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Jeux et revendications politiques : Des gains et des jeux
Montréal vient d’être choisie ville hôte des VIIIe Jeux gais en 2006. Cette communauté n’est pas la seule à réclamer une reconnaissance internationale. Pour un nombre croissant de groupes, le sport est devenu le médium permettant de revendiquer leur différence. Une technique efficace?
Emmanuelle de Mer
Les compétitions sportives internationales foisonnent. Plusieurs d’entre elles, satellites de la planète olympique, s’organisent par zones géographiques. D’autres regroupent des pays partageant des intérêts communs, tels les Jeux du Commonwealth ou ceux de la francophonie. Parallèlement, une myriade de groupes sociaux créent leur propre événement sportif, souvent méconnu du public et des médias: Jeux autochtones, Jeux paralympiques, Jeux des greffés, International Children Games, Senior Games, World Peace Games, Corporate Games. Par exemple, en plus de recevoir les Jeux gais en 2006, Montréal sera même l’hôte des Jeux internationaux autochtones en 2004 et du FINA World Swimming Championships en 2005.
Paul Ohl, romancier étroitement associé à la vie sportive québécoise, fait une distinction claire entre les diverses compétitions sportives. "Les Jeux du Commonwealth, les Jeux panam, les compétitions géographiques, même les jeux universitaires, sont des compétitions relevées jamais revendiquées comme politiques. Les autres jeux prennent le prétexte du sport pour passer des messages. Le dénominateur commun n’est pas le sport, mais le lobby politique. Le paysage sportif est pollué par ce genre d’événements…"
Pourtant, les compétitions à caractère politique se multiplient et continuent de servir de tribune à bien des groupes. Leur message commun: une plus grande inclusion sociale.
Une cause à vendre
1968, Jeux olympiques de Mexico: pour la première fois, la finale du 100 mètres chez les hommes est composée uniquement d’athlètes noirs. Les revendications afro-américaines, gant de Black Panthers au poing, pavent la voie aux épreuves sportives converties en forums. "Ces événements retiennent l’attention d’une large audience, où que ce soit sur la planète, ajoute Robert Barney, directeur-fondateur du Centre international olympique, à l’Université Western Ontario. Les médias contribuent à nourrir cette formidable fascination populaire pour le divertissement. On arrive même à capter l’attention de la jeune génération, elle-même très compétitive."
Les Jeux paralympiques jouissent d’une notoriété enviable, due en grande partie à l’implication du Comité international olympique (CIO). La création de ces Jeux remonte aux lendemains de la Seconde Guerre mondiale, afin de permettre aux amputés de guerre de participer à des compétitions sportives. Depuis, l’engouement s’est amplifié: Rome a accueilli 400 athlètes en 1960, tandis que les J.O. d’Atlanta, en 1996, en recevaient 3200. De plus en plus de commanditaires – Nedbank, Nike, Pick’n Pay, South African Airways, Mercedes Benz – investissent dans l’événement. Robert Barney soulève toutefois la problématique de la proximité des Jeux olympiques et paralympiques. "Ça pourrait créer un précédent très dangereux. Pourquoi le CIO ne supporterait-il pas d’autres événements, comme les Jeux gais? Si les groupes commencent à cogner à leur porte, ça ne s’arrêtera pas."
À chacun son partenariat: les Jeux mondiaux des greffés font saliver la mercantile industrie pharmaceutique. En 1997, la firme japonaise Fujisawa Healthcare lançait un médicament antirejet, le Prograf, destiné notamment aux greffés du rein, ce qui a donné un élan aux transplantations nippones, auparavant très peu pratiquées. Cet été, la treizième édition des Jeux mondiaux des greffés, à Kobe, a bénéficié d’une importante commandite de Fujisawa. Un coup de marketing non déguisé. Ignoré des médias internationaux, l’événement ne parvient à sensibiliser que localement la population au don d’organes. "Ces compétitions sont très populaires aux États-Unis et en Angleterre, les Anglo-Saxons étant les pionniers des transplantations, explique Isabelle Gendron, directrice générale de la Fondation Diane Hébert qui parraine l’activité au Québec. Le coup d’envoi au Canada pourrait avoir lieu en 2005, puisque London a posé sa candidature pour recevoir les prochains Jeux des greffés."
Ghettos inclusifs
Bien malgré elles, plusieurs compétitions sportives donnent l’impression de fonctionner en vase clos. Si la majorité des événements limitent la participation aux compétitions, l’ensemble de la population est conviée au spectacle. Les Jeux autochtones d’Amérique du Nord se veulent avant tout un tremplin permettant aux jeunes athlètes des Premières Nations de se tailler une place dans les compétitions de premier plan, tels les Olympiques. Exit les revendications politiques? "Nous voulons rassembler les communautés autochtones et éduquer la population qui viendra assister aux épreuves sportives et aux activités culturelles, souligne Joy Keeper, directrice des communications du comité organisateur Winnipeg 2002. Tout se déroulera dans la joie, puisqu’on apprend plus aisément dans un tel contexte."
Malgré leur dénomination, les Jeux gais accueillent des athlètes de toute orientation sexuelle. Une attention particulière est toutefois portée à la présence d’athlètes bisexuels, transsexuels, porteurs du VIH-sida, possédant un handicap, ou âgés de plus de 50 ans. "L’objectif premier des Jeux gais est l’inclusion, l’interrelation entre les groupes sociaux", nuance Louise Roy, coprésidente du Comité Montréal 2006. On peut toutefois se demander quelle serait la motivation pour un hétérosexuel de participer à pareilles compétitions. "Pour faire avancer la reconnaissance des droits de la communauté gaie, dans tous les pays", suggère Louise Roy. Elle se réjouit d’ailleurs que cette égalité ait été incluse dans la récente Constitution de l’Afrique du Sud, ce qui prouve l’efficacité des Jeux quand vient le temps de sensibiliser la population et les gouvernements. Mais il reste encore bien du chemin à parcourir. "Le sport demeure un milieu sexiste et homophobe, surtout les sports d’équipe, note Michel Dorais, professeur à l’Université Laval. Il est encore difficile pour un athlète d’affirmer son homosexualité."
Soutien politique
Les compétitions sportives qui réussissent à appâter les commanditaires et les médias parviennent à réaliser une campagne publicitaire d’envergure et à transmettre avec efficacité leur message. Au Canada, les trois paliers gouvernementaux soutiennent ces événements, en fonction de leur portée politique. Les Jeux de la francophonie (où une portion des athlètes ignorent la langue de Molière!), ceux des nations autochtones et les panam parviennent à boucler leur budget sans trop de difficulté. Les compétitions de plus petite envergure font moins aisément leurs frais.
Les Jeux gais ne rencontrent pas ces difficultés. Sur un budget de 20 millions de dollars, la moitié des revenus proviendront des frais d’inscription et de la vente des billets. Ottawa et Québec contribuent à la cagnotte pour 1 million de dollars chacun, Montréal fournit les équipements sportifs, et le Palais des congrès devient le Gay Centre, le temps des Jeux. Tous se réjouissent des retombées économiques estimées à 150 millions de dollars.
"Les instances gouvernementales soutiennent ce type de projets parce qu’elles craignent, sinon, d’être accusées de discrimination, affirme Paul Ohl. La parade gaie Divers/Cité est pertinente pour intégrer et assumer les différences. Maintenant que c’est fait, c’est devenu un happening qui impose les valeurs d’une contre-culture." Les politiciens toutefois en raffolent. À quand la participation du maire de Montréal à ce type de jeux?