L'identité sexuelle revue et corrigée : La guerre des sexes
Société

L’identité sexuelle revue et corrigée : La guerre des sexes

Le monde est divisé en deux: hommes et femmes. Que faire dans le cas des hermaphrodites? Leur imposer des chirurgies dès leur jeune âge, comme c’est le cas en ce moment?

Le monde est divisé en deux: hommes et femmes. Que faire dans le cas des hermaphrodites? Leur imposer des chirurgies dès leur jeune âge, comme c’est le cas en ce moment?
Dans notre monde, qu’elle juge fermé, la biologiste américaine ANNE FAUSTO-STERLING estime qu’il devrait exister non pas deux, mais bien cinq sexes pour inclure et accepter ces personnes! Bienvenue à l’ère de la multiplication des sexes.

Brad et Nicol (noms fictifs) veulent fonder une famille depuis toujours. Quoi de plus commun, serait-on en droit de se dire. Après quelques vaines tentatives, arrive enfin l’instant où un magnifique poupon voit le jour. Leur voeu est exaucé: le bébé est en santé, chose la plus importante pour tous les parents. Mais voilà: est-ce une fille ou un garçon? Impossible de savoir, les médecins n’arrivent pas à déterminer le sexe! Nicol a enfanté un hermaphrodite.

Malgré une batterie de tests et d’examens, les spécialistes sont incapables de décider du sexe. Le clitoris est anormalement gros, les deux paires de lèvres sont scindées ensemble, alors que les analyses des chromosomes sont peu révélatrices, vu la présence des deux formes XX et XY.

Les parents tranchent: ils élèveront l’enfant en fille. Les médecins aussi: ils l’opèrent, charcutent quelques centimètres de l’indésirable protubérance et lui concoctent une cavité vaginale.

"Il faut absolument cesser de pratiquer des chirurgies génitales sur les nouveau-nés intersexuels", martèle l’embryologiste Anne Fausto-Sterling, en parlant des hermaphrodites.

Professeure de biologie et d’études féminines à l’Université Brown, dans l’État du Rhode Island, elle s’insurge contre le fait que les parents décident du sexe de leur enfant né hermaphrodite, pratique non seulement injuste, mais qui comporte aussi certains risques. "Côté esthétique, c’est efficace; et pour certains jeunes adultes, l’image importe plus que les fonctions sexuelles. Mais pour d’autres, ce n’est pas du tout le cas, soutient la scientifique. Le problème, c’est que présentement, le fait que les chirurgies puissent être dommageables sexuellement est gardé secret."

À son avis, les dangers ne sont pas les seuls éléments qu’on garde cachés. Parfois, les principaux concernés ne sont même pas mis au courant de leur condition particulière. "L’approche traditionnelle veut qu’on ne leur dise pas la vérité, mais qu’on leur mente. Les médecins prétendent savoir quel est leur sexe, alors que leur propre corps l’ignore encore", poursuit-elle.

Plus que marginaux
Bien qu’on entende peu parler des hermaphrodites, Anne Fausto-Sterling pense que leur nombre est plutôt substantiel. "Les enfants intersexuels sont assez communs. Aussi communs que les trisomiques et encore plus que ceux atteints de fibrose kystique." La scientifique estime que le pourcentage d’enfants qui naissent hermaphrodites, toutes variétés confondues, se chiffre à 2 %! "Plusieurs d’entre eux ont des malformations non visibles. Dans le cas des chirurgies, le nombre s’apparente plus à 1 sur 1000, voire 2000 naissances", nuance-t-elle.

En termes scientifiques, certaines différences de chromosomes non perceptibles, mais ne s’apparentant pas aux conventionnels XX et XY, définissent le sexe d’une personne. "Certains naissent avec des gonades dont la différence n’apparaît pas avant la puberté ou le moment d’avoir des enfants. Ils peuvent alors découvrir qu’ils ont des testicules au lieu des ovaires, ou inversement. Chaque cas est particulier."

Rigoureuse revendicatrice, Anne Fausto-Sterling prône l’ouverture d’esprit. "Je soutiens qu’il devrait y avoir plus de latitude que ce que nous acceptons quant à la variété des genres sexuels." Ce qu’elle avance? Qu’il faudrait considérer qu’il y a non pas deux mais bien cinq sexes. "Ainsi, aux mâles et aux femelles viendraient s’ajouter les herms (hermaphrodites proprement dits), les merms (principalement masculins avec peu d’éléments féminins) et les ferms (principalement féminins avec peu d’éléments masculins)", explique-t-elle. La différence entre ces trois derniers dépend du nombre de composantes du sexe opposé. Par exemple, un hermaphrodite pourrait se retrouver avec des organes génitaux masculins et des glandes reproductrices féminines; mais pour les deux autres, il s’agit de différences mineures.

Une fois ces propositions médicales acceptées, elle ne croit pas qu’il faille s’attarder sur le sexe de chacun outre mesure. "Je ne comprends pas le besoin de se déclarer comme femme ou homme sur notre permis de conduire ou notre passeport. Il y a de meilleures façons d’identifier les gens maintenant", souligne-t-elle. Plus qu’une lourdeur bureaucratique, elle y voit le risque toujours présent de crimes haineux. "Ce type de système peut mettre en danger les gens qui ne s’y conforment pas. Parce que s’ils sont identifiés selon leur appareil génital mais que leur apparence physique n’y correspond pas, ils risquent la mort, littéralement."

Crise d’identité
Ainsi, Julia (nom fictif) grandit parmi les poupées, mais préfère grimper aux arbres; elle est inconfortable en robe et a la mine d’un gamin. Durant son enfance, la situation est désagréable. À l’adolescence, sa vie devient carrément insupportable. C’est la crise d’identité profonde.

Pour la rassurer, les médecins lui confirment qu’elle est bel et bien une "fille", mais qu’elle n’est pas encore "complétée". Pour que monte en elle un sentiment de "femme", ils la bourrent d’hormones et reprennent le bistouri pour lui perfectionner l’appareil génital.

Rien n’y fait, le pansement est loin de pouvoir soigner le bobo. Elle est confuse, mal dans sa peau. Et lorsque surviennent ses premiers désirs sexuels, c’est vers les femmes qu’elle se tourne.

"La masculinité et la féminité sont des concepts culturels, croit Anne Fausto-Sterling. En effet, la société impose la dichotomie mâle-femelle à un âge de plus en plus jeune, laissant au système à deux sexes une place grandissante dans notre perception de l’humain", ajoute l’auteure de plusieurs ouvrages, dont Sexing the Body: Gender Politics and the Construction of Sexuality, paru l’an dernier.

"Je soutiens que ces enfants ont besoin d’être élevés sur la base de la franchise, afin qu’ils soient en mesure de comprendre la situation; et quand vient le temps de prendre une décision quant à un éventuel traitement de leur condition, ils devraient être en âge de comprendre et de participer à cette décision." À moins que la vie de ces enfants ne soit menacée (par un mauvais fonctionnement du système urinaire qui entraînerait de graves problèmes rénaux, par exemple), elle suggère qu’un suivi médical complet soit engagé, de manière à ce que les enfants comprennent l’origine de la situation, et qu’ils soient bien informés de leur état. "Au lieu de la chirurgie, on pourrait proposer un service de consultation de qualité pour les parents et les enfants."

Julia, elle, a décidé qu’elle n’en pouvait plus de subir les pressions d’une société fermée, et elle a pris les moyens nécessaires pour s’y conformer. Malgré son attirance pour les femmes, elle a épousé un homme, qu’elle quitta quelques années plus tard lorsqu’elle rencontra Lisa (nom fictif). C’est grâce à cette dernière qu’elle sortit enfin de ses années de noirceur et de crise identitaire. Lesbienne pendant un temps, elle choisit finalement de retourner sur la table d’opération, devint un homme (Julian), et se maria avec Lisa.

Même si elle résulte de certaines écarts de conduite de Dame Nature, y a-t-il une décision plus personnelle que celle de choisir son sexe? Aujourd’hui, Julian s’interroge lui-même sur le droit des parents à élever leurs enfants "en filles" ou "en garçons". Père d’une magnifique petite fille, il porte les cicatrices d’une vie troublée par la confusion, l’interrogation, le mensonge et le rejet, et n’hésite pas à condamner l’intolérance médicale et sociale à l’égard des personnes qui n’entrent pas parfaitement dans le moule de l’homme ou de la femme.

L’important, c’est un bébé en santé, vous dites?