui, rappelons-le, sont sur le point d’exécuter trois Occidentaux parce qu’il ont osé prononcer le mot "Jésus" en terre afghane).

Tout ça, au fond, à cause de notre ignorance. Ignorance de l’Histoire, des Religions, des Idées. Ce qu’on peut se souhaiter, c’est que George W. Bush soit entouré par une armée de théologiens, d’historiens et de professeurs de philosophie, pour qu’ils lui expliquent le fonctionnement du monde en dehors du Texas.

Et dire que le patronat réclame la disparition de ces inutiles disciplines de nos universités…

Fausse note
La seule note malheureuse de ce vendredi de deuil nous vient de Pierre Bourque, pour avoir récité quelques paroles de Quand les hommes vivront d’amour. Pas que les paroles de cet hymne soient irrecevables, au contraire; mais les propos xénophobes de son auteur, pour qui seuls ceux dont les ancêtres ont labouré les plaines du Saint-Laurent sous Frontenac, devraient avoir le droit de voter aux référendums, y sont désormais trop rattachés. Comme invocation de la tolérance…

Tout au long du service, il a été question de tolérance, justement. Or, la tolérance sera un bien piètre rempart contre la montée de la xénophobie. Ce dont nous devrons être armés, c’est de l’acceptation. Tolérer ne veut dire que supporter, endurer, admettre, autoriser. Quand nos armées bombarderont et rayeront de la carte Kandahar, il ne faudra pas se surprendre que ça n’applaudisse pas à tout rompre dans les mosquées d’ici. Il faudra l’accepter et le comprendre.

Avant la Deuxième Guerre mondiale, il y avait sur notre sol des Japonais, des Allemands et des Italiens. Ils étaient tolérés, comme le sont aujourd’hui les Afghans, les Arabes, les Pakistanais, les musulmans et les islamistes. Mais après le déclenchement de ladite Guerre, on les a emprisonnés. Pourtant, on les tolérait.