![Droit de cité : Tenue de toilette](https://voir.ca/voir-content/uploads/medias/2011/12/10902_1;1920x768.jpg)
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Droit de cité : Tenue de toilette
Éric Grenier
Photo : Victor Diaz Lamich
Ben coudonc. Pour des boss des bécosses, les maires de la banlieue vont en mener large dans la nouvelle ville. Non seulement présideront-ils ladite aire de soulagement, mais ils contrôleront aussi la cuisine, les chambres, le sous-sol, le salon, le petit cochon, le compte en banque et la carte de crédit. Bref, ils ont la main haute sur toute la maison, et même sur celle du voisin, l’entrée de la rue et, tant qu’à y être, sur l’espace aérien au-dessus.
Il y a un an, quand le gouvernement déposait la loi décrétant la fusion, transformant les municipalités en arrondissements, les maires beuglaient au vol et guerroyaient déjà. "On en est réduits à être des gérants de McDonald’s!" avait réagi le maire de LaSalle, Michel Leduc. "Je ne pourrai même plus aller aux toilettes sans demander la permission", avait ajouté sa vieille branche de Montréal-Nord, Yves Ryan, tous deux traduisant d’un brun liquide l’effet que la loi 170 avait eu sur leur système digestif.
Un an plus tard, grâce à la loi 170, ces mêmes maires héritent du plus gros pouvoir politique après celui de l’État. C’est de la bécosse, ça. Et du McDonald’s. Jamais la banlieue n’aura eu autant de pouvoir sur sa destinée. Jamais ses citoyens n’auront été si bien représentés à tous les échelons.
Avant la réforme, un maire n’avait autorité que sur sa ville, et pas toute sa ville, une partie de son budget étant gobée par la Communauté urbaine de Montréal, une organisation non élue (une brèche dans la démocratie libérale et son credo No taxation without representation, si cher, paraît-il, au chef libéral à Québec). Une CUM contrôlée à 60 % par la Ville de Montréal qui imposait ses priorités à toute l’île en matière de transport en commun, d’environnement, de police. Il n’avait non plus aucun droit de parole quant au développement de la grande région métropolitaine, et aucun contrôle sur les agissements de ses voisins. Si Montréal décidait que le boulevard Dorchester était rebaptisé René-Lévesque, Westmount se retrouvait devant un fait accompli.
Ça, c’était avant la réforme. À partir du 1er janvier, les maires de la banlieue vont gouverner leur nouvel arrondissement de la même manière qu’ils gouvernent leur ville ce matin. Et étendre leur pouvoir absolu sur le Montréal de Pierre Bourque, le transport en commun, l’environnement et la police. Jusque dans les lointaines banlieues au nord et au sud, puisque le maire de Montréal est le président d’office de la nouvelle Communauté métropolitaine, cette surperstructure administrative qui décidera des grandes orientations en matière de développement, de Saint-Jean à Saint-Jérôme.
Tout ça, parce que la réforme tant honnie et si antidémocratique leur a permis de prendre le pouvoir à l’hôtel de ville de Montréal. Maudits péquistes.
Ne me quitte pas
Dimanche soir, comme bien du monde, je ne voyais pas Pierre Bourque en chef de l’opposition. Lui qui n’a jamais connu autre chose que le pouvoir. Pierre Bourque est tout sauf une bête politique qui s’amuserait dans les jeux de coulisses, s’activant fébrilement à échafauder stratégies et astuces pour ennuyer l’adversaire, comme peuvent l’être les politiciens de carrière.
D’autant plus que son discours de la défaite avait des airs de testament. Mais en y songeant bien, ça m’apparaissait de plus en plus naturel qu’il demeure en poste. Après tout, avec un score remarquable de 64 % des voix dans le Montréal actuel, il pourrait ainsi devenir comme le président de "l’arrondissement de Montréal", même si la chose n’existe pas comme telle, pour faire contrepoids à la banlieue.
Il laisse aussi un héritage non négligeable: une opposition forte et organisée, pour la première fois depuis au moins un demi-siècle. La vie démocratique à Montréal a toujours souffert de cette absence d’opposition. À chaque changement de régime, les déchus étaient décimés, sinon rayés de la carte. Les électeurs ont toujours eu affaire à des partis ad hoc, créés le temps d’une élection et aussi vite disparus. Laissant au pouvoir toute la place pour régner sans trop attirer l’attention. (Avec si peu de stabilité et de points de repère, rien de plus normal qu’ils se déplacent en si faible nombre aux urnes.)
Mais si Bourque avait quitté, cela aurait posé la question de sa succession; et cette opposition aurait pu sombrer elle aussi, égarée sans son guide fondateur. Qui d’autre que Bourque? On a beau brasser et rebrasser les cartes en tous les sens, on tombe toujours sur d’obscurs joueurs de quatrième trio. Pierre Bourque a fait le vide de leadership autour de lui. Il était capitaine, et il s’est assuré qu’aucun matelot n’ait de prétentions à un grade supérieur. Dès qu’un des siens lui faisait de l’ombrage, il était jeté par-dessus bord et livré aux requins. C’est arrivé à Jean Fortier, pourtant son président du comité exécutif, qui, pour avoir trop occupé le plancher, a été envoyé à l’abattoir dimanche, laissant son district électoral sûr à une carpette trop ravie de s’étendre devant Bourque.
Sans opposition, son idéal aurait été la proie de l’appétit sans bornes de la banlieue pour son autonomie, et de Jean Charest, pour la démagogie; au risque d’éliminer la justice sociale et fiscale qui sous-tend le projet de fusion. Bref, en cinq mots, il n’avait pas le choix. Il devait rester.
Et franchement, sans lui, je me serais ennuyé. Merci, Monsieur le maire.