Les pesticides: la menace chimique : Gazon maudit
Oubliez l’anthrax! Une menace toxique beaucoup plus répandue et réaliste vous guette: les pesticides. Du moins, c’est ce qu’estiment les membres de la Coalition pour les alternatives aux pesticides, qui tient un symposium sur le sujet le 25 octobre. Ces produits chimiques que vous avez croisés tout l’été seraient-ils aussi nocifs pour vous que pour les bestioles et les mauvaises herbes?
Alors que la menace de l’anthrax défraie la chronique et suscite les pires angoisses quant à la santé publique, un autre produit toxique plus couramment utilisé et vendu dans tous les bons magasins sévit toujours aussi sournoisement, sans que personne n’en fasse une psychose. Pourtant, selon des scientifiques et des groupes écologiques, il y a tout lieu de craindre… les pesticides.
Ces insecticides, fongicides et herbicides, qui servent essentiellement à tuer la bestiole indésirable, à rendre la pelouse plus verte que celle du voisin, et à éliminer toute trace du ô combien vilain pissenlit, recèleraient des propriétés nocives et insoupçonnées, voire banalisées. La véritable attaque chimique qui menace l’humain et l’environnement, n’est-ce pas plutôt celle des pesticides?
Tout l’été durant, ces produits chimiques se sont retrouvés d’une manière ou d’une autre sur le chemin du simple citoyen. Dans un terrain de golf à la moquette uniformément verdoyante, dans un parc luxuriant de Montréal ou dans le gazon du voisinage vert à rendre jaloux. Jusque-là réfractaires à l’idée, de plus en plus de scientifiques et de chercheurs établissent maintenant un lien de cause à effet entre cette exposition aux pesticides (banale en apparence) et l’apparition de certains problèmes de santé. Et pas les moindres: la leucémie, les fausses couches, l’infertilité, le cancer du sein et de la prostate, le lymphome non hodgkinien… Élaborés en laboratoire avant tout pour rendre la vie difficile aux insectes nuisibles et aux herbes malvenues, voilà que les pesticides réservent le même sort aux humains. L’arroseur arrosé, quoi.
"Par définition, les pesticides sont des produits hautement toxiques, estime Édith Smeesters, biologiste de formation et présidente de la Coalition pour les alternatives aux pesticides (CAP). Il y a d’ailleurs plusieurs études qui démontrent les risques potentiels des pesticides sur l’environnement (contaminations du sol et des cours d’eau) et la santé. En plus d’être un facteur favorisant le développement d’un cancer, les pesticides sont aussi des perturbateurs du système endocrinien, immunitaire et reproducteur. Et j’en passe."
Les pesticides s’avèrent à ce point nuisibles que la CAP, un organisme sans but lucratif né en décembre 1999 et visant à remettre en question le recours aux pesticides, tient, le 25 octobre, un symposium sur le sujet, judicieusement intitulé "Les tueurs silencieux". Des experts invités, biologistes comme entomologistes, viendront démontrer par a + b que les pesticides constituent une menace à la santé publique (entre autres, la docteure américaine Elizabeth Guillette présentera les résultats accablants de son étude sur les effets des pesticides sur le développement cognitif des enfants). "Le but, explique Smeesters, c’est de sensibiliser la population et de dénoncer l’usage abusif des pesticides."
Une grosse industrie
À l’image des terrains qu’elle arrose, l’industrie des pesticides est florissante, réalisant même des ventes d’environ 1,4 milliard de dollars par année au Canada. Au Québec, une pelouse sur deux est traitée aux pesticides. Selon le ministère de l’Environnement, environ 8200 tonnes de pesticides ont été épandues sur le sol québécois en 1997, et les ventes de pesticides utilisés en horticulture environnementale ont même connu une hausse de 60 % entre 1992 et 1996! À Montréal, plus de 300 kilos de pesticides sont dispersés chaque année dans les parcs et terrains de la Ville, une quantité toutefois en baisse ces dernières années. Les agriculteurs représentent les plus gros utilisateurs de pesticides (80 %), alors que les citoyens et les employés de compagnies d’entretien de pelouses en utilisent surtout à des fins esthétiques. Par unité de surface, cependant, les pelouses et terrains de golf reçoivent plus de pesticides que les terres agricoles.
"L’industrie des pelouses résidentielles a fait un bond spectaculaire depuis les deux dernières années, se désole Édith Smeesters. C’est en raison du marketing de masse. Une publicité très bien orchestrée a convaincu les gens que leur bonheur dépendait de l’uniformité de leur pelouse, que les mauvaises herbes étaient une grave menace et que les pesticides étaient donc leur sauveur. C’est un comportement typiquement nord-américain. Et l’on veut s’y attaquer. La croissance de cette industrie nous affole, car les terrains sont maintenant infestés de pesticides."
D’après la CAP, les dommages causés par les pesticides ne doivent pas être négligés. "Les toxicologues qui nous disaient dans le passé que ce n’était pas tellement dangereux changent de discours depuis peu", estime Smeesters. À preuve, l’Académie des sciences des États-Unis avance maintenant que l’exposition aux pesticides occasionne des problèmes neurologiques graves chez les plus jeunes, car elle survient alors qu’ils se trouvent en pleine croissance. "Ils ont réalisé que les études qui avaient été faites auparavant sur les enfants n’avaient pas tenu compte adéquatement de certains facteurs. Par exemple, contrairement aux adultes, les enfants s’amusent et se roulent dans l’herbe. Ils ont un contact plus direct. Le risque est donc plus élevé."
Certes, les pesticides ont peu d’effets à court terme, sinon des nausées et des diarrhées. C’est à long terme que le risque semble plus grand. "La toxicité aiguë, les effets à court terme comme la nausée ne sont que la pointe de l’iceberg, note Smeesters. C’est la toxicité chronique qui pose problème. Quand vous êtes en contact quotidiennement avec un produit toxique, petit à petit, vous commencez à avoir des symptômes qui peuvent mener à des allergies ou même à un cancer. Cela est beaucoup plus grave. Et c’est insidieux aussi, car il est difficile de lier les pesticides et les symptômes."
Tellement difficile, en fait, que rarement les pesticides sont-ils pointés du doigt comme LA cause du développement d’une maladie tel le cancer. Après tout, personne n’en vient à accuser les pesticides d’être responsables de ses souffrances… "Les gens n’ont pas idée des effets nocifs qu’ils peuvent causer. Certaines personnes, comme les épandeurs, vont dire que ça fait des années qu’ils en utilisent et qu’ils n’ont jamais eu de problèmes. Il y a toujours des exceptions, si bien que les malaises liés aux pesticides sont sous-évalués. D’ailleurs, des médecins de mon entourage m’ont confirmé que le corps médical n’avait pas été formé pour diagnostiquer ces malaises. Par exemple, il y a des gens qui vont voir le médecin avec des symptômes aigus de nausée et qui vont être diagnostiqués pour une simple indigestion, alors que leur problème est plutôt lié aux pesticides."
Si le diagnostic représente une tâche ardue en milieu médical, les études scientifiques, elles, s’accumulent pour démontrer la responsabilité des pesticides. "Il y a de plus en plus d’études épidémiologiques sérieuses, affirme-t-elle. Mais elles sont toujours contestées par l’industrie, c’est pourquoi il est complexe de monter une preuve. Les compagnies fabriquant les pesticides font beaucoup de contre-études, mais elles ne sont pas réalisées dans les mêmes conditions. Les données sont incomplètes. Les tests sur la sécurité de ces produits sont encore inadéquats."
En vente partout
Malgré tous les risques et toutes les critiques, les pesticides sont offerts en vente libre. Pire encore, regrette Édith Smeesters, ils sont connus, enregistrés, homologués et autorisés sans aucun problème ou mise en garde sérieuse. Dans certains cas, ceux qui sont bannis ailleurs dans le monde sont toujours utilisés ici. C’est l’Agence de réglementation de la lutte antiparasitaire (ARLA), relevant de Santé Canada, qui s’occupe de l’homologation des pesticides au niveau du gouvernement fédéral. "L’homologation n’est pas une preuve d’innocuité, souligne-t-elle. Par définition, un pesticide est conçu pour tuer. La politique du gouvernement jusqu’à présent est de dire que, quand on les utilise, on doit le faire avec prudence. Je veux bien, mais ce n’est pas suffisant, puisque les compagnies et les particuliers en achètent et en épandent comme ils le veulent. Au départ, les pesticides étaient destinés au milieu agricole. Maintenant, c’est à la portée de tous. Il y a eu un dérapage."
L’ARLA ne réglemente pas l’utilisation des pesticides. C’est plutôt le ministère de l’Environnement provincial qui doit en réglementer l’usage. Depuis 1987, la Loi québécoise sur les pesticides oblige les professionnels à passer un examen pour obtenir un permis. Sans plus. Ainsi, il n’existe toujours pas de code de gestion pour encadrer les pratiques. "C’est comme si vous aviez un permis de conduire, mais sans code de la route. On peut en épandre comme on veut, sans souci. Mais le ministère de l’Environnement a lancé des campagnes de sensibilisation, tout comme le gouvernement fédéral. Il faudra toutefois faire plus."
Par "faire plus", Édith Smeesters entend surtout "interdire". La présidente de la CAP prend pour exemples certaines municipalités qui interdisent justement l’usage des pesticides. La Cour suprême a d’ailleurs statué que les municipalités pouvaient bannir leur utilisation sur les propriétés privées à des fins esthétiques. En effet, la plus haute cour du pays a rejeté, en juin dernier, l’appel de deux compagnies d’épandage québécoises, Chemlawn et Spray-Tech, qui tentaient de renverser un règlement, voté par la Ville de Hudson, bannissant leurs produits.
Depuis que Hudson a adopté le règlement en 1991 et que le gouvernement québécois a permis aux municipalités de limiter le recours aux pesticides en 1993, une cinquantaine de villes ont mis de l’avant des règlements d’interdiction ou de limitation concernant l’épandage de ces produits chimiques. Comme Toronto l’a déjà fait, Montréal songe à contrôler plus sévèrement l’usage des pesticides, un sujet qui est même devenu un enjeu électoral dans la présente campagne municipale.
"On propose de bannir l’utilisation des pesticides chimiques à des fins esthétiques, comme dans les parcs et résidences, puis dans tous les domaines, indique Édith Smeesters. Les pesticides domestiques devraient être vendus seulement derrière un comptoir, par du personnel qualifié, un peu comme dans le cas des pharmacies. Et surtout, il faut faire de la sensibilisation. Par exemple, les gens ne le savent pas, mais il existe bien des trucs simples pour régler des problèmes sur son terrain sans avoir recours aux pesticides. Couper le gazon plus haut, aérer le sol, faire un entretien régulier: voilà des approches beaucoup moins nocives pour tout le monde. Il est d’ailleurs faux de prétendre que les pesticides sont essentiels. C’est un peu comme prendre des médicaments quand on a peur de tomber malade."
Le symposium de la CAP Les tueurs silencieux se tient le 25 octobre, de 18 h à 22 h, à l’Université McGill, à l’Amphithéâtre Robert Palmer Howard, situé au 6e étage du McIntyre Medical Building, 3655, rue Drummond.
www.cap-quebec.com