![L'Halloween, tous les chats sont noirs… : Du félin à retordre](https://voir.ca/voir-content/uploads/medias/2011/12/10756_1;1920x768.jpg)
![L'Halloween, tous les chats sont noirs… : Du félin à retordre](https://voir.ca/voir-content/uploads/medias/2011/12/10756_1;1920x768.jpg)
L’Halloween, tous les chats sont noirs… : Du félin à retordre
Parmi quelques figures mythiques liées à la psychose collective d’Halloween, le chat noir a fière allure et trône, depuis des siècles, à la tête du bestiaire des animaux monstrueux. Si, dans certains pays, on lui prête des vertus chanceuses ou magiques (la santé, la fertilité), la plupart des cultures partagent et entretiennent le même effroi pour une bête qui, après tout, est devenue un emblème privilégié par les groupes marginaux et un symbole universel de sorcellerie.
Catherine Morency
À Paris, en 1881, le premier café-concert qui ouvrit ses portes à une population hybride, décloisonnant les barrières sociales et permettant aux artistes, aux ouvriers et aux dandys de se côtoyer, fut appelé Le chat noir. Son propriétaire, monsieur Rudolphe Salis, exprimait dans la réalisation de ce projet audacieux, outre une volonté de démocratiser la culture, un désir de montrer à tous que les arts ne sont pas qu’affaire de freaks. Le chat noir incarnait alors un groupe de personnes en marge de la société, voire une "race de monde" dont on s’approche souvent avec méfiance.
Si, au IXe siècle, on entretenait déjà à l’égard du chat noir une certaine forme de frayeur, voire de dégoût, c’est certainement parce que les siècles précédents avaient semé les germes d’une telle psychose. En Égypte ancienne, quelques-unes des déesses les plus vénérées, mais aussi les plus craintes, possédaient des traits de félin; ces créatures hybrides effrayaient par leur physique mi-femme mi-chat, mais aussi parce qu’elles étaient connues pour leur pouvoir de domination sur les hommes, et pour les désastres qu’elles pouvaient engendrer. Leurs yeux perçants incitèrent longtemps à croire que les chats noirs regardaient le lever du soleil avec insistance afin d’emmagasiner de la lumière et de foudroyer les esprits qu’ils voulaient éliminer.
Son apparence physique n’est pas étrangère à la paranoïa qu’inspire le chat noir: son aspect un peu macabre, semblable à celui des sorcières, et surtout le contraste créé par la couleur de son pelage et la fluorescence de ses yeux provoquent inévitablement une impression d’insolite, sinon d’étrangeté. S’ajoutent à cela son tempérament imprévisible et une propension légendaire à l’indépendance (qui sont d’ailleurs le propre des chats de toutes couleurs). Cet ensemble de petits détails engendrent, au total, une personnalité unique au chat noir, et participent à cette image qui fait de lui un animal en marge, une bête qui attise la peur de l’homme.
La chasse aux sorcières
Mais quand la peur des chats noirs devint-elle véritablement liée à la fête d’Halloween? Lorsque le Nouvel an celtique (tel que fêté par les ancêtres des Irlandais, des Gallois et des Écossais le 1er novembre) devint le décor d’un théâtre populaire qui, profitant de l’émergence d’une fournée de traditions insolites, mettait en scène une légende qui, après de nombreuses mutations, existe toujours aujourd’hui. En effet, les Celtes croyaient qu’à la veille du Nouvel an (donc, le 31 octobre), les fantômes des morts se mêlaient aux vivants. Effrayés par une telle rencontre, les gens avaient pris l’habitude de laisser de la nourriture aux portes des villes et de l’offrir aux fantômes afin d’apaiser leur âme maléfique. Au fil des ans et des influences, le milieu de la sorcellerie s’est acoquiné avec celui des fantômes et les sorcières sont devenues des représentantes du surnaturel, et donc de connivence avec le monde des esprits.
De tous temps, l’imagerie populaire tout comme la culture littéraire ont associé le chat noir aux sorcières, le présentant comme leur serviteur et allant même jusqu’à prétendre que ces femmes damnées prenaient souvent, dès le début de la nuit, la forme de leur chat pour réussir avec plus de succès leurs entreprises morbides. Et comme les sorcières ont toujours été connues pour frayer allègrement avec le diable, les chats noirs ont, eux aussi, été accusés de collaboration diabolique. On alla même jusqu’à prétendre, et cette croyance païenne a survécu chez certains peuples, que les chats noirs servaient d’enveloppe charnelle à la réincarnation d’esprits démons. Inutile, donc, de se demander pourquoi cet animal, qu’on croise pourtant tous les jours dans les rues à l’état sauvage ou domestiqué, inspire la frousse tant aux enfants qu’aux plus grands qui, assommés depuis leur jeune âge par tous ces mythes, n’arrivent pas à réfréner cette peur irrationnelle.
Bien que la plupart des légendes liées à la terreur du noir félin aient pris racine au Moyen Âge (époque où l’on commença à considérer les femmes un peu différentes comme des sorcières et où une certaine forme de terrorisme fut instauré de facto à l’égard de ces dernières, allant même jusqu’à les faire brûler pour qu’elles expient leur marginalité), nombre d’entre elles persistent encore aujourd’hui. En Irlande, depuis un millénaire, le fait de croiser le chemin d’un chat noir la nuit occasionne nécessairement la mort imminente d’un proche ou une épidémie. En Transylvanie, si un chat noir enjambe un corps mort, ce dernier deviendra inévitablement un vampire. Dans plusieurs traditions européennes, on persiste à croire que la présence d’un chat noir dans la chambre ou la maison d’un mourant fera de l’âme morte un disciple du diable. On va même jusqu’à interpréter une bataille de chats dans un cimetière comme un duel entre le diable et un ange, qui se disputeraient l’esprit du mort gisant dans la tombe sous eux.
Si toutes ces histoires extraordinaires ne sont pas directement associées à la fête d’Halloween et qu’elles hantent la psyché collective à l’année longue, on comprendra quand même pourquoi elles connaissent une recrudescence particulière autour du 31 octobre. La tradition du Trick or Treat, réactualisée par des enfants déguisés qui passent désormais aux portes en quémandant des bonbons, mais aussi le malin plaisir qu’on prend à se faire peur (en témoignent tous les films, les livres, les soirées de contes et de musique populaires qui récupèrent ce thème au moment opportun) expliquent pourquoi ces pauvres chats noirs, qui n’ont, au bout du compte, rien demandé à personne, se retrouvent souvent à cette période de l’automne dans des positions délicates, pour ne pas dire carrément dangereuses. Les Sociétés protectrices des animaux de plusieurs villes refusent de vendre ou de donner des chats noirs dans les semaines précédant Halloween, prétextant une hausse des mauvais coups, mais aussi des tortures imposées aux minets couleur charbon à l’occasion de la fête des citrouilles. Peur fondée ou paranoïa collective? Peu importe, on aime être effrayé et on est prêt à tout croire pour se donner quelques frissons dans le dos. Suggestion pour une soirée d’Halloween félinesque bien réussie: allez déguster du poulet à l’ananas dans un petit bouiboui asiatique en relisant votre Chat noir d’Edgar Allan Poe. Sueurs froides garanties.