Islam: religion de paix et d'amour? : Religion en confession
Société

Islam: religion de paix et d’amour? : Religion en confession

Les attentats du 11 septembre ont vite amené des individus à accuser les musulmans et leur religion. Aussitôt, les uns se sont portés à leur défense en affirmant que l’islam est une religion de paix et d’amour; alors que les autres ont répondu que le Coran contient des passages prônant la violence… Le spécialiste de l’islam, auteur et chargé de cours au département de sciences religieuses de l’UQAM, JEAN-RENÉ MILOT, fait la part des choses en répondant à nos questions.

Depuis les attentats du 11 septembre, pour éviter que la population conclue que l’islam incite à la violence, musulmans comme non-musulmans estiment qu’elle représente plutôt une religion de paix et d’amour. Est-ce vrai?
Ça dépend. On pourrait se poser la même question concernant le christianisme, n’est-ce pas? Car, selon à peu près tout le monde, le christianisme est la religion de l’amour, ce qui n’empêche pas les Nord-Irlandais et plusieurs autres de se battre et de se faire la vie dure.

Je pense qu’entre ce qu’une religion propose et ce que les adeptes réalisent, il y a toujours un décalage. Quand les musulmans nous disent que leur religion en est une de paix, les mots sont là pour le prouver: islam a la même racine arabe que salaam qui veut dire paix. Et, littéralement, le mot islam est une forme de non-verbal qui veut dire "ce qui fait qu’on est en paix".

Est-ce à dire que l’islam et ses écrits, tel le Coran, n’expriment aucun signe de violence?
Tout dépend de ce que les gens prennent dans le Coran et, surtout, dans l’exemple du prophète Mahomet qui y est exprimé. La vie de ce dernier contient des épisodes violents, sauf que c’était dans un contexte précis où la première communauté était menacée de disparition. Dans ce contexte, le Coran a autorisé les croyants musulmans à tuer leurs adversaires.

Par contre, une fois l’islam hors de danger et en bonne position, la plupart des musulmans ont vite considéré la djihad ou la lutte armée défensive comme totalement superflue. Donc, l’idée de lutte s’est estompée.

Pourtant, les sourates du Coran peuvent parfois être vues comme explicitement violentes. Par exemple, l’une d’entre elles stipule: "Faites la guerre à ceux qui ne croient pas en Dieu." De plus, dans le Coran, d’après ce qu’on peut conclure, celui qui ne croit pas doit être combattu physiquement. N’y a-t-il pas ici un quelconque encouragement à la violence qui peut donner raison aux extrémistes?
Si quelqu’un prend les sourates au sens littéral, en les mettant hors contexte, ça peut effectivement autoriser absolument n’importe quoi. La tradition musulmane a compris assez rapidement que le contexte de ces écrits remontait à une autre époque, à une tout autre situation. C’était une espèce de lutte armée un peu nécessaire au début, mais qui, après, ne l’était plus du tout; et qui ne se justifie absolument pas aujourd’hui. Ce qu’il est intéressant de constater aujourd’hui, c’est que, à part certains zélotes religieux, il n’y a personne qui soit très fier des épisodes de violence chez les musulmans.

Les musulmans ont réinterprété les écrits selon leur propre époque et n’ont pas pour autant travesti la réalité. Il y a beaucoup de dispositions dans le Coran et dans la façon d’agir du prophète sur lesquelles les juristes musulmans se sont appuyés pour arriver à définir ce qui se faisait et ce qui ne se faisait pas. Et les choses dites extrémistes ne le sont souvent pas.

Doit-on comprendre que les groupes extrémistes font, eux, une mauvaise interprétation du Coran? Ou, à l’opposé, le suivent-ils un peu trop à la lettre, sans remettre en contexte?
Les deux à la fois. Pour l’ensemble des musulmans, depuis longtemps, l’interprétation du Coran ne doit pas être du mot à mot. Autrement dit, dans l’application de ce qu’il y a dans le Coran, il y a toujours eu une sorte de sagesse, de modération et d’expérience.

Même les choses les plus dures de la loi islamique, comme la mise à mort à la suite de l’adultère, ont fait l’objet de beaucoup de conditions à leur application de la part des juristes musulmans. Par ailleurs, selon eux, la djihad, une guerre d’abord défensive, ne doit pas être lancée sur un coup de tête pour n’importe quelle raison. C’est pourquoi la guerre sainte est très, très rare et n’est plus survenue à notre époque.

Pourquoi alors le concept de djihad, la guerre sainte, revient encore et toujours aujourd’hui? Est-ce en raison de l’interprétation que font certaines personnes du devoir de protection de la religion musulmane?
C’est effectivement le cas. Le problème est que des islamistes veulent s’attaquer à ce qu’ils appellent l’impérialisme occidental en se donnant un agenda politique et en allant chercher ensuite la religion. Ils veulent exploiter le sentiment religieux des masses pour mobiliser tout le monde dans une lutte armée ou le terrorisme. Est-ce que ces gens sont des zélotes religieux, qui croient que la religion leur dicte un devoir politique d’action; ou est-ce que ce sont des activistes politiques qui se donnent une légitimation sur le plan religieux? La deuxième hypothèse, à mon sens, est la bonne. Ils exploitent la religion comme ils le veulent pour arriver à leurs fins et brandissent faussement le Coran pour justifier leurs actes.

Par ailleurs, l’islamisme est une maladie de l’islam, tout comme l’intégrisme est une maladie du catholicisme ou du christianisme. À l’intérieur de l’ensemble de tous les musulmans, un certain nombre va utiliser l’islam à des fins politiques, mettre une partie de l’islam au service d’une action politique, action qui sert dans bien des cas à créer un État islamique. Les islamistes sont des gens qui veulent établir un État islamique, en utilisant l’islam comme idéologie totalitaire. Ils découpent dans le Coran ce qu’il veulent bien, en laissant bien des choses de côté.

Vous dites que des groupes islamistes utilisent et interprètent le Coran comme ils le veulent. L’islam n’est-il pas alors l’objet de dérapages regrettables, à cause de l’absence d’une réinterprétation claire et unique, comme c’est le cas dans d’autres religions?
Ce qui est à l’avant-plan actuellement, ce sont les dérapages. Est-ce que ça tient plus à l’islam ou au contexte présent de crise? Je pense que la situation actuelle laisse penser bien des choses, bonnes comme mauvaises, sur la religion musulmane.

Dans les faits, il y a une contextualisation et une réinterpréation de l’islam et du Coran qui ont été faites et qui continuent de s’accomplir par la très grande majorité des musulmans. Ce n’est pas très spectaculaire, certes. Et c’est pourquoi on n’en parle pas. Ce qui retient l’attention, ce sont plutôt les interprétations récentes et extrêmes qui ont été faites de façon spectaculaire par les talibans. Ce n’est pas typique du monde musulman. Il s’agit plutôt de leur part d’une réaction à une modernisation effectuée au sein de l’islam, dans les institutions et dans la compréhension du Coran, chose qui a été relativement acceptée par la majorité, mais pas par eux.

Ainsi, il y a des groupes, des puristes, qui disent qu’on est allé trop loin et trop vite, qu’on s’est occidentalisé. Des groupes extrémistes parfois minoritaires soutiennent que ces changements ne sont pas islamiques, comme il y a peut-être des sectes ou des groupes chez les chrétiens ou autres qui nient la légitimité des gouvernements qui sont les nôtres.

Par rapport à l’interprétation faite actuellement du Coran, vous dites qu’il y a eu une recontextualisation d’après la réalité de notre époque. Comment se fait-il alors que les conditions difficiles des femmes perdurent?
Ce qui se passe en Afghanistan au sujet des femmes, on a tendance à penser qu’il s’agit de la même situation habituelle qui dure depuis toujours dans le monde musulman. De mon point de vue, et plusieurs le soutiennent aussi, ce sont des pratiques qui ne sont pas typiques de ce qui s’est passé dans l’islam moderne. C’est une réaction à la modernisation.

Je pense qu’il faut quand même mettre tout ça en perspective. Il y a eu une très grande libéralisation. La plupart des pays musulmans ont, entre autres, modifié leurs lois sur le code de la famille, en important des codes européens ou en s’inspirant de dispositions des droits de la personne. Il y a eu une modernisation. Il existe encore des clivages à bien des endroits. Mais là où les islamistes s’installent, comme en Afghanistan, on revient en arrière. Autrement dit, on réagit à la modernisation qui a été faite. On renvoie les femmes à la maison et on leur supprime des droits. C’est ce contre quoi les gens s’indignent aujourd’hui.

Il y a quand même eu beaucoup de mesures pour abolir la polygamie, le mariage des enfants, des choses comme cela, dans bien des pays musulmans. Beaucoup de changements ont été effectués, mais ils n’ont pas toujours été digérés et acceptés par tout le monde. Une certaine élite occidentalisée a opéré nombre de modifications dans la société, mais à un rythme essoufflant pour une partie des gens. D’où une crise d’identité.

Il faut donc bien comprendre que les musulmans ne sont pas tous pareils, pas plus que les catholiques ou les juifs, et qu’ils n’endossent pas unilatéralement tout ce que certains font au nom de l’islam…
Oui, il ne faut pas prendre une partie pour le tout. Les islamistes sont particulièrement visibles depuis un certain temps, mais cela ne veut pas dire que tous les musulmans soient comme eux. Je pense que c’est le contraire. Je connais des musulmans qui avaient une certaine sympathie pour le mouvement islamiste. Et ce qui vient d’arriver, ce qui se passe également en Afghanistan, cela est dénoncé de leur part.

J’ai remarqué qu’il y a beaucoup plus de musulmans, y compris des imams, des chefs religieux, qui se sont prononcés pour condamner l’attentat que par rapport à n’importe quoi d’autre survenu dans le passé. Avant, il pouvait y avoir un attrait pour David qui réussit à battre Goliath l’Occidental, un sentiment parfois éprouvé dans la communauté musulmane. Cette fois, avec le côté extrême de l’événement, je crois que cela a créé une forme d’unanimité qu’on avait rarement vue.

On porte un discours assez critique par rapport à la religion catholique. On ne se gêne pas pour dénoncer les abus. Mais on entend assez peu un discours critique envers l’islam, surtout par les temps qui courent. A-t-on peur de toucher une corde sensible, d’aborder un interdit? Peut-on adopter un discours critique à propos de cette religion?
Oui. Je pense que la façon de le dire et la contextualisation sont importantes. Il faut accepter, de chaque côté, des positions différentes sur certaines questions. Si, dans le respect, on énonce des critiques sensées, les musulmans vont les accepter.

Ce qui indispose le plus les musulmans, comme bien d’autres d’ailleurs, ce sont les jugements portés. On ne peut pas affirmer que l’islam est une religion de violence ou même une religion de paix, sans plus. Il faut aller plus loin et comprendre, comme on tente de le faire actuellement.