Le Livre noir du Canada anglais, ce petit pamphlet pondu par Normand Lester, a indigné les autorités de Radio-Canada qui y ont immédiatement vu un manquement à la fort sérieuse déontologie journalistique de la société d’État. L’ouvrage de M. Lester serait si tendancieux qu’il le décrédibiliserait jusque dans l’exercice de ses fonctions journalistiques. Ce qui menacerait les règles d’impartialité que s’est fixées la société d’État depuis quarante ans.
Foutaises et refoutaises…
Ne questionnons même pas la pertinence des propos tenus par Lester dans son livre. Le fait est que son parti pris, il ne l’a pas affiché sur les ondes de la SRC. Dans le reportage sur le financement des Minutes du patrimoine qui lui a valu ses premières sanctions, Lester ne s’en est pas pris à la main qui le nourrit, il a mis en lumière les magouilles des pouvoirs politiques canadiens qui ont établi des règles de financement basées sur des critères éditorialistes partisans. L’insupportable pour Radio-Canada, c’est que Lester ait révélé qu’elle a marché dans le jeu. Que la société d’État trahissait sa propre déontologie en diffusant des émissions dont le financement reste discutable.
Lester a ensuite choisi dans son livre de s’attaquer à la véracité des propos des Minutes et de démontrer la malhonnêteté intellectuelle des outils de propagande des fédéralistes enragés qui, tels des staliniens, investissent des millions dans la manipulation de l’histoire. Cet exercice, il ne s’y est pas livré sur les ondes de Radio-Canada. Et personne ne lui a reproché, que je sache, de biaiser ses reportages. Ce qu’il pense, et écrit par ailleurs, le regarde.
Au lieu de se livrer à ce congédiement déguisé en invoquant de grandes traditions déontologiques qu’elle ne respecte même plus, il serait bien plus simple pour la direction de Radio-Canada d’édicter une règle claire selon laquelle un nationaliste québécois n’a pas le droit de travailler en son sein. On saurait au moins à quoi s’en tenir. Les alliancistes qui ont déjà voulu déclarer les membres du Bloc hors-la-loi et les accuser de haute trahison en seraient fort aise.
Parlons d’impartialité.
Le premier imbécile venu sait bien que l’impartialité journalistique est une vertu aussi crédible que l’abstinence sexuelle de Britney Spears. Bon nombre d’études sur la question ont démontré que hormis la neutralité attendue du propos de la part d’un journaliste (parlez-en à Simon Durivage, prince de l’intro éditoriale), la nouvelle se manipule allègrement dans le titre, le ton, et encore plus discrètement dans le choix des sujets traités. Le silence étant le plus beau des partis pris tacites.
Un exemple pertinent:
Après avoir causé un petit débat sur le plancher même du parlement canadien, l’affaire Lester a fait le tour des salles de presse du pays. À l’exception évidemment de celle de Radio-Canada, qui n’a pas jugé utile de traiter l’événement. Que le "No comment" du patron se soit répercuté jusque dans le line-up du directeur de l’information a quelque chose d’inquiétant… Pourquoi Bureau, si empressé de ploguer les oeuvres de collègues et ex-collègues, n’a-t-il pas interviewé Lester? Silence partial… ne brassons pas de merde dans la cabane…
La ligne éditoriale étant une frontière bien fragile et tout de même bien discutable, Normand Lester n’aurait peut-être pas reçu autant d’appuis rapides et unanimes si cette suspension n’était de toute manière, pour plusieurs, une conséquence logique de la stratégie permanente de propagande du gouvernement canadien, qui manipule la société d’État et l’ensemble du milieu culturel canadien depuis le dernier référendum. En 10 ans, la SRC mais surtout son pendant anglophone sont devenus le plus puissant des outils de propagande du fédéral. Sheila Copps et Jean Chrétien peuvent bien dire qu’ils n’ont rien à voir là-dedans. Ils exercent en fait un contrôle absolu sur le contenu en parachutant les directions et en soumettant même le secteur de la production télévisuelle privée à la règle du contenu canadien.
Qu’en reste-t-il?
Une télé qui radote comme un perroquet ivre les beautés du pays dans des proportions démentielles. Pas un caveau à betteraves de Terre-Neuve que nous n’ayons visité. Pas un vieux schnock du fond des Cantons de l’Est collectionnant les cacas des canassons du carrousel de la Gendarmerie royale que nous n’ayons rencontré. Des documentaires sous surveillance, comme Canada, une histoire populaire, exempts de tout esprit critique. Des émissions d’humour bon enfant parodiant gentiment le comportement atavique du bûcheron canadien. Et des biographies de Glenn Gould, Maureen Forester, Gordon Lightfoot et re-Glenn Gould. Le monde peut bien tourner… Le Canada, dans sa belle unanimité, se confine à un vide identitaire sidéral qui se résume aux propos débiles d’une annonce de bière… Burrps!
Alors on ne va pas laisser ceux qui, comme Lester, se demandent publiquement pourquoi ce nationalisme canadien semble de bon ton aux propagandistes alors que le nationalisme québécois passe pour étriqué et minable cracher dans la soupe.
Imaginez-vous, une seule seconde, que si Normand Lester avait écrit Le Livre d’or du Canada anglais, ou quelque ouvrage vantant les mérites de notre grande nation, quelqu’un quelque part, au sommet de l’appareil politique ou médiatique, aurait envisagé de s’en prendre à son parti pris? Que non, il aurait été subventionné.
Et il se serait trouvé, dès la retraite, une planque peinarde à 80 000, au service du protocole canadien ou à la monnaie royale canadienne. Pour le reste de ses jours, il aurait fait d’un océan à l’autre, et jusque dans les eaux territoriales canadiennes, la promotion des beaux dessins de petits morveux canadiens, d’ssus les 25 cennes du Canada. Un par mois, quelle joie!