![Dan Bigras et le Show du Refuge : Show au coeur](https://voir.ca/voir-content/uploads/medias/2011/11/11097_1;1920x768.jpg)
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Dan Bigras et le Show du Refuge : Show au coeur
Depuis maintenant 11 ans, Dan Bigras est le porte-parole du Refuge des jeunes et l’organisateur de son show-bénéfice annuel. Plutôt que de vous parler des nombreux invités de l’édition 2001, nous avons demandé à trois jeunes issus du Refuge – Frosty, Nicolas Boileau et Nicolas Bonneau – de mener l’entrevue dont ils sont parfois devenus les sujets. Attention: franc-parler en perspective.
Nicolas Tittley
Frosty: Ma première question, je pense que tout le monde veut te la poser: pourquoi t’as décidé de t’impliquer dans le Refuge?
Dan: Au début, j’ai refusé, parce que j’aime pas les gens qui jouent au bon gars. J’étais pas encore connu à l’époque, pis j’avais peur que mon gérant se serve de ça pour mousser ma popularité. Mais la cause m’intéressait: j’ai moi-même été dans la rue à Québec, dans ma jeunesse. C’était pas aussi rough que maintenant, c’est sûr, mais ça m’a quand même donné une bonne idée de ce que peuvent vivre les gars qui sont dans cette situation. J’ai été chanceux, parce que je m’en suis sorti en jouant de la musique, mais mon petit frère, lui, il ne l’a pas été et il s’est fait assassiner. Mon frère, je ne peux plus le sauver aujourd’hui; mais, au moins, je peux faire partie d’une gang qui va empêcher qu’on en trouve d’autres comme lui dans le fossé. Pis ça fait partie de mon propre système de survie, j’en ai besoin pour moi.
Voir: Tu es donc allé au Refuge, pour voir comment ça fonctionnait?
Dan: J’ai mis deux conditions à mon implication: premièrement, il fallait que j’aille voir, alors j’y suis allé. Y a beaucoup d’organismes qui font du chantage émotif avec les jeunes, qui leur disent: "Si tu veux qu’on t’aide, il faut t’aider toi-même." Quand ça fait une semaine que t’as pas dormi pis que t’es blasté sur la poudre, comment tu veux t’aider? Les gars qui arrivent là, tout ce qu’ils veulent, c’est manger pis dormir un peu; se reposer. Après ça, ils pourront penser à s’aider. En entrant au Refuge, j’ai bien vu que c’était différent des autres endroits: ils écoutent les jeunes et ils ne jugent pas. J’ai tout de suite trouvé qu’ils avaient une approche qui me ressemblait, alors j’ai voulu embarquer.
La deuxième condition que j’ai posée, c’était de générer des résultats, sinon je crissais mon camp; pis des résultats, c’est du cash. Avant qu’on monte le Show, il y a 11 ans, le Refuge fermait pendant l’été, faute de moyens. Aujourd’hui, il peut rester ouvert à l’année. Avec le premier show au Club Soda, on a amassé 10 000 $. J’étais fou comme d’la marde pis je sautais au plafond, alors on a décidé de le déplacer au Spectrum pour la deuxième édition, et on a amassé 30 000 $. Aujourd’hui, avec la télé et le retour des cachets de tous les artistes – parce que tous les artistes remettent leur chèque après le show -, on ramasse quelque chose comme 100 000 $. Mais ça, faut pas penser que ça règle le problème; ça représente seulement deux mois d’activité; ça veut seulement dire que le Refuge ne fermera plus l’été. Heureusement, ça donne aussi de la visibilité à l’organisme et ça l’aide à recueillir des dons à l’année…
Nicolas Bonneau: Qu’est-ce que ça t’apporte dans ta vie de tous les jours d’être le porte-parole du Refuge?
Dan: Tous les jours, je ne sais pas; mais en général, dans ma vie à long terme, je pourrais aller jusqu’à dire que ça m’a probablement sauvé la vie. Ça et la naissance de mon fils, c’est deux choses qui m’ont vraiment aidé.
Nicolas Boileau: Est-ce qu’il y a des gens qui t’ont reproché de t’impliquer dans le Refuge?
Dan: Au début, il y avait pas de problème. Au Québec, on fait ben des téléthons; on aime ça pis on se trouve ben généreux. Si vous étiez des petites filles blondes qui cherchent leurs mères, toutes seules dans vos petites robes blanches, ça ferait brailler tout le monde pis on ramasserait des tonnes d’argent. Mais on parle de gars comme vous, pis des fois vous avez l’air d’une gang de tough, vous êtes gelés, vous êtes tout croches. Moi, je sais ce que c’est parce que j’étais comme ça, mais Monsieur et Madame Tout-le-monde, ça les rend mal à l’aise. Je dis ça, mais tant que je me contentais d’être porte-parole, j’étais un bon gars. Les choses ont changé quand j’ai attaqué publiquement le maire Bourque. Là j’ai reçu des insultes, du hate mail pis des menaces. On me disait: "Le pauvre maire Bourque, vous pouvez pas parler comme ça…" Voyons donc, tabarnak! Le pauvre maire Bourque? Pourquoi vous pensez qu’y donne son salaire? C’est parce que d’l’argent, y en a en masse! Dans les lignes ouvertes, la moitié des gens m’appuyait, mais l’autre moitié disait des choses comme: "C’est rien que des bons à rien, pourquoi ils travaillent pas?" Moi, j’en connais beaucoup des gars de la rue, y en a qui ont des problèmes de santé mentale, de violence familiale, c’est pas si simple que ça. Mais avec cette histoire-là, je me suis fait haïr, j’ai reçu des menaces, pis j’ai senti que j’étais plus le bon porte-parole. Je venais de semer la guerre.
Voir: Est-ce que tu as l’impression qu’on a dépassé le stade de la gentillesse? Est-ce qu’il faut qu’on pointe les vrais responsables du doigt?
Dan: Certain, d’autant plus que les responsables, au bout du compte, c’est nous. Les politiciens sont peut-être parfois des pleins de marde, mais qui les porte au pouvoir? Maintenant que j’ai vu les réactions que ça a suscitées, je vais semer la guerre deux fois plus. Chaque fois qu’un politicien va dire des conneries, je vais lui sauter dans face. Même pendant le Show, je m’abstenais de faire des déclarations, mais je ne me gênerai plus. Y a des gens qui ont des préjugés parce qu’ils sont sales; d’autres, parce qu’ils sont ignorants, et alors il suffit de les éduquer un peu. C’est des citoyens, ce monde-là, crisse! Ils viennent pas d’une autre planète! Ce que j’essaie de dire à ces gens-là, c’est que personne n’est à l’abri, que ça peut arriver à leurs propres enfants, et que les gars qu’ils prennent pour des fainéants, ils font leur possible pour s’en sortir.
Frosty: C’est vrai, j’aimerais ça que les gens sachent c’est quoi de passer la journée dehors à moins 30. Moi, si je mendie tous les jours, c’est pour ne pas voler. Mais j’entends les mêmes préjugés tous les jours.
Dan: Fais attention à ce que tu dis: c’est pas parce que t’es un mendiant que t’es un trou de cul. Toi, t’en arraches, ça veut pas dire que t’es pourri. C’est pas en te vargeant dessus que tu vas avancer; à force de te dire que t’es pas bon, tu vas finir par le croire…
Nicolas Boileau: À Montréal, tu peux pas vraiment manquer de bouffe. Y a plein d’organismes comme le Refuge qui sont là pour t’aider. L’aide est là, t’as juste à aller cogner. Il suffit de passer le mur, de faire le premier pas. C’est ça qui est difficile.
Dan: C’est vrai que c’est pas évident de demander de l’aide. C’est pas tout le monde qui arrive à marcher sur son orgueil pour se rendre jusque-là.
Voir: Le fait que quelqu’un de connu comme Dan prenne la parole, comme ça, est-ce que ça peut aider des gars comme vous à faire les démarches nécessaires pour sortir de la rue?
Nicolas Brosseau: Je pense que oui, mais il reste que c’est à chaque personne de faire son cheminement. On est reconnaissants, mais chacun a son histoire, chacun doit faire son propre bout de chemin.
Dan: Les gars sont pas tous pareils. Certains sont là parce qu’ils ont de sérieux problèmes de santé mentale, mais si je prends ça comme exemple, les gens vont s’imaginer que tous les gars qui passent au Refuge sont dans la même situation. En fait, il y a autant de cas qu’il y a de gars différents; j’en ai même déjà rencontré un qui s’était retrouvé là parce qu’il vivait une grosse peine d’amour. Il est resté deux semaines au Refuge pis il s’est remis sur pied. On continue à en perdre une couple par année, il y en a qui se suicident, qui font des overdoses…
Nicolas Boileau: Moi, si j’avais pas eu la gang du Refuge, je serais pas là, c’est sûr.
Dan: Avoir une place où rester, une belle job, une vie, quoi, c’est bien beau, mais si t’es pas bien en dedans, ça change rien. Tu sais, le Refuge sauve beaucoup de monde, mais c’est difficile de tenir des statistiques là-dessus. Comment tu mesures si quelqu’un est sauvé? Et il y a pire: il y a ces jeunes qui disparaissent carrément. La moitié du temps, les corps de jeunes abandonnés ne sont même pas réclamés à la morgue.
Frosty: Ni vu ni connu, t’es disparu, effacé.
Dan: C’est ça qui est le plus dur: l’exclusion totale.
Voir: Crois-tu qu’un jour, tu n’auras plus besoin de faire ce show?
Dan: Malheureusement, non.
Voir: C’est pas déprimant?
Dan: Oui, mais qu’est-ce que tu veux que je te dise? Je suis pas mère Teresa. Je peux pas tout changer…
Nic Boileau: As-tu déjà pensé à inclure des gars du Refuge dans le show?
Dan: Pourquoi? Sais-tu chanter?
Nic Boileau: Je chante un peu, je joue de la guitare, du drum, un peu de tout…
Dan: Ça pourrait être intéressant et ça ne me dérangerait pas de le faire dans une de mes tounes. Mais c’est pas évident de travailler avec tous ces artistes professionnels, il faut que les choses soient réglées au quart de tour, même si tout le monde a ben du fun à faire ce show-là. Parce que c’est avant tout un show pour le public, pour ramasser de l’argent.
Frosty: Je pourrais être choriste.
Dan: Je te verrais ben sur scène, avec une mini-jupe!
Frosty: Non, je monterais sur scène comme je suis…
Le Show du Refuge aura lieu le 28 novembre au Spectrum.