Le Canada est-il une passoire? : Sans frontières
Société

Le Canada est-il une passoire? : Sans frontières

Après l’attentat survenu aux États-Unis, les critiques se sont accumulées pour dénoncer la passoire que constitue la frontière canado-américaine, ainsi que le laxisme des douanes canadiennes. Laisse-t-on aller et venir qui veut bien, incluant les terroristes?

Même si des terroristes sont arrivés aux États-Unis par la frontière nord, les autorités ne pourront jamais l’affirmer hors de tout doute, pour la simple et bonne raison qu’elles ne recueillent pratiquement pas de renseignements sur qui la traverse et par où.

"Toutes les spéculations sur le fait que certains soient passés ou non par le Canada restent sans réponse. En ce moment, il y a des gens au Canada et aux États-Unis dont on n’a pas la moindre idée d’où ils arrivent et par où ils sont entrés. Bien entendu, ils ont franchi les douanes, mais il n’y a aucune banque de données centrale", lance le directeur du Canada Project au Center for Strategic and International Studies de Washington, Christopher Sands.

Et c’est là tout le défi que devront relever nos administrations publiques au cours des prochains mois, selon l’expert qui a déjà été consulté par le Congrès américain. Il faudra donner aux agents des postes frontaliers les moyens de leurs ambitions. "Ce qui se passe, c’est que les employés des douanes et de l’immigration, qui ont un accès extrêmement limité à la technologie mais qui veulent faire un bon travail, ne peuvent que se baser sur des critères raciaux, ce qui est complètement stupide, ou observer comment les gens agissent, s’ils sont nerveux, etc."

Mais donner plus d’information sur les extrémistes de ce monde à nos agents ne sera pas suffisant. "Le problème, c’est que la plupart du temps, il ne s’agit pas d’arrêter la personne qui tente de franchir la frontière parce qu’à ce moment précis, il n’y a aucune raison de le faire", fait valoir Sands.

"Les gens pensent généralement, et c’est un peu idiot, que les individus qui essaient d’entrer dans leur pays avec un mauvais dessein sont des terroristes super-connus. La plupart du temps, ceux dont nous devrions nous méfier n’ont aucun dossier criminel. Souvent, ils sont jeunes, et bien qu’ils soient des pirates de l’air ou des kamikazes en devenir, rien ne le laisse présager. Il n’y a aucun moyen de les attraper."

Course à obstacles
Toutefois, même lorsque les agences de renseignements ont un dossier suffisamment étoffé pour légitimer un interrogatoire ou une arrestation, il devient laborieux de retracer les gens en question, critique Christopher Sands. En fait, pour l’instant, il serait pratiquement impossible de savoir si les personnes sous enquête sont en sol nord-américain puisqu’on n’enregistre pas leurs allées et venues. "Ce qu’il nous faut, c’est un fichier auquel on puisse se référer en cas de pépin et dire: >Ah! cet individu est entré mardi par tel endroit.>" Ainsi, on pourrait remonter sa piste. On ne peut même pas faire ça en ce moment!"

La solution? "Si vous posez à un jeune de moins de 20 ans la question >Comment pourrait-on y arriver?>, il vous le dira parce qu’il l’a vu dans les films. Il existe des technologies accessibles dès maintenant, et il y en a d’autres que nous pouvons tous les deux développer. Nous disposons, tant au Canada qu’aux États-Unis, d’une main-d’oeuvre créative. Ainsi, nous pourrons trouver comment la technologie permettra que la sécurité soit améliorée sans que la frontière ne devienne complètement étanche, sans brimer le droit à la vie privée."

"C’est sûr qu’on est capables, mais on ne le fait pas! vitupère M. Sands. Il y a quelqu’un qui m’a dit ici au Capitole à Washington [siège du Congrès]: >Certes, mais ce serait très onéreux.> O.K., mais le bouclier antimissile va coûter extrêmement cher et ils investissent dans ce projet. Nous devons absolument engager des fonds dans quelque chose comme ça. Il en va de notre sécurité."

Selon l’expert, il est donc plus que temps que nos deux pays cessent de se renvoyer la balle, de s’accuser mutuellement. "Ce n’est pas productif, et ça ne fait que nous monter les uns contre les autres. Les deux pays sont des amis depuis longtemps et si on se met à se battre… les terroristes auront gagné."

"Les personnes qui accusent le Canada de laisser circuler des terroristes parlent avec leurs tripes, pas avec leur tête. C’est humain. Elles ne doivent cependant pas oublier que même si, et il n’y a aucune preuve de cela, si certains des individus sont entrés aux États-Unis par le Canada, ils ont franchi notre service de sécurité aussi!"

Ce n’est toutefois pas une raison pour s’en laver les mains, avertit le directeur de l’Institut MacKenzie de Toronto, John Thompson. Lui aussi a été consulté par le Congrès précisément à propos de cette question. "J’ai vu des gens traverser la frontière hors des lieux de passage officiels. Je suis allé à Akwesane voir les bateaux faire la navette entre les deux pays." Donc, il est vrai que ladite frontière s’apparente à un gruyère et qu’elle est facilement franchissable par des extrémistes de tout acabit? "Oui, autant qu’il est vrai que les terroristes peuvent entrer aux États-Unis par les voies officielles en tant qu’étudiants, touristes ou immigrants."

Il demeure néanmoins que notre gouvernement fait preuve de laxisme lors de l’arrivée d’étrangers. "Le Canada a un gros problème parce qu’il ne se soucie pas assez de qui il laisse entrer, condamne-t-il. On n’a qu’à penser à Ahmed Ressam: il a dit aux autorités canadiennes qu’il avait été sergent dans une guerre en Algérie, qu’il voyageait sous une fausse identité avec un faux passeport, et qu’il demandait le statut de réfugié même s’il arrivait d’un pays sécuritaire, la France. Les autres pays lui auraient certainement refusé l’accès automatiquement. Nous l’avons laissé entrer!" De plus, ajoute M. Thompson, il a été impliqué dans le crime organisé à Montréal, et la police était au courant. Mais il n’a pas été déporté.

"Nous sommes un peu trop mous… Mais je ne crois pas que cette attitude ait une quelconque influence sur ce qui est arrivé à New York. Pas plus que les problèmes observés à la frontière y aient contribué."

Capital politique
Il n’en faudra pourtant pas plus pour que certains de nos voisins nous sautent à la gorge, craint le directeur du Center for Conflict Study de l’Université du Nouveau-Brunswick, David Charters. "Je ne crois pas que la sécurité des frontières canadiennes soit plus inefficace que celle des frontières américaines. Mais s’il est démontré que plusieurs présumés terroristes sont entrés par la frontière avec le Canada, plusieurs personnes aux États-Unis pourraient décider de monter l’affaire en épingle dans le dossier des relations entre les deux pays. Cela pourrait être extrêmement néfaste", avertit-il.

"Ce sera inséré dans un ordre du jour politique pour permettre l’avancement des carrières de membres du Congrès ou d’autres politiciens. Mais, en réalité, le problème sous-jacent à la question de la frontière, c’est la traversée de nos produits qui concurrencent les leurs. C’est vraiment ce qui les énerve", analyse-t-il.

"Les récents événements vont leur donner une excuse pour dire: >Nous devons faire attention aux Canadiens parce qu’eux ne font pas attention.>" C’est peut-être pour cette raison que le gouvernement fédéral clame sur toutes les tribunes que notre État n’est pas coupable. "Il y a beaucoup de gens qui ne comprennent pas la différence entre les responsabilités des Américains et celles des Canadiens, déplore la porte-parole de l’Agence des douanes et du revenu, Colette Jentens-Hawn. Quand on arrive quelque part, c’est là qu’est la responsabilité. Quand on veut aller aux États-Unis, on se présente aux douanes des États-Unis et ce sont les douanes des États-Unis qui décident si oui ou non on peut entrer."

Mais un constat subsiste: "Il y a plus de groupes terroristes au Canada que dans tout autre pays, à l’exception peut-être des États-Unis." Du moins, c’est ce que prétend la porte-parole du Service canadien de renseignements de sécurité, Chantale Lapalme. Est-ce qu’ils seraient ici afin d’intervenir chez nos voisins? "Je ne ferai pas de commentaires."