![Le milieu carcéral canadien : Trop ou pas assez dur?](https://voir.ca/voir-content/uploads/medias/2011/12/10366_1;1920x768.jpg)
![Le milieu carcéral canadien : Trop ou pas assez dur?](https://voir.ca/voir-content/uploads/medias/2011/12/10366_1;1920x768.jpg)
Le milieu carcéral canadien : Trop ou pas assez dur?
À l’image de l’immigration canadienne, le milieu carcéral a désormais la réputation de laisser passer des indésirables de l’autre côté de la clôture. Résultat: une inquiétude semble planer sur la population. Soupçons justifiés ou accusations paranoïaques?
Sophie Legault
Dame: Vous avez perdu votre chien?
Policier: Non, mon prisonnier…
L’efficacité du milieu carcéral québécois a été rudement mise à l’épreuve après le meurtre du jeune Alexandre Livernoche, le 4 août 2000. Alors qu’un vent de droite prône des sentences plus sévères et l’exécution complète des peines, un mouvement alternatif ramène sur le tapis l’importance de la réhabilitation sociale et, surtout, un meilleur contrôle des sorties surveillées.
Car, comme le ministre de la Sécurité publique Serge Ménard l’avait souligné à l’époque, Mario Bastien n’aurait jamais dû être en liberté au moment du crime.
Règle générale, ce sont souvent les victimes qui se plaignent des sentences trop clémentes. Mais le directeur de l’École de criminologie de l’Université de Montréal, Maurice Cusson, croit pour sa part que les jugements sont en général justifiés et que le problème se situe plutôt sur le plan de l’application des peines. "Les sentences de prison ne sont exécutées qu’en partie. Il y a un grand nombre de libérations conditionnelles. Certains juges vont même jusqu’à donner des sentences plus grandes parce qu’ils savent que la peine ne sera pas toute purgée, soutient-il. Depuis quelques années, la possibilité de libérer un individu au sixième de sa peine est devenue monnaie courante au provincial. Cela pervertit le système et la parole du juge cesse d’être crédible."
De son côté, l’Association des services de réhabilitation sociale du Québec (ASRSQ) est moins pessimiste. Sa directrice, Johanne Vallée, ne considère pas que le privilège de la libération conditionnelle – qu’un prisonnier ne peut obtenir qu’au tiers de sa peine – arbore aujourd’hui les caractéristiques du droit fréquemment accordé. Loin de là. À son avis, le cas de Mario Bastien n’est pas représentatif. Au fédéral, elle affirme que tout se passe bien dans la plupart des libérations conditionnelles. "La majorité des détenus se voit refuser la libération conditionnelle à la première demande, indique-t-elle, signifiant qu’elle ne s’obtient pas si facilement. Il ne faut pas changer tout le système alors qu’il s’agit de certains individus qui ont besoin d’un encadrement plus structuré." Elle reconnaît toutefois que sous la juridiction provinciale, l’absence temporaire – possible à partir du sixième de la peine – est devenue un motif fourre-tout.
C’est d’ailleurs ce que souligne Claude Corbo dans le rapport qu’il a remis au ministère de la Sécurité publique, en juin dernier. "Ce n’est pas le principe de l’absence temporaire pour réinsertion sociale qui est problématique, ce sont plutôt les conditions dans lesquelles elle est accordée et vécue." Tous s’entendent donc pour dire qu’il s’agit du noeud du problème, Serge Ménard y compris. "Le ministre reconnaît que le système correctionnel a des lacunes. C’est pourquoi une réforme est en cours pour s’assurer d’une plus grande rigueur dans l’application des peines", affirme l’attaché presse du ministre, Louis-Pascal Cyr, en précisant que la sécurité de la population et la réinsertion sociale des contrevenants sont les priorités au menu.
Examens du ministère
La qualité des évaluations fait donc partie des suspects au banc des accusés. "Elles sont effectués par des professionnels pour les sentences de six mois plus ainsi que pour les crimes de violence, explique le responsable des communications à la direction générale des services correctionnels du Québec, Guy Samson. Il faut tenir compte de certains critères de récidive, du passé familial, de la nature du délit."
Ainsi, dès les premiers jours de son incarcération, le détenu est la cible d’une évaluation sommaire, qui s’approfondira tout au long du séjour, selon les événements qui surviendront. "Bien que ce soit le directeur de la prison qui signe l’autorisation d’absence temporaire, cette dernière est accordée sur la recommandation d’un comité formé à cet effet", précise Guy Samson. Il ajoute que le niveau de surveillance des détenus libérés sous cette catégorie varie d’un individu à l’autre, que certains nécessitent plus de surveillance. Mais en général, il s’agit habituellement de rencontres périodiques.
Alors, qu’est-il arrivé dans le cas de Mario Bastien? "Bien que ces évaluations soient de très bonne qualité, la nature humaine n’est pas une science exacte, tout peut basculer. Dans certains cas, même les proches ne pouvaient soupçonner les actes tragiques", poursuit Guy Samson.
C’est pourquoi il faut non seulement jauger les risques de récidives et les comportements du détenu en prison, mais sa personnalité et son passé au complet doivent également être examinés en détail, insiste la directrice de l’ARSQ. "Un vol, ça ne dit rien sur l’état psychologique d’un contrevenant."
Penchant répressif
Parfois sous l’influence de nos voisins du sud, la répression est, selon Johanne Vallée, l’ennemi le plus à craindre. "Il y a une reconnaissance à l’effet que le système est encore un peu trop répressif. On n’a qu’à constater les jugements prononcés en Cour suprême. Mais il y a une prise de conscience qui se traduit par l’utilisation de mesures alternatives orientées entre autres vers la prévention du crime. Car la répression ne donne aucun résultat", tranche-t-elle, catégorique.
La directrice de l’ASRSQ fait remarquer que le recours à l’incarcération est élevé au Canada, encore plus aux États-Unis, en tête de peloton des pays démocratiques. Sans compter que les programmes de réhabilitation n’y sont pas non plus très fréquents, ajoute-t-elle. Conséquences: certains délinquants attendent impatiemment leur libération pour aller faire payer à des innocents le prix de leur emprisonnement, alors que d’autres ne sont pas assez réhabilités pour faire face à la société.
Bien qu’il considère que le pays de l’Oncle Sam renferme tout de même sa part de programmes et d’organismes oeuvrant à la promotion de la réhabilitation sociale, le criminologue Serge Charbonneau estime que le contexte est présentement favorable pour réfléchir et informer sur de nouvelles manières de faire. "Les gens ne font pas confiance aux procédures judiciaires, comme dans le cas des autorisations d’absence temporaire", affirme celui qui est aussi coordonnateur du Regroupement des organismes de justice alternative du Québec (ROJAQ).
Selon lui, l’un des problèmes majeurs de cette crise de confiance est attribuable au fait que toute l’attention est portée sur les contrevenants contre très peu sur les victimes, qui ne reçoivent qu’une fraction d’information au sujet de l’issue de leur malchance. "La justice doit considérer les personnes qui sont directement touchées par les événements. Il y a une panoplie de services pour les contrevenants, mais il doit aussi y en avoir pour les victimes. Dès que ces dernières seront soutenues, ça ira mieux", assure-t-il.
Une nouvelle voie
Qu’il s’agisse d’une faille dans le système judiciaire ou du caractère imprévisible de la nature humaine, les Québécois ont besoin de se sentir protégés par des lois respectées avec rigueur. À ce sujet, un projet de réforme est attendu pour l’automne de la part du ministère de la Sécurité publique. Maurice Cusson indique par ailleurs que, de leur côté, les établissements correctionnels du Québec ont besoin d’outils informatisés. "Le gouvernement n’a pas fait les efforts nécessaires pour moderniser l’équipement", déplore-t-il.
D’un point de vue humanitaire, Johanne Vallée réitère son affirmation quant à la nécessité du maintien des remises en liberté surveillée. "En milieu carcéral, toutes les décisions sont prises par d’autres et quand on en sort, ce n’est pas évident de se trouver un emploi, un logement, des amis. Il faut vraiment maintenir la libération conditionnelle avec surveillance."
Même son de cloche de la part Serge Charbonneau. "Quand les détenus sont sans espoir de sortir, les conditions de vie dans le pénitencier se détériorent." C’est pourquoi il insiste sur la route à prendre, celle de l’ouverture et de la sensibilisation. "Les résultats de l’incarcération ne sont pas toujours emballants. C’est comme si on manquait d’imagination pour faire autre chose. Mais il faut chercher et explorer d’autres voies."