![Le Val-Bélair Witch Project 2: : Le Live des ténèbres](https://voir.ca/voir-content/uploads/medias/2011/12/10751_1;1920x768.jpg)
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Le Val-Bélair Witch Project 2: : Le Live des ténèbres
Il y a un an, la disparition de deux étudiants venus à Val-Bélair pour y étudier les légendes locales ne marquait en fait que le début d’une vague de disparitions. À la fin de l’hiver, on avait perdu la trace de pas moins d’une vingtaine de personnes. Aucune piste sérieuse, aucun scénario plausible. Seul indice: des traces de tondeuse sur le lieu de disparition des victimes…
Un conte d'Halloween de Serge Robert alias Mononc' Serge
"C’est la guerre du Bien contre le Mal", déclara le maire de Val-Bélair.
Le silence lourd duquel ne se détachait que le son des stylos sur le papier trahissait l’importance de la phrase que venait de prononcer le premier magistrat de la ville. Ces mots allaient faire le tour du monde. Un reporter du Soleil y alla d’une question:
"Ne vous attribuez-vous pas une part de responsabilité dans les derniers événements? La présence d’une si grande quantité de tondeuses à gazon n’a-t-elle pas favorisé l’éclosion de la vague de violence que nous connaissons aujourd’hui?"
Le maire sembla agacé par la question:
"Le mode de vie des gens de Val-Bélair, y compris le nombre de tondeuses, ne saurait aucunement être remis en question par les événements actuels. Ici, on aime la verdure, mais on doit contrôler sa tendance expansionniste. C’est pourquoi le Bélairois s’équipe d’instruments potentiellement offensifs: grosses tondeuses sur roues, petites tondeuses manuelles pour aller dans les coins, ciseaux pour tailler les haies… Tous ces accessoires sont au coeur de la culture de Val-Bélair. Ce n’est pas leur nombre faramineux qui explique le drame que nous vivons aujourd’hui, mais bien la présence d’éléments extrémistes parmi ces objets. D’ailleurs, la plupart des tondeuses à gazon de la ville font preuve de modération et appuient nos représailles militaires."
Un journaliste de la revue pacifiste Tam-tam et patchouli demanda:
"Des solutions non-violentes sont quand même envisageables, non? Par exemple, l’interdiction des tondeuses a été adoptée au Népal et…"
Le maire, irrité, l’interrompit:
"Au milieu des hautes herbes, nos enfants ne seraient-ils pas tentés de se cacher pour se livrer à des ébats sexuels précoces, ou encore consommer de la drogue? Nos pelouses sans tondeuse, ce serait l’anarchie et le déclin de Val-Bélair. La solution que nous avons privilégiée est définitivement la meilleure: des frappes ciblées contre les éléments extrémistes pour la sauvegarde de la Liberté."
En prononçant les mots frappes ciblées, le maire fit un signe de peace and love de sa main droite. Alertes, les photographes présents appuyèrent sur le piton de leur appareil pour immortaliser ce moment fort. La photo allait assurément faire la une de tous les journaux le lendemain. Un reporter du New York Times interrogea:
"L’OTAN et le gouvernement américain n’ont pas encore réagi officiellement à votre initiative de bombardement. Que ferez-vous s’ils vous refusent leur soutien?"
Le maire répondit, terrible:
"On ne peut rester neutre dans la lutte qui se livre aujourd’hui. Soit vous êtes avec nous, soit vous êtes contre nous. D’ailleurs, le peu d’empressement de nos voisins du sud à appuyer notre noble cause laisse perplexe. Plusieurs des tondeuses identifiées comme ayant pris part aux atrocités étaient de fabrication américaine. Si notre enquête démontre que les États-Unis abritent des éléments extrémistes, nous serons sans pitié pour eux. Il n’y aura pas de distinction entre les tondeuses qui ont perpétré ces actes barbares et les gens qui les aident ou les protègent."
Un vent d’effroi passa dans le bar de danseuses où se déroulait la conférence de presse. Un journaliste de Libération prit la parole:
"En bombardant la montagne, ne ferez-vous pas d’innocentes victimes civiles parmi les Amérindiens qui peuplent la forêt canadienne?"
Avant même que le maire ait pu répondre, un agent de police s’interposa et fit valoir que son patron était demandé d’urgence au quartier général de la police de Val-Bélair d’où l’on coordonnait l’effort de guerre. Le maire se leva et sortit précipitamment du bar de danseuses. Un hélicoptère l’attendait, mais il préféra se rendre à pied au quartier général vu qu’il était juste de l’autre bord de la rue.
Rappel des événements
Un an auparavant, la disparition de deux jeunes étudiants venus à Val-Bélair pour y étudier les légendes locales avait marqué le début d’une vague de disparitions. À la fin de l’hiver, on avait perdu la trace de pas moins d’une vingtaine de personnes. Aucune piste sérieuse ne semblait conduire au moindre suspect. Seul indice: des traces de roues de tondeuse à gazon étaient systématiquement visibles près des lieux où l’on avait vu les victimes pour la dernière fois. En avril, on découvrit sur la montagne de Val-Bélair un immonde amoncellement de viande hachée. L’analyse révéla qu’il s’agissait des restes des disparus. Elle révéla également que les corps avaient été découpés à l’aide d’une tondeuse à gazon. La psychose gagna la ville. Le prix des maisons chuta, la plupart des commerces furent acculés à la faillite. Même les bars de danseuses, piliers de l’économie locale, connurent un ralentissement.
En retenant l’hypothèse selon laquelle les traces de roues avaient été faites par l’engin ayant haché les victimes, on devait conclure que la machine meurtrière était une Greenslayer, le fameux géant américain de l’entretien paysager. La chose ayant probablement été achetée chez lui, le sensible gérant du Canadian Tire de Val-Bélair se sentit coupable et ne voulut plus offrir de modèles de marque Greenslayer. Comme il lui en restait pourtant quelques exemplaires en stock, il se résolut à les liquider au prix de 5 $ chacune, une aubaine jamais vue. N’ayant jamais une tondeuse de trop, les Bélairois se ruèrent. Alors que le magasin était bondé et que les clients se battaient à coups de poing pour s’arracher les quelques modèles disponibles, une tondeuse-kamikaze chargée d’explosifs fit irruption dans le commerce et se fit sauter, entraînant dans la mort tous les gens qui se trouvaient chez Canadian Tire. Ce terrible drame suscita une incroyable vague de solidarité à travers le monde. Un spectacle-bénéfice réunissant Sting, Céline Dion et Mononc’ Serge rassembla plusieurs milliers de personnes au Madison Square Garden de New York. Yasser Arafat fit un don de sang pour les victimes. Seul Pierre Falardeau tint des propos discordants: "Les tondeuses sont une race dominée et exploitée, fit-il savoir. Elles vivent dans des conditions extrêmes, faqu‘elles posent des gestes extrêmes."
L’acte, ainsi que les meurtres des mois précédents, fut revendiqué par le Front de libération des tondeuses de Val-Bélair. Les tondeuses modérées dénoncèrent les attentats, faisant valoir que si elles vivaient bel et bien sous le joug des humains, c’était quand même mieux qu’un coup de pied dans le cul. L’enquête policière permit d’identifier les tondeuses coupables mais, sans qu’on sache comment, les machines incriminées apprirent la nouvelle de leur arrestation à temps pour prendre la fuite. Elles trouvèrent refuge sur la montagne de Val-Bélair. Les autorités de la ville envisageaient maintenant de bombarder la colline pour en finir une fois pour toutes avec ces engins assoiffés de sang.
Le théâtre des opérations
Le maire entra dans le quartier général de la police. On l’informa que les quatre deltaplanes de l’aviation bélairoise étaient prêts pour l’assaut final, ne restait qu’à recevoir le signal de départ. Le maire eut une seconde d’hésitation. Après les bombardements, les agents de police de Val-Bélair gagneraient la montagne et se battraient au corps à corps avec les tondeuses. Le maire regarda les braves policiers qui dégustaient une collation avant l’attaque… "Mon Dieu! C’est peut-être leur dernier beigne…" se désolait-il. Mais en ces temps de guerre, l’attendrissement n’a pas sa place. L’ordre fut donné.
Les quatre deltaplanes s’élancèrent du toit du poste de police. Les planeurs planaient maintenant au-dessus des piscines hors terre et des pelouses bien entretenues en mettant le cap sur les hauteurs boisées de Val-Bélair. Les pilotes étaient heureux de risquer leurs vies pour une si juste cause. Malheureusement, rien ne se déroula comme prévu. D’abord faible et lointain puis sonore jusqu’à en devenir insoutenable, un bruit assourdissant emplit le ciel de la paisible banlieue. Les pilotes de deltaplane assistèrent impuissants au bombardement du poste de police par des chasseurs MARD-88 de l’aviation américaine. Ils furent ensuite abattus très proprement. Pendant ce temps, des hélicoptères de l’armée US se posaient sur la montagne de Val-Bélair et recueillaient les tondeuses américaines en fuite. Les engins revinrent sains et saufs aux États-Unis et furent reçus par le président en personne.
Mise au jour du complot
Après la cérémonie d’accueil, le chef d’État américain prononça un discours au cours duquel il annonça fièrement que grâce aux efforts des États-Unis, la paix était revenue à Val-Bélair. Cette autre guerre humanitaire avait porté ses fruits. L’écosystème de la montagne bélairoise n’était plus menacé par l’attaque brutale que le maire tyrannique allait mettre à exécution sous prétexte de lutter contre des tondeuses. La CIA avait en effet découvert que le maire projetait de construire sur cette montagne un complexe récréo-touristique inspiré de Disneyland, Le Monde de Patof. Ce projet rencontrait des résistances au sein des groupes écologistes qui souhaitaient préserver le caractère sauvage de la butte. Comme aucune végétation n’aurait survécu aux bombardements, les écologistes n’auraient plus rien eu à défendre et le maire aurait réalisé son projet sans être importuné.
Mais là n’était pas la seule ignominie.
Selon des révélations que l’organisme Lawn Mower Rights Watch avait transmises à la CIA, Val-Bélair menait depuis plusieurs mois déjà une abjecte campagne d’épuration ethnique parmi les tondeuses. Un génocide visant les machines américaines de marque Greenslayer était manifestement en cours. Greenslayer accaparait une trop grande part de marché au goût du maire, qui détenait des actions de fabricants concurrents. Les attentats et enlèvements que l’on sait avaient été commandités par la mairie de Val-Bélair dans le but de susciter la haine envers les produits de la compagnie américaine. Les atrocités prêtées aux tondeuses Greenslayer avaient en réalité été exécutées par des tondeuses de marque canadienne endoctrinées par le maire et munies de roues Greenslayer pour que les traces laissées fassent peser les soupçons sur les engins de l’entreprise états-unienne. On voulait ainsi amener l’opinion publique à souhaiter l’interdiction des tondeuses Greenslayer à Val-Bélair. Sans l’intervention des USA, on aurait bientôt découvert de gigantesques charniers remplis de machines Greenslayer.
Après un silence recueilli, le président conclut son allocution par un émouvant "God bless America and our lawn mowers".
La communauté internationale fut consternée par les révélations du chef d’État américain. Elle se rallia unanimement à la position des États-Unis (à l’exception de l’Iraq et de Cuba) et le président reçut cette année-là le prix Nobel de la paix.