![Droit de cité : Courrier à Jean Charest](https://voir.ca/voir-content/uploads/medias/2011/12/10974_1;1920x768.jpg)
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Droit de cité : Courrier à Jean Charest
Éric Grenier
Monsieur le chef de l’opposition,
De l’homme des manigances secrètes autour de la Constitution que vous étiez en 1990, vous voilà, une toute petite décennie plus tard, transformé en démocrate helvète, héraut des référendums à tous crins et de la démocratie directe. C’est bien.
Cependant, avant que vous n’accordiez le droit à la défusion, j’aimerais contribuer à votre réflexion sur le sujet.
Vous vous souvenez de cette histoire de "loi du cadenas", par laquelle Ville Mont-Royal cadenasse son domaine privé à l’Halloween? En ces temps où l’on crashe des Boeing sur les gratte-ciel, qu’on menace l’Amérique et ses alliés de bioterrorisme, qu’on installe des batteries antiaériennes autour des centrales nucléaires, à TMR, on cadenasse la principauté par peur d’une volée d’oeufs lancés par des gamins un soir d’Halloween. Ben oui…
Dans cette histoire de clôture et de cadenas, somme toute banale, on retrouve l’essentiel de ce qui motive la plupart des antifusions de l’île de Montréal: ils ne veulent pas partager leurs bonbons, acquis par des privilèges insensés, avec les pauvres. Tout est là, tout est dit, par cette clôture, sur le comment et le pourquoi des résistances à unir Montréal: s’isoler de la plèbe du quartier voisin de Parc-Extension. C’est du ségrégationnisme.
Prôner le droit à la défusion comme vous le faites, c’est cautionner le ségrégationnisme économique et social. Je charrie? Vous avez probablement raison, mais avouons que vous possédez un sens de la démocratie à géométrie variable. Des villes pour les pauvres. Des villes pour les riches. Les pauvres doivent s’acquitter de leurs responsabilités à l’égard de l’ensemble de la communauté montréalaise; tandis que les riches s’arrogent le droit de s’y soustraire. Curieux que ce soit toujours les pauvres qui paient du logement social aux pauvres. Ce sont les pauvres qui acceptent d’être transpercés par les autoroutes et les grandes voies de circulation, pollution en sus, au nom du bien commun. Ce sont toujours les pauvres qui acceptent d’accueillir sur leur territoire les grands équipements publics – hôpitaux, édifices gouvernementaux, universités – qui ne paient même pas un dixième en en-lieu de taxes de ce qu’ils coûtent à leur Ville pour services rendus. Des institutions qui profitent pourtant à toute la communauté.
Vous êtes-vous déjà demandé pourquoi le boulevard de l’Acadie, artère de circulation importante pour toute la région, ne passe pas dans TMR, mais plutôt dans Montréal? Pourquoi le boulevard Cavendish, qu’on essaie de faire aboutir depuis des décennies pour désenclaver un secteur important de Montréal, est coupé à la hauteur de Côte-Saint-Luc? Côte-Saint-Luc avait bien proposé une solution pour rabouter les deux sections du boulevard Cavendish, une solution, croyait-on, des plus raisonnables: on va faire un croche par Montréal! Pourquoi par Montréal, et non pas par Côte-Saint-Luc?
La réalité n’est pas aussi contrastée que cela. Il y a aussi des pauvres en banlieue, à Verdun et à Montréal-Nord, en particulier. Mais c’est à Westmount, Hampstead, Côte-Saint-Luc, Baie-d’Urfé et compagnie où l’on est le plus jaloux de ses privilèges.
La population n’a pas été consultée pour cette réforme, vous dites? Ça fait plus de 40 ans que des commissions consultatives aussi nombreuses que les mannes du printemps s’acharnent à trouver un remède aux maux de Montréal. Les commissions se suivent, les diagnostics se répètent, mais les traitements ne sont jamais avancés.
Pour une fois qu’un gouvernement a saisi que Montréal était plus qu’une très, très, très grosse bourgade – ou pire, une somme comptable de quartiers et de contribuables -, mais véritablement une richesse que la plupart des petits peuples n’ont même pas, celle de posséder en son sein une cité. Un noyau concentré autour duquel la nation gravite. Comme Londres pour les Britanniques; Paris pour les Français; Berlin pour les Allemands; New York pour les Américains… À moins que vous n’ayez comme plan pour le Québec le destin de la Moldavie, de l’Acadie, de la Louisiane; bref, nous perpétuer dans le pittoresque et le folklorique. À ce compte-là, on n’a pas besoin d’un gouvernement libéral. On est capables nous-mêmes de nous la serrer, la ceinture fléchée.
Vous dites aussi que les citoyens sont assez intelligents pour tenir compte des coûts d’un processus de défusion. Mais je sais que dans votre for intérieur, vous souhaitez qu’après les avoir menacés avec la carotte pécuniaire, tel qu’il est prévu dans votre démarche en trois temps vers la défusion, les banlieusards choisissent de rester dans le Montréal-Uni. Or, ça n’arrivera pas. Ils s’en fichent des coûts! À preuve, les sommes considérables, des millions de dollars pour quelques milliers de citoyens seulement, que les villes opposées aux fusions ont engagées dans la contestation judiciaire contre la loi 170.
Maintenant, un peu comme ce sacré HP (je ne parle pas de Hewlett-Packard, lui, il croit aux fusions), vous devrez vous inscrire à l’école des sorciers pour apprendre la formule magique vous permettant de résoudre la quadrature du cercle par vous-même posée. En effet, vous venez de réaliser l’exploit inimaginable de vous peinturer dans un coin de cercle.
On ne sait pas trop comment vous l’avez fait, mais vous l’avez fait. Il vous faudra plus que la cape d’invisibilité pour vous sortir de ce pétrin.