Société

Histoires d’horreur à Québec : Capitale de risque

Meurtres crapuleux, cadavres empilés, exécutions sordides: lorsque vient le temps d’analyser le côté sombre de notre histoire, la belle ville de Québec n’est pas en reste. Fête des morts oblige, nous avons interrogé quelques experts en la matière, historiens, professeurs et journalistes, afin de mieux connaître quelques-unes de ces histoires qui hantent toujours notre présent. Quand le crime devient folklore.

Rares sont ceux qui, au delà de l’apparente beauté architecturale de la ville de Québec, ont su saisir la part d’horreur que dissimulent ses fortifications, suintant des dédales de macadam du Vieux-Port, surgissant inopinément au coin d’une allée mal éclairée. Parmi ceux-là, il y eut l’auteur américain de science-fiction H.P. Lovecraft qui, à la suite de ses nombreux voyages à Québec, peignit un portrait presque idyllique de la ville, n’omettant toutefois pas de noter au passage l’"étrange impression" que laissent certains quartiers ou les contours parfois "inquiétants" de la citadelle et de ses murs gris.

Il y eut aussi Hitchcock qui, tournant I Confess en nos murs, sut projeter l’image d’une ville sombre et lugubre, ribambelle d’ombres démesurées, de mystères monochromes plus noirs que blancs. Québec n’était plus la toute belle, elle pouvait aussi être étrange et macabre.

Et bien que son statut actuel de petite ville (du Québec profond si on en croit certains politiciens) composée en bonne partie de bureaucrates ne lui confère guère un caractère horrifiant, son histoire s’est construite, comme ce fut le cas de la plupart des villes des nouvelles colonies d’Amérique, dans le sang.

Justice de sang
À la Compagnie des Six Associés, où l’on se spécialise dans les randonnées urbaines à caractère historique, c’est toute une visite qui est consacrée au crime dans la capitale, principalement sous les régimes français et anglais du XVIIe et XVIIIe siècle. À l’époque, il semble que ce soit la justice qui se fasse le plus souvent pourvoyeur d’horreur et de sang. Pour preuve, Geneviève Morin, employée aux Six Associés, cite en exemple la sentence moyenâgeuse infligée à David McLane pour haute trahison: "Il fut condamné à la potence [les pendaisons se tenaient à l’emplacement du Morin College], mais pas jusqu’à ce que mort s’ensuive. C’est-à-dire qu’une fois pendu, on l’a charcuté vivant, on a brûlé ses entrailles alors qu’il vivait toujours, puis il fut décapité."

Justice et religion allant de pair à ladite époque, le sort alors réservé aux suicidés peut aujourd’hui ressembler à un acharnement des plus morbides. Geneviève Morin raconte : "On voulait évidemment punir par l’exemple, histoire d’enlever aux gens le goût de répéter les gestes de leurs congénères. […] Quand le suicidé avait commis son crime contre lui-même, on le traînait derrière un char dans toute la ville." Au cours de l’entretien, Morin évoque aussi, au passage, une demi-douzaine d’histoires glauques concernant les infanticides, viols, duels meurtriers et autres, peignant un portrait peu flatteur de la colonie.

Historien du crime
Universitaire et auteur de sept ouvrages consacrés aux moeurs de nos ancêtres, André Lachance publiait en 1984 Crimes et Criminels en Nouvelle-France. Préférant désormais les publications grand public aux travaux d’ordre didactique, Lachance faisait plus récemment paraître Juger et Punir en Nouvelle-France, colligeant d’un côté les faits et, de l’autre, les interprétant au moyen d’histoires romancées.

Rejoint chez lui dans la région de Sherbrooke, l’historien nous raconte la triste destinée (telle que rapportée dans les faits) du tout aussi triste personnage que fut Julien Latouche, assassiné en 1672 par sa belle-famille: "Marié à une jeune fille de 12 ans alors que lui en avait 30, il avait loué une terre dans la région de Québec. Incapable de faire fructifier cette terre, il parvient difficilement à assurer la subsistance de sa femme. Le beau-père, Jacques Bertauld, doit souvent prêter main forte à Latouche en lui fournissant de la nourriture ou en l’aidant aux travaux manuels. Il semble aussi que Latouche buvait et battait sa femme, si bien que des témoins avaient entendu la jeune fille dire qu’elle aurait voulu le voir crever. Avec ses parents, elle tente alors d’assassiner son mari en l’empoisonnant, mais le poison n’opère pas et c’est à coups de bêche qu’ils l’achèvent. […]" Les trois seront condamnés à mort, conclut-il, mais en appel, la jeune fille sera graciée en raison de son âge. "Et ça n’a pas dû trop la traumatiser, rigole presque Lachance, puisqu’elle s’est mariée deux autres fois par la suite."

La paroxysme de l’horreur
Plus récemment, donc aux XIXe et XXe siècles, ce sont les épidémies et l’apparition de tueurs à caractère sexuel qui feront le plus de ravages dans la ville et dans l’inconscient collectif. Animateur et chroniqueur à la radio de Radio-Canada, Réjean Lemoine se plaît visiblement à raconter les sordides histoires qu’on lui commande. Parlant abondamment de l’épidémie de choléra de 1832 qui terrassa plus de 3000 habitants de Québec (10 % de la population) et des cadavres qu’on enterrait en fosses communes, Lemoine oblique ensuite vers une terreur plus contemporaine, abordant l’histoire de Léopold Dion. Au début des années 60, ce bonhomme à la stature imposante enlève quatre enfants dans le secteur des plaines d’Abraham en se faisant passer pour un photographe, puis les tue. La terreur engendrée par la disparition des enfants et le procès suivant l’arrestation de Dion sont encore frais à la mémoire de plusieurs baby-boomers.

"Léopold Dion, s’il était psychologiquement fucké, était par ailleurs un artiste, raconte Lemoine, il a écrit un livre, il faisait de la peinture. C’était donc un artiste raté qui kidnappait des jeunes garçons, les violait et les tuait ensuite. Je me souviens, car j’étais enfant à l’époque, qu’une psychose s’était emparée des Québécois jusqu’à ce qu’on l’attrape et qu’on nous empêchait même de sortir. Mais c’est son procès qui souleva le plus de passions, mettant entre autres en vedette Guy Bertrand à la défense de Dion et Camille Lorrain comme psychiatre de la défense qui voulait témoigner pour lui éviter l’échafaud. Dion sera cependant assassiné par un "collègue" de cellule", relate-t-il. Macabre fin.