![Droit de cité : Comme une crêpe](https://voir.ca/voir-content/uploads/medias/2011/12/10637_1;1920x768.jpg)
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Droit de cité : Comme une crêpe
Éric Grenier
C’est tout un exploit qu’a accompli Gérald Tremblay, lors du débat de la Chambre de commerce du Montréal métropolitain, la semaine dernière. En comparaison, la traversée du Saint-Laurent en pédalo, c’est de la petite bière d’épinette.
De Pierre Bourque, petit politicailleux sans envergure, populiste à ses heures et détenant la culture politique d’un iguane, il a fait quelque chose comme un grand homme politique. Churchill avec un pouce vert. En se mesurant à lui, Gérald Tremblay a donné à Pierre Bourque un lustre qu’on ne lui connaissait pas.
B-r-a-v-o.
Vrai que Gérald Tremblay s’est fait aplatir comme une crêpe par Pierre Bourque. Sans oublier au préalable de l’enduire de sirop d’érable et de le rouler dans la farine par la suite.
Le simple fait d’entendre ses proches minimiser l’importance de ce débat dans les minutes qui l’ont suivi en était la preuve. Mais ils n’avaient pas tort d’en minimiser les impacts. Après tout, c’était un premier débat, tôt dans la campagne, devant un auditoire restreint de complets trois-pièces, et télédiffusé sur RDI l’après-midi en plein milieu de la semaine.
Mais c’était sans tenir compte du retour médiatique, absolument dévastateur. (Sauf dans la Gazette, où les journalistes ont conclu que Gérald Tremblay avait eu le dessus sur Pierre Bourque, le battant sur tous les fronts. Allez savoir!) "Les plus longues 16 secondes de l’histoire, elles ont duré une semaine!" disait-on dans l’entourage du candidat de l’Union des citoyens de l’île de Montréal, en faisant référence au long silence de Gérald Tremblay après une réplique de Bourque. Pendant ces 16 secondes, on entendait son petit hamster courir dans sa roue. Les médias ont présenté en zoom in pendant trois jours ce furoncle oratoire.
Que Gérald Tremblay ait eu le sifflet coupé pendant 16 secondes n’est indicatif de rien. Mais qu’il se soit laissé boucher par la répartie pas toujours exacte de Pierre Bourque, alors là… Au fur et à mesure que le débat avançait, on imaginait déjà Gérald Tremblay quémandant ses trois milliards de dollars auprès de Bernard Landry, dollars avec lesquels il compte réaliser son programme politique. Déjà, on pouvait entendre les "crounch crounch" de ses os broyés sous les dents acérées du premier ministre. Sans ces trois milliards, le maire Gérald Tremblay n’aurait plus de programme, condamné à administrer Montréal à la petite semaine, exactement ce qu’il reproche à Pierre Bourque. Prometteur.
Langue dans le vinaigre
Comme Jacques Parizeau, Stéphane Dion et Bernard Landry, Gérald Tremblay a enseigné à l’université. Comme eux, ses paroles sont parfois engluées dans une épaisse mélasse de langue de bois. Mais, contrairement aux trois premiers, il n’y a rien à vulgariser du langage de Gérald Tremblay. On a beau essayer de traduire ce qu’il dit, on aboutit toujours devant rien. Son discours navigue de vides en creux. Quelques exemples triés sur le volet lors du débat à la Chambre de commerce:
– Nous comptons sur une responsabilisation (sic) en termes d’efficience (sic-sic).
– On va mieux gérer les finances.
– Nous nous donnons des objectifs de croissance.
– Nous allons développer le plein potentiel de Montréal en tablant sur nos avantages compétitifs.
– Nous allons agir face aux nouveaux enjeux stratégiques.
– Il faut canaliser les énergies des intervenants.
– Une stratégie gagnant-gagnant.
– Une stratégie productive en regard des nouveaux enjeux.
– Nous savons reconnaître la valeur des gens.
Culture politique
Parler de culture pendant une campagne électorale, ce n’est pas vraiment une bonne idée. En fait, c’est surtout inutile. Il y a trois ans, lors de la dernière élection municipale, le débat "culturel" entre les quatre candidats avait été un désastre. Tout au mieux avait-on pu y voir du cinéma yougoslave, époque Tito. Pourtant, la madame qui invitait les journalistes au débat insistait auprès de mon collègue: "Non, non, on veut pas d’un journaliste qui couvre les élections. Z’avez pas un journaliste qui s’occupe de la culture? On va parler de culture à ce débat."
Elle avait raison, la madame. Et quelle culture! "Pacte fiscal, régionalisation des services et des intervenants, une île, une ville!, valeur de l’immobilier, création d’emplois, économie du savoir…"
Alors, cette fois-ci, les artistes se sont dit: tant qu’à faire, utilisons les mêmes armes que les politiciens. Apprenons leur langue. Adoptons leurs codes sociaux, leurs moeurs. Ils ont donc créé, pour se faire voir et entendre auprès des politiques, un nouvel organisme baptisé Culture Montréal, qui sera en fonction d’ici trois ou quatre mois. "Mais, oh! attention!" disent ses géniteurs, ce n’est pas un lobby. C’est un réseau, une agora.
Anyway, qu’importent les jeux de sémantique, ça fait à peu près la même chose. Sinon, pourquoi fonder l’organisme en pleine campagne électorale? Pourquoi inviter les deux principaux candidats à la soirée de fondation? Il n’y a pas de mal à se doter d’un groupe de pression dûment organisé. Tout le monde le fait. Les banquiers, les syndicats, les pétrolières, les compagnies de tabac, les Desmarais et les Bronfman en ont tous un, et l’utilisent avec succès auprès des élus. Pourquoi pas les artistes?