Crise au Conservatoire de Montréal : Péril en la demeure
Les étudiants et professeurs du Conservatoire d’art dramatique et de musique en ont marre. Relocalisés manu militari dans un lieu inadéquat pour l’enseignement, ils veulent regagner l’édifice Ernest-Cormier. Sinon, ils prendront les grands moyens: squatter!
Les 425 étudiants et professeurs du Conservatoire d’art dramatique et de musique de Montréal ne veulent pas revivre, l’hiver prochain, le cauchemar de cet automne. "Tant et aussi longtemps qu’un lieu permanent ne sera pas prêt à les accueillir, clé en main", ils désirent demeurer dans l’édifice Ernest-Cormier (d’où ils ont été délogés en juillet dernier, puis où on les a rapatriés d’urgence en novembre afin de terminer leur session).
Faute de réponse favorable du gouvernement du Québec, certains d’entre eux songent à prendre les grands moyens: squatter en janvier le bel édifice de la rue Notre-Dame, que le Conservatoire a occupé pendant 28 ans. Si ça marche pour des punks, pourquoi pas pour des interprètes et des compositeurs en herbe…
Lundi matin, lors d’une conférence de presse entamée au son de la marche funèbre de la Troisième Symphonie de Beethoven, une troupe a simulé la mort d’une étudiante par une guillotine affichant le drapeau du Québec… Le message est clair: le personnel du Conservatoire ne fait plus confiance au gouvernement du Parti québécois, qu’il accuse "de mépris, de désinvolture, de gestion à la petite semaine et de gaspillage des fonds publics". "Cher P.Q., le temps est venu de cesser de croire que les artistes vous sont inconditionnels", a lancé Jean-François Nadeau, représentant des étudiants en art dramatique. Ce qui semblait se confirmer par la présence de nombreuses personnalités du milieu théâtral (dont les acteurs Patricia Nolin, Gilbert Sicotte, Carl Béchard et Catherine Bégin) venus appuyer les revendications des profs et des étudiants.
La manifestation de lundi arrive après plusieurs mois de mécontentement. En juillet dernier, le Conservatoire a dû déménager dans le sous-sol de l’ex-École de technologie supérieure (ETS), avenue Henri-Julien, dans la partie nord du Plateau. La Société immobilière du Québec (SIQ), gestionnaire immobilier du gouvernement, veut en effet restaurer et transformer l’édifice Cormier, de manière à ce qu’il puisse accueillir la Cour d’appel du Québec. Les travaux, évalués à 50 millions de dollars, n’ont toutefois pas encore commencé, six mois après l’expulsion du personnel du Conservatoire.
La direction générale des Conservatoires du Québec avait spécifié que ce déménagement était "temporaire", car la SIQ favorisait le projet de localiser le Conservatoire à l’intérieur de la future Maison de l’OSM, à côté de la Place des Arts. Le directeur de la section art dramatique, Normand Chouinard, exigeait des garanties avant de déménager. Ce qu’on lui a refusé; il a donc démissionné en déclarant: "Je refuse d’être le fossoyeur d’une école que j’adore."
Six mois plus tard, la situation s’est envenimée, et la rébellion est ouverte. Les étudiants et les profs estiment avoir été parachutés dans un lieu impropre à l’enseignement. Ils qualifient les nouveaux locaux de l’avenue Henri-Julien de "bunker". Problèmes d’insonorisation, d’aération, travaux de rénovation qui nuisent aux répétitions, manque de salles de cours et absence de salles de concert et de spectacle, etc. "Quand l’air est infesté par l’odeur des égouts ou de la colle à tapis, c’est pas évident de souffler durant huit heures dans un trombone!" a souligné un étudiant en musique.
Le seuil de tolérance a donc atteint ses limites. Les étudiants demandent d’être remboursés pour leurs frais de scolarité de la session d’automne (900 dollars maximum par personne).
Lundi matin, la ministre Diane Lemieux a fait parvenir une lettre aux représentants des étudiants et des profs, lettre qui n’a pas été lue publiquement. La ministre reconnaît la grogne des étudiants devant "l’ampleur des travaux de rénovation" dans l’édifice de l’avenue Henri-Julien, et leurs craintes quant à la future installation permanente du Conservatoire. Elle réitère "l’engagement du gouvernement et du Conseil du Trésor de s’assurer que le Conservatoire soit bientôt relocalisé dans des locaux permanents et adéquats". La ministre soutient le projet de l’OSM, qui devrait être complété en 2004, mais les étudiants n’y croient pas et craignent qu’il ne soit reporté aux calendes grecques.
Rien donc pour atténuer le scepticisme des gens du Conservatoire de Montréal dont les pérégrinations ne datent pas d’hier. En 1973, après avoir occupé plusieurs lieux, le Conservatoire s’installait rue Notre-Dame avec la promesse que des aménagements adéquats seraient faits. Une promesse, encore une fois, non tenue.
Ironiquement, la saga du Conservatoire rappelle celle du Théâtre du Nouveau Monde. Le TNM a attendu 45 longues années avant d’avoir une salle digne de sa réputation. Hélas! le Québec, très fier de sa culture, semble toujours en négliger les symboles…