Silence dans les estrades.
Où est passée la gauche américaine, canadienne, québécoise pendant cette semaine tragique? Où étaient passés nos objecteurs de conscience militants, écologistes, pacifistes, antimondialistes, tous ces pas d’accord, ces donneurs de leçons qui revendiquent un nouvel ordre mondial, si prompts à défendre la veuve et l’orphelin?
Nos p’tits végétariens en gilet de laine de yack qui militent dans les cégeps, ces artistes du retour de lacrymogène, ces squatters de la pensée humaine, amis des algues et des baleines gaies qui manifestent jour après jour depuis le début du siècle contre l’exclusion, le secret, la terreur institutionnalisée et la violence des hommes?
Où sont-ils?
Ils se planquent. Muets. Un motton dans la gorge, et bien embêtés que, par les temps qui courent, la rhétorique simpliste qui oppose les bons et les méchants ne tienne plus et que, justement, lorsque les méchants capitalistes font quelque temps figure de victimes innocentes, il faut se garder une petite gêne.
Beaucoup, cependant, voudraient bien dire tout haut ce qu’aucun pacifiste ne devrait penser tout bas: "Ils l’ont bien mérité, les Amerloques… Ils l’ont cherché."
Cherché?
Encore faudrait-il en savoir plus sur les raisons de tels gestes.
Religion? Exclusion? Exploitation? Symbolisme? Nihilisme? Géopolitique? Racisme? Toutes ces réponses?
Entre-temps, la vie, comme le disait le maire Giuliani, reprend ses droits. La business roule. Et l’Amérique, avec une pondération qu’on n’espérait guère, n’a pas bombardé l’Afghanistan ni aucun civil innocent. Elle préférera probablement les affamer… nuance… On n’est pas des sauvages…
Mais comme le disait souvent mon prédécesseur: je m’égare…
Peu à peu, faute de survivants sous les décombres, ce sont nos gauchistes de service qui, après une semaine de silence, sortent lentement comme des déterrés en pleine lumière pour reprendre le combat de l’antiaméricanisme primaire en s’opposant cette fois-ci à toute forme de représailles violentes. Sans avoir même exprimé l’ombre d’un regret, il s’en trouve déjà pour partir festifs, en Westphalia 68, chanter Give Peace a Chance devant la Maison-Blanche.
Le premier à s’être manifesté d’évidence (ou qui n’a pas été censuré par un magnat de la presse) semble être Noam Chomsky qui, deux jours après les attentats, déplorait que, comparé aux victimes du World Trade Center, l’on fasse bien peu de cas des six cent mille enfants irakiens morts de faim et de maladie à la suite du blocus américain. Et Chomsky de surenchérir que la responsabilité du massacre incombe à nos dirigeants et à nous aussi électeurs…
On pourrait aussi bien reprocher à cinq mille morts d’habiter un pays où pullulent cinquante chaînes d’information continue, d’avoir l’eau courante et les chiottes, de travailler, de marcher dans le système, de gagner de l’argent sans penser quotidiennement aux malheurs du tiers-monde.
Et si l’on suit son raisonnement à propos de notre inconscience vis-à-vis de l’enfer dans lequel nous ont entraînés nos dirigeants avides et corrompus, on pourrait aussi lui répondre que les Irakiens ou les Saoudiens n’ont que ce qu’ils méritent et que s’ils veulent améliorer leur sort, ils n’ont eux aussi qu’à se débarrasser de leur dictature de merde tous les quatre ans. Ce serait stupide. Ces comparaisons boiteuses sont sans fin. Décourageantes.
Le pire est derrière. Rien d’effroyable ne sortira plus de ce malheur. Croire qu’il éveillera les consciences serait une utopie. Croire que nous envahirons le Soudan aussi. On laminerait les talibans? Je fêterais l’événement. Sur cette planète tissée serrée, les conséquences économiques d’une interminable guerre de religion seraient bien trop graves. Il y aura juste des flics à chaque coin de rue, de plus en plus d’armes et autant de libertés individuelles menacées. Les Américains pourchasseront des individus, non des États. Ils en attraperont quelques-uns. Ce sera juste avant les prochaines élections.
En mesurant mieux ces conséquences, nous aborderons la politique avec un peu plus de sérieux et moins de cynisme.
Le monde sera toujours, demain, plus civilisé qu’il ne l’était. Il n’a reculé que de 30 ans.