Droit de cité : Quand le bâtiment va, tout va?
Société

Droit de cité : Quand le bâtiment va, tout va?

"Payez vos loyers, là, parce que vous ne pourrez pu trouver d’autres appartements, là."

On aurait cru entendre une acariâtre directrice de petite école. Mais non, c’est Louise Harel qui nous a servi cette semonce toute matantisante, la semaine dernière.

De la part d’une ministre aussi expérimentée, on se serait attendu à des commentaires plus raffinés, genre "Arafat est devenu un obstacle majeur au processus de paix au Moyen-Orient en se laissant subordonner sur sa droite par le Hamas".

Mais non, avec Louise Harel, on ne fait jamais dans le sublime, mais dans le maternel. Dans la maternelle. "Payez vos loyers, là." Comme si les centaines de milliers de Québécois participant chaque année à la traditionnelle parade de pick-up du 1er juillet n’étaient que des indisciplinés. Passons…

Alors, si vous devez payer vos loyers, là, c’est que la pénurie de logements disponibles a atteint le niveau de la rareté papale.

La crise du logement, c’est d’abord dans les chiffres qu’elle se voit. Ceux de la Société canadienne d’hypothèque et de logement (SCHL) sont renversants. Hormis la petite bourgade de fonctionnaires de Victoria, trop petite, trop spéciale par sa géographie montagneuse et son urbanisme de site touristique pour être comparable, c’est à Montréal que le taux d’inoccupation est le plus bas au Canada. Il y a 0,6 % des 460 000 logements qui sont vacants. Ex æquo avec Hull-Gatineau, et suivi par Québec, avec 0,8 %.

Bref, le top 3 de la crise du logement au Canada est au Québec.

Ça pose la question suivante: que fait-on de pas pareil au Québec en habitation pour se retrouver dans cette situation? La réponse: nous contrôlons les loyers. C’est ce que nous faisons de différent. Mais ceux qui y voient une relation de cause à effet avec la pénurie se mettent un chèque dans l’oeil.

À la base, leur raisonnement n’est pas stupide. Il en coûte tellement cher d’investir dans le logement locatif pour un si petit pécule à la fin du mois, que plus aucun promoteur ne construit de logements depuis une douzaine d’années. On fait dans le condo, la maison de ville, le bungalow, mais pas dans le locatif.

Si les loyers sont demeurés bas pendant tout ce temps, ce n’est pas attribuable au contrôle. Contrôle ou pas, il n’y aurait pas eu de hausses ces 10 dernières années, la demande était trop faible. Jusqu’à l’année dernière, en 2000. Or, quand la demande reprend, le contrôle empêche-t-il toute hausse? Les loyers ont crû de 6 % à Hull, 4,2 % à Montréal, 3,8 % à Québec, la dernière année. Des hausses plus élevées que l’inflation de 2 %. Un rendement supérieur à la plupart des industries.

De plus, leur raisonnement ne tient pas la route longtemps, lorsqu’on sait que la majorité des locataires serait incapable d’accuser une hausse de loyer substantielle. On augmente le loyer, mais s’il n’y a personne pour le payer? Surtout s’il en coûte désormais moins cher en hypothèque qu’en loyer? Pourquoi louer quand on peut acheter à meilleur prix? Un beau slogan de promoteur. Je me lance.

En Ontario, il n’y a plus de contrôle des loyers depuis 1994. Pourtant, c’est à peine mieux là-bas. Le taux d’inoccupation à Toronto et à Ottawa est en deçà de 1 %, toujours loin des 3 % pour que le marché soit en équilibre.

Puisque la réglementation semble avoir peu d’effets, des phénomènes sociaux sont avancés: les couples se brisent. Les jeunes ont quitté le nid familial après avoir réussi à se faire une place au soleil. Le nombre croissant de gens vivant seuls. Le manque de logements sociaux.

Ah! Le logement social! La solution. Pour 180 millions $, une somme considérable, on va en construire 6 500 en deux ans. Pour tout le Québec. Or, à Montréal, juste pour soutenir les besoins, c’est 11 000 par année qu’il en faudrait. À vrai dire, contrairement aux prétentions des amateurs de squats, on ne construirait plus aucun HLM et plus aucune coop d’habitation, que la situation ne serait pas plus dramatique. Elle le serait plus pour ceux qui en ont besoin, mais globalement, ça ne changera rien. Déjà, le Québec se donnait des airs de république socialiste avec ses 1 300 nouveaux logements sociaux par année, contre zéro en Ontario. L’économie est moins solide, il s’y crée moins d’emplois, nous recevons deux fois moins d’immigrants que nos voisins ontariens, qui n’ont pas de contrôle des loyers, qui ne construisent pas de logements sociaux et vivent les mêmes phénomènes sociaux. Alors, pourquoi cet écart entre les villes québécoises et ontariennes?

Alors quoi? Alors, peut-être que le Québec profond se vide. La Gaspésie, l’Abitibi, les Hautes-Laurentides, la Mauricie, le Lac-Saint-Jean. L’exode des jeunes est si prononcé dans les régions que les autorités locales parlent ni plus ni moins de catastrophe. À mots couverts, elles évoquent le début de la fin pour leur région. Chaque année, des milliers de jeunes des régions quittent leurs patelins. Juste dans le Bas-Saint-Laurent, par exemple, plus de 2400 jeunes ont quitté pour de bon la région, entre 1993 et 1998. Vingt par semaine! Pour s’établir essentiellement à… Montréal, Québec, et Hull! Ils quittent parce que toutes les politiques de développement régional des 30 dernières années ont été des échecs. L’avenir est dans les grandes villes, et malgré les efforts considérables, il n’est plus en région.

Nous y reviendrons.