![Permis d'arme à feu : Viser juste](https://voir.ca/voir-content/uploads/medias/2011/12/10485_1;1920x768.jpg)
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Permis d’arme à feu : Viser juste
Les nouvelles conditions fixées pour obtenir un permis d’arme à feu sont-elles entièrement efficaces ou justifiées? Le plus récent rapport du Commissaire à la vie privée suscite des inquiétudes chez ceux qui le croient, alors qu’il redonne un nouveau souffle à ceux qui sont sceptiques.
Denoncourt Frédéric
Depuis le 1er janvier dernier, la loi exige que tous les citoyens qui possèdent ou qui veulent se procurer une arme à feu se soumettent à un questionnaire détaillé concernant leur vie personnelle. L’objectif est de repérer ceux qui feraient potentiellement un mauvais usage de ce type d’arme.
Car bien que les décès par armes à feu soient en baisse constante depuis 1989 au pays, il reste qu’annuellement, en moyenne, 1300 décès et 1000 blessés leur sont attribuables. Le coût économique global de ces tragédies est estimé à 6 milliards $ par an. Aussi, les sondages révèlent que 70 % des Canadiens appuient les nouvelles dispositions législatives dans ce domaine. Aux extrémités, on trouve la population québécoise, favorable dans une proportion de 93 %, et celle des Prairies, dont le support se chiffre à 54 %.
En dépit de ces statistiques, le Commissaire à la vie privée Georges Radwanski acheminait récemment un rapport au ministère de la Justice, dans lequel il faisait part de ses réserves quant à l’aspect intrusif de certaines questions ayant trait aux antécédents psychologiques, conjugaux et financiers des candidats.
Vie privée, sécurité publique
Ainsi, c’est avec perplexité que Wendy Cukier, présidente de la Coalition pour le contrôle des armes à feu, a accueilli ce rapport. "Ce type de questions est présent depuis 1991. M. Radwanski, à l’évidence, est plus enclin à protéger la vie privée que la sécurité publique. En réalité, je doute qu’il ait les compétences pour juger seul de la question."
Le questionnaire n’est qu’une première épreuve nécessaire, bien qu’imparfaite selon madame Cukier. Mais les gens peuvent aisément mentir? "C’est possible, mais leurs répondants peuvent le noter, ce qui est une forme d’assurance. Bien sûr, comme toutes les lois, on peut la contourner. N’empêche que les pays qui ont les législations les plus sévères sont aussi ceux qui relèvent le moins de crimes par armes à feu. Il est ironique de constater que les provinces rébarbatives, comme l’Alberta, sont aussi celles où l’on trouve le plus haut taux de décès liés à ces armes."
Aucun doute, pour Tim Quigley, professeur à la faculté de droit de l’Université de la Saskatchewan, il existe des limites raisonnables aux libertés individuelles dans une société démocratique. "Tous ceux qui veulent un permis de conduire doivent aussi répondre à des questions de nature privée, concernant des problèmes de santé tels les troubles cardiaques ou l’épilepsie. La Cour suprême du Canada a d’ailleurs statué à plusieurs reprises que lorsque des actions individuelles ont des conséquences potentielles pour l’ensemble de la population, on doit s’attendre à ce que la vie privée soit affectée à un certain degré. Dans tous les cas, la personne a un recours légal pour contester une décision défavorable."
Programme coûteux et inefficace?
Du point de vue de Jim Hinter, président du National Firearms Association, qui incarne presque à lui seul la résistance à la nouvelle législation, ce rapport est déjà perçu comme une petite victoire. "Ce que le Commissaire semble dire, c’est que le gouvernement a fait la sourde oreille à ses recommandations depuis le début, tout comme il l’a fait dans notre cas. En fait, voilà simplement une autre preuve de l’échec de cette loi."
M. Hinter se défend bien d’être contre un meilleur contrôle des armes à feu, mais il croit que les mesures actuelles, trop coûteuses et inefficaces, pourraient même avoir l’effet contraire à celui recherché. Il plaide pour des mesures ciblées, très sévères envers ceux proférant des menaces ou perpétrant des crimes avec des armes à feu, doublées d’un examen exhaustif pour vérifier les antécédents de violence, d’abus d’alcool ou de drogues des candidats. Mais la loi actuelle s’affaire déjà à parer à cela? "Remplir un simple questionnaire ne donne rien. Les gens suicidaires ne répondront pas par l’affirmative aux questions sur le suicide ou la dépression. Le gouvernement ne peut vérifier la sincérité des gens à ce sujet. Au Manitoba, on a fait l’expérience en utilisant le nom du gars [Evan Wade Brown] qui a entarté Jean Chrétien et celui d’un malade mental notoire. Les permis ont été délivrés…"
Selon M. Hinter, il y aurait aussi quantité d’erreurs quant aux informations personnelles servant à identifier les candidats sur les permis. "En fait, toutes les mesures actuelles ne contribuent qu’à donner l’illusion d’une plus grande sécurité. On observait déjà, plusieurs années avant la nouvelle loi, une diminution des agressions par armes à feu."
Juriste à Edmonton, Richard Fritze est d’avis que ce rapport est davantage conforme à nos traditions de droit en protégeant l’individu contre l’État. "La nouvelle loi sur les armes à feu est une atteinte aux droits et libertés. Il existe une foule d’autres activités dangereuses auxquelles s’adonnent les gens et le gouvernement n’exige pas d’enquête sur la vie conjugale, professionnelle ou psychologique au préalable. On observe un double standard pour les armes à feu car on veut faire croire qu’on intervient."
M. Fritze soutient, comme M. Hinter, que la nouvelle loi, contrairement à ce que l’on pourrait croire, n’a en rien contribué à réduire les crimes. "L’enregistrement de toutes les armes de chasse est inutile et très coûteux. Seulement une centaine de morts par an sont dénotées avec ce type d’arme. À l’inverse, il y a 5000 femmes par année qui meurent du cancer du sein au pays, et le gouvernement n’a dépensé que 4 millions $ pour lutter contre ce fléau il y a quelque temps, alors que le programme de contrôle des armes à feu a englouti 200 millions $ l’an passé. Cela est une véritable gifle faite aux femmes."
En pratique
"La philosophie de la nouvelle loi est d’établir un équilibre entre les droits de l’individu et ceux du public. En fait, selon nous, le questionnaire pourrait même être plus exhaustif", estime de son côté Penny Bain, directrice de l’Institut contre la violence familiale de la Colombie-Britannique. "Le tiers de tous les homicides au pays implique des gens ayant des liens familiaux. Et lorsque la personne a accès à une arme à feu, c’est ce qui est utilisé pour tuer."
Mais une personne est-elle disqualifiée si elle a simplement perdu son emploi, fait une dépression ou eu une rupture amoureuse récente? "On n’éliminera pas quelqu’un sur la base d’une seule question, mais si plusieurs facteurs de risque s’accumulent, on pourra pousser plus loin l’enquête, qui est confiée à la police", ajoute madame Bain. Coordonnatrice du Conseil des femmes de l’Alberta, Jan Reimer s’explique aussi bien mal les positions du Commissaire. "Au moment de l’élaboration du questionnaire, de nombreux experts furent consultés. Il semble que le Commissaire n’a demandé l’avis de personne avant de rédiger son rapport. L’enjeu, c’est la sécurité publique, et l’Autriche impose même un test psychologique avant d’autoriser la possession d’une arme à feu."
De son côté, le milieu médical appuie largement les mesures préventives en vigueur, affirme Harry Grantham, psychiatre et ancien professeur de l’Université Laval. "Les médecins sont confrontés directement aux accidents liés aux armes à feu et ce type de questionnaire correspond aux cas pratiques que l’on rencontre dans la problématique liée aux armes à feu."
Existe-t-il un profil type d’agresseur? "Je ne dirais pas ça, mais beaucoup de gens refusent encore d’admettre des difficultés personnelles, ce qui contribue à créer des conditions menaçantes. Vous savez, posséder une arme à feu est un privilège ici. La question qui se pose est ainsi de savoir si les personnes sont prêtes à démontrer à la collectivité qu’elles ont suffisamment de conscience sociale pour en avoir une."
Au ministère de la Justice, David Austin précise qu’il est trop tôt pour savoir s’il y aura des modifications apportées ou quand une décision sera rendue. "En ce moment, nous étudions le rapport et consultons les divers groupes concernés. Nous aurons par la suite le loisir d’accepter ou de refuser, en tout ou en partie, les recommandations de monsieur Radwanski."