Droit de cité : Voter n'est plus aussi simple
Société

Droit de cité : Voter n’est plus aussi simple

Des bulletins de vote complexes. Des urnes électroniques. Une procédure électorale pas tout à fait claire. Une élection au coude à coude. Et deux forces qui se regardent en chiens de faïence, bardées d’avocats impatients d’en découdre.

Les savants de salons qui voient là un rappel de la tragi-comédie qui s’est jouée l’an dernier en Floride ont raison de faire remarquer qu’il s’agit des mêmes ingrédients qui nous ont adjugé un président américain dont on ne sait même pas si c’est le bon.

Mais c’est moins exotique que ça. Ce coup-ci, ça se passe chez nous, dans notre petit carré de slush montréalais.

La course à la mairie est si serrée, qu’à moins d’un cataclysme de part et d’autre du boulevard Saint-Laurent – la grande ligne de partage des eaux entre les équipes de Bourque et Tremblay – il n’est pas sûr que dans les heures, voire les jours suivant la fermeture des bureaux de vote le 4 novembre prochain, on sache qui gouvernera le nouveau et très vaste Montréal, malgré les formidables capacités de calcul des urnes électroniques. Après le 4 novembre, il risque d’y avoir une multiplication des dépouillements judiciaires et des contestations sur l’interprétation de ce qui est un vote rejeté dans les quelques districts électoraux qui feront tomber le pouvoir d’un côté ou de l’autre. Parce que la présente procédure électorale est une piste boueuse dans laquelle on risque de s’embourber. Comme en Floride, il y a un an.

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Déjà que les citoyens avaient à digérer les fusions, le concept d’arrondissement (des arrondissements à angle droit, de surcroît), de district, de conseil d’arrondissement, de petits maires (présidents d’arrondissements), de grand maire, ils devront, qui plus est, composer avec une toute nouvelle procédure électorale dont les explications sont loin d’être claires.

D’abord, il y a eu un imbroglio quant à la révision de la liste électorale en banlieue. Là-bas, on s’était habitués à recevoir la liste dans une enveloppe adressée à son nom. Les citoyens et citoyennes ont plutôt reçu, comme c’est le cas dans l’actuelle ville de Montréal, une enveloppe adressée "à l’occupant", avec un logo minimaliste de Élections Montréal. Plusieurs résidants ont cru avoir affaire à du junk mail publicitaire, et ont jeté l’enveloppe à la corbeille.

Ensuite, les bureaux de vote, toujours situés aux mêmes endroits d’une élection à l’autre, n’y seront plus. Des 425 qu’on en recensait, il n’en restera plus que 175. (Dès son premier geste, la nouvelle Ville coupe des services… ça regarde mal pour ceux qui nous en promettent toujours plus.)

Quand ils auront trouvé le nouveau bureau de vote, les électeurs tomberont sur des urnes électroniques, une innovation pour la grande majorité des électeurs montréalais.

Pas que la machine soit difficile à faire fonctionner, mais elle commande une nouvelle sorte de bulletins de vote. Sur le site Web du Comité de transition (www.transitionmontreal.org), on indique en grosses lettres que cela ne change rien, "vous voterez comme d’habitude en marquant, à l’aide d’un crayon, le cercle en regard du nom du candidat pour lequel vous désirez voter". Mais les petits caractères ne disent pas la même chose: "noircir l’intérieur d’un cercle", indique-t-on plutôt. Ce n’est plus du tout la même chose, et surtout pas comme d’habitude. Marquer: mettre un signe qui permet de reconnaître. Un X est un signe, un crochet est un signe. Noircir: rendre noir. Un X ne rend pas noir; un crochet, non plus.

Déjà que le bulletin de vote sera pas mal transformé, il différera en plus, selon votre lieu de résidence. Dans certains arrondissements, vous voterez pour le maire, le ou les conseillers de Ville, et le conseiller d’arrondissement. Le nombre de X que vous aurez à tracer ou le nombre de cercles que vous aurez à remplir (selon la page du site où l’on se réfère), varie selon la taille de votre arrondissement. Dans d’autres arrondissements, vous ne voterez que pour le maire et le conseiller représentant votre district. Le Comité de transition nous dit, toujours par le biais de son site, que la première méthode sera en vigueur dans les anciennes de villes de banlieue, et la seconde, dans l’actuelle ville de Montréal. Or, ce n’est même pas vrai, puisque les électeurs de Montréal-Est, une ville de la banlieue, voteront comme ceux du Montréal actuel.

Et ce n’est pas tout, l’emberlificotage se poursuit. Dans le Guide de l’électeur publié par le Comité de transition, et sur son site Web, on laisse fortement entendre que vous devrez voter sur tous les postes en élection, sinon votre bulletin de vote pourrait être rejeté. Extrait du Guide de l’électeur dans l’arrondissement de Westmount: "Vous devrez voter pour un candidat à la mairie (…). Vous devrez voter pour deux candidats aux postes de conseiller de la ville (…). Vous devrez voter pour un candidat au poste de conseiller d’arrondissement." On met tellement d’accent sur l’impératif qu’on a le réflexe de se mettre au garde-à-vous en le lisant. Ce qui a créé de la confusion chez certains électeurs des villes de banlieue opposés aux fusions. Dans leur esprit, ils ne peuvent voter pour un maire d’une ville qu’ils refusent de voir naître. Or, ils pourront s’abstenir, s’ils le veulent, de voter pour le maire, et pourront ne voter que pour un conseiller de ville. Mais ils ne le savent pas.

Bref, c’est pas mêlant: je suis tout mêlé juste à vous l’expliquer.