Société

14 : Venu, vu, vaincu

En coupant dans les frais de cellulaire, je me suis offert la télé par satellite.

Côté emmerdes et nuisances, croyez-moi, j’y ai gagné au change. Je ne l’ai pas regretté.

Quelle abondance, quel choix d’émissions. Il y a de quoi s’allonger dans un océan de pop-corn, s’enfoncer dans la sénescence de sortir de chez soi que pour refaire le plein de cochonneries. Moi qui n’étais pas un bien grand consommateur de télé, qui l’écoutais toujours d’un oeil distrait, préférant les vertus du DVD, les libraires de cette ville devront désormais afficher mon portrait-robot et patienter longtemps s’ils veulent me capturer.

Simplifions mon gros nouveau: 200 postes, des chaînes hyper spécialisées, golf, blind dates, rap, cuisine, jeux, shows de chaises, homos, sports extrêmes, peur, science-fiction, westerns, vieilles séries et nouvelles, nouvelles et renouvelles venues de tous les coins de l’Amérique et même d’Europe. Ouf! Quel menu! Une fois revenu de ces feux d’artifice et la télécommande apprivoisée, ce qui vous reste de neurones essaiera de faire dans le cartésien. Abscisse et ordonnée, fréquence sur heure. Tout un défi!

Parenthèse.

Avant d’aller plus loin, parlons tardivement de ARTV, qui promettait tant et qui se révèle n’être qu’un autre distillateur de substance, sans âme et sans identité. L’histoire avait fait grand bruit.

Rappelez-vous… Réclamé à corps et à cris auprès du CRTC par les pontes de la Société Radio-Canada, battu au finish par les projets des canaux privés que l’intelligentsia montréalaise qualifiait de quétaines, ARTV voulait être la vitrine de la grande culture. Initialement inspiré par la référence qu’est ARTE en Europe francophone, le projet ARTV a dévié selon les intérêts divergents de ses partenaires. Et depuis qu’elle est rentrée en ondes, sa programmation ne pétait pas plus haut que celle du privé. Trois vieux films sous-titrés, un show de jazz capté par Spectra et Guy Latraverse qui fourgue encore ses vieux shows de chansonniers à peine moins réchauffés qu’au Canal D. Bref, pas de quoi en apprendre plus là qu’ailleurs sur les vertus libératrices du théâtre d’Antonin Artaud. Bhou! Dommage…

Fin de la parenthèse.

Alors, disais-je… Dans ce contraceptif naturel aux 200 variétés multicolores, j’ai vu des hommes, des femmes, des mers, des mondes et des animaux. Et mon Dieu quel spectacle!

Sur le Canal Animal, j’ai vu des requins mordre des surfeurs…

Sur le Canal Action, j’ai vu des surfeurs mordre des requins.

Sur le Canal Voyage, j’ai vu des avions s’écraser entre l’Europe et l’Amérique.

Sur le Canal Extrême, j’ai vu des skateux se péter le dentier sur une rampe d’accès.

Sur le Canal Découverte, j’ai vu des enfants vietnamiens handicapés par l’agent orange.

Sur le Canal Discovery, j’ai vu des ados crever d’overdose à l’urgence.

Sur Historia, j’ai vu un documentaire sur le sort réservé aux cadavres allemands de Stalingrad.

Sur le Canal Cuisine, j’ai vu un ponté exposer les méfaits du cholestérol.

Sur la Canal Mystère, j’ai vu des légistes examiner une jeune victime de meurtre.

Sur le Canal I, j’ai vu des explosions nucléaires dans le Pacifique.

Sur le Canal Biographie, j’ai vu Jodie Foster parler du serial killer Ted Bundy

Sur le Canal Livres, j’ai vu Ernest Hemingway se suicider d’un coup de fusil de chasse.

Sur le Canal Peur, j’ai vu des chirurgiens trépaner une patiente à froid.

Sur le Canal Vie, j’ai vu des femmes parler de leurs crises d’angoisse.

Sur le Canal Santé, j’ai vu un enfant avec un énorme clou enfoncé dans la bouche.

Sur le Canal Apprendre, j’ai vu les vidéos les plus dangereux de la police.

Sur TFO, j’ai vu des grosses machines bulldozer la forêt amazonienne.

Sur le Canal Justice, j’ai vu de petits malfaiteurs illettrés prendre six ans de prison.

Sur CNN, j’ai vu d’indécentes chorales de patriotes débiles entonner des chants guerriers.

Et sur TQS, j’ai vu des femmes américaines se fesser sur la gueule à coups de sacoche.

Ah! quel bonheur d’être à nouveau citoyen du monde, bien branché sur les vibrations du continent, de Los Angeles à Halifax, sur l’Europe, de Londres à Paris. Quel plaisir de rejoindre une humanité que j’avais sans doute peu à peu perdue de vue. De sentir battre à plein régime le pouls de la planète. Je suis si content d’avoir enfin une vraie télévision que j’en pleure presque…

Je crois que je fais une dépression.