Le NPD en déroute : Virage à gauche manqué
Société

Le NPD en déroute : Virage à gauche manqué

Lors du dernier congrès du NPD, à Winnipeg, les militants ont voté en majorité contre des mesures qui auraient pu faire prendre un virage important à ce parti en déroute. À Ottawa, la gauche se meurt; dans la rue, elle prolifère. Le NPD a-t-il décroché de la base?

Normand Lester ne sera pas d’accord mais "ces gens-là", comme il appelle nos colocs dans son Livre noir du Canada anglais, ne sont pas tous des fascistes de grand salon et des orangistes d’extrême droite. Ce sont eux qui, quelque part dans les Prairies dans les années 30, ont fondé le premier parti politique de gauche viable en Amérique du Nord. Le Nouveau Parti démocratique n’a jamais pris le pouvoir à Ottawa, mais il a longtemps symbolisé la troisième voie canadienne avec ses drôles d’idées comme l’accès gratuit et universel aux soins de santé (une idée éventuellement piquée par le Parti libéral) et la reconnaissance du droit à l’autodétermination du Québec.

Sauf que le NPD en arrache. Le parti de la troisième voie est aujourd’hui devenu le parti de la quatrième ou cinquième voie, selon qui, de Stockwell Day ou Joe Clark, a eu la meilleure semaine. Le NPD n’a plus que 13 députés à la Chambre des communes, qui représentent soit des circonscriptions de l’Ouest, soit celles qui sont une heure plus tard dans les Maritimes et qui n’ont pas encore été mises au courant que la gauche n’était plus à la mode.

Le virage
Mais justement, pendant que le NPD se meurt, on assiste au Canada, et partout dans le monde, à une mobilisation sans précédent des forces antimondialisation, environnementales et de gauche. Il y a eu Seattle, Québec et Gênes. Au niveau provincial, Paul Cliche a réussi à recueillir 25 % des votes, dans une partielle sur le Plateau, à la tête d’une coalition qui incluait le Parti communiste du Québec. On dit même que pour la première fois de l’histoire du Cégep Saint-Laurent, les pouilleux en sciences humaines ont, sinon le respect, du moins l’attention des étudiantes en sciences infirmières.

"Nous devons nous asseoir avec les gens et déterminer pourquoi il y a une cassure aussi profonde entre la politique progressive et la politique électorale", constate Libby Davies, députée néo-démocrate de Vancouver-Est. Les jeunes sont cyniques et déçus du processus politique." Libby Davies, Svend Robinson et une poignée de députés néo-démocrates se sont tannés de voir la gauche s’organiser et se mobiliser sans eux. Avec Judy Rebick, éditrice de Rabble.ca, et d’autres militants qui ne font pas partie du NPD, ils ont fondé la Nouvelle Initiative Politique, un groupe qui cherche à reformer une coalition de la gauche et, éventuellement, à créer un nouveau parti politique. "Je vois ça comme une nouvelle politique, une politique qui n’est plus une histoire d’argent ou de pancartes, mais quelque chose de plus participatif", affirme Davies.

"Un parti, ça s’institutionnalise. Il faut ramasser des fonds, organiser des campagnes électorales, poser des pancartes, et les jeunes ne sont pas attirés par ça. Ils ne croient pas que c’est comme ça qu’on arrive au changement. Je considère la Nouvelle Initiative Politique comme un pont entre la politique militante et la politique électorale."

Il y a deux semaines, à Winnipeg, 40 % des militants du NPD ont appuyé la démarche de Mme Davies et M. Robinson. Ce n’est pas assez pour que le parti se réinvente en "bras politique/électoral" des forces progressives, mais c’est un score tout de même impressionnant pour une idée qui date seulement du mois de juin.

Une base militante?
Vraisemblablement, les néo-démocrates se rendent compte que le train est en marche et qu’ils n’ont pas de billet. La question est de savoir si la nouvelle génération de militants est intéressée.

"On se réjouit que 40 % des délégués veuillent poursuivre la réflexion, affirme Robert Jasmin, président d’ATTAC-Québec (Association pour la taxation des transactions financières pour l’aide aux citoyens). C’est sûrement un effet de la mobilisation antimondialisation. Ils ne sont pas fous, ils savent qu’il se passe quelque chose en ce moment."

Cela dit, M. Jasmin ne croit pas que les militants antimondialisation soient présentement à la recherche d’une voix électorale. "On est né parce qu’il y avait une démobilisation sur le plan politique. On forme un réseau au niveau mondial. C’est là que ça se joue. À partir du moment où les politiciens ont abdiqué devant le néo-libéralisme, on s’est demandé: il est où, le vrai pouvoir?"

Le problème du NPD est-il de ne pas jouer sur la bonne patinoire? "Non, je ne crois pas, estime Robert Jasmin. Il est important que des gens se présentent au pouvoir. Mais prenons Blair et Jospin. Ils sont au pouvoir, mais que font-ils de plus qu’un parti de droite? Il y a quelques différences, mais la gauche est déçue."

La grande majorité des groupes de gauche et antimondialisation contactés par Voir ont peu ou pas du tout porté attention au congrès du NPD. S’il est clair que le NPD a besoin d’eux, il est loin d’être évident que ces derniers ont besoin du NPD. "Si je recherche de l’aide pour organiser une campagne, le NPD n’est pas sur ma liste d’appel", assure Derek MacCuish, du Comité pour la justice sociale, un organisme montréalais qui fait campagne pour l’élimination de la dette du Tiers-Monde. "Mais j’ai vu que le NPD avait affiché certains documents qu’on a préparés sur son site Web…

"Lors de la dernière élection, poursuit-il, ils se sont concentrés sur un seul dossier: la santé. Mais la globalisation, c’est beaucoup plus que ça. Les frontières nationales et provinciales ne veulent plus dire grand-chose, et ça, ils commencent seulement à le réaliser."

Comme Jasmin, MacCuish ne nie pas l’utilité de la mobilisation politique sur le plan électoral. "On est toujours à la recherche de nouveaux mécanismes pour influencer la politique. Mais le NPD, c’est le quatrième parti, ce n’est pas vraiment une priorité pour nous."

Maude Prud’homme, de la Convergence des luttes anticapitalistes (CLAC), n’avait tout simplement pas entendu parler de la volonté du NPD de se rapprocher des militants antimondialisation. "On n’y croit plus du tout. Nous, on veut agir de l’extérieur, il y a une désillusion face à la politique électorale. Ça pourrait dépendre de ce qu’ils vont nous mettre sur la table; mais on compte dans nos rangs des anarchistes et des marxistes, et je doute qu’ils soient intéressés. Ça pourrait sentir la récupération."

Clôde DeGuise, de Greenpeace Montréal, constate que la nouvelle génération de militants préfère le modèle de son organisation, soit l’action non partisane, à la politique électorale. Il y a toujours des personnes qui souhaitent s’impliquer dans un parti politique, mais elle croit qu’elles sont peu nombreuses. "Au Québec, il y a le RAP (Rassemblement pour une alternative politique) qui va chercher des gens. Ça dépend s’il y a une cohérence et ça dépend s’il y a des personnes assez vigoureuses pour rassembler le monde."

Ce rassemblement est possible, estime Libby Davies: "Absolument. Je suis de Vancouver-Est, une communauté à faible revenu qui compte beaucoup de militants. Ces gens-là sont sortis pour ma campagne. Ils me voient comme une militante. Nous avons réussi à établir un rapport avec ces gens et leurs revendications. Mais le NPD doit bouger."