Fondation de l’Union paysanne : Agriculture de masse
Le président de l’Union des producteurs agricoles (UPA) a dit d’eux qu’ils seraient sûrement incapables de "cultiver un pauvre radis", mais les gens de l’Union paysanne (UP) ont surtout l’intention de mener une petite révolution en agriculture. Face-à-face de deux frères ennemis.
Même si elle n’est pas un syndicat corporatif reconnu, l’Union paysanne (UP) a déjà causé une petite commotion avec le portrait sévère qu’elle dresse du milieu agricole. Selon l’UP, le tournant résolument industriel qu’aurait pris l’agriculture à travers l’exportation, la concentration des entreprises et l’hyperspécialisation a des effets pervers étroitement liés: marginalisation des petits exploitants, dégradation de l’environnement et des sols, destruction des conditions naturelles d’élevage des animaux, détérioration de la qualité des aliments, menace pour la santé, etc.
"Ce qui nous unit, c’est une déclaration de principe qui affirme la volonté de promouvoir et de défendre une agriculture paysanne à échelle humaine, orientée vers la souveraineté alimentaire, qui respecte l’environnement et qui crée de l’emploi", affirme le président, Roméo Bouchard.
Small is beautifull
Dans l’immédiat, la grande priorité de l’UP est la révision du mode d’allocation des subventions aux agriculteurs en s’inspirant du modèle européen d’écoconditionnalité. Actuellement, 13 % des entreprises génèrent plus de la moitié de la production, selon M. Bouchard. "Sur le milliard de dollars par an en subventions, 50 % va à 12 % des producteurs. Il faut cesser de subventionner selon le volume de production pour le faire en fonction d’un cahier de charge, comme le fait la Suisse ou la France." En Suisse en particulier, les octrois sont consentis sur la base de critères tels la taille de l’entreprise (qui reçoit en fonction de sa petitesse), de l’espace vital accordé aux animaux, de la rotation des cultures ou du faible usage d’antibiotiques. "Là-bas, si tu as des méthodes de production dommageables tu n’as plus d’argent, alors qu’ici, on subventionne ceux qui font de la "marde", rage M. Bouchard.
Parmi les autres revendications immédiates figurent le soutien aux producteurs certifiés biologiques et la reconversion aux fumiers solides dans l’industrie porcine, afin d’enrayer la pollution par le phosphore. La gestion des liquides des fumiers entraîne en parallèle, selon M. Bouchard, une culture excessive du maïs – très dommageable pour les sols -, qui est une céréale qui peut absorber trois fois plus de purin, ayant besoin de beaucoup d’azote et de phosphore.
Les modes d’élevage intensifs et les conditions de détentions "concentrationnaires" qui désorientent complètement les animaux sont aussi à revoir pour l’UP. "Les cochons ont besoin de fouiller le sol et quand ils sont sur le ciment, entassés les uns sur les autres, ils en viennent à se manger la queue entre eux. Ça fait beaucoup de sang et les autres cochons sautent sur le blessé." Pour éviter ces "bains de sang", on coupe, par mesure préventive, la queue des porcs. Cette pratique serait courante au Québec. "Le Conseil européen a interdit les animaux en cage comme les poules ou les veaux. Les hormones de croissance sont aussi bannies et, d’ici 2008, il sera interdit de couper la queue des cochons", poursuit M. Bouchard.
Question de perception
Le président de l’Union des producteurs agricoles (UPA), Laurent Pellerin, balaie pour sa part du revers de la main toute vision alarmiste sur l’avenir de l’agriculture québécoise, affirmant que les agriculteurs rencontrés récemment lui ont demandé de rétablir leur image. Il ne nie pas cependant le virage industriel en cours. "La ferme moyenne au Québec est de 40 vaches, de 70 en Ontario et aux Etats-Unis, de plus de 100. Alors oui, il y a une tendance au grossissement des entreprises, mais elle est moins prononcée qu’ailleurs."
Aussi, l’image projetée par le film Bacon avec le phénomène des mégaporcheries serait contestable. "Tous ceux à qui j’ai parlé, agronomes, économistes ou environnementalistes, m’ont dit que c’était un peu biaisé. Je crois qu’on est en situation de contrôle pour la plupart des régions du Québec. Et on fait nous-mêmes des revendications auprès du ministère de l’Environnement pour que l’on se base non plus sur les municipalités, mais sur les fermes afin d’évaluer les surplus. On rendrait justice aux producteurs responsables en arrêtant le développement de ceux qui ont atteint le potentiel d’épandage de leur sol. Aujourd’hui, aucun producteur animal ne peut démarrer sans produire un plan de fertilisation avec des analyses de sol et des quantités de fumier produites", assure le président de l’UPA.
Le spectre de la monoculture du maïs n’est guère plus fondé globalement, pour M. Pellerin, "mais c’est sûr que pour un producteur de porcs qui a des terres, pour boucler la boucle, c’est l’idéal, surtout si on peut éviter de réintroduire maïs sur maïs. Et puis, une meilleure utilisation des fumiers lisiers a permis de réduire de 100 000 tonnes métriques, depuis les années 1990, l’utilisation d’engrais chimiques."
Et le fait que 12 % des entreprises accaparent plus de la moitié des subventions? "J’ai entendu des chiffres du genre, mais ceux-là, je ne sais pas d’où ils viennent. Les interventions tant fédérales que provinciales sont basées sur le risque. Alors c’est sûr que le producteur qui met en marché pour 50 000 $ par année ne peut recevoir 200 000$. Est-ce qu’il faudrait donner plus d’argent, plus l’entreprise est petite? J’aurais de la misère à défendre ça", explique M. Pellerin. Que faire alors pour protéger les petits exploitants? "En limitant les interventions aux gros. Il y a des plafonds d’interventions limités à cinq partenaires pour les entreprises dans le compte de stabilisation de revenu agricole et une limite d’intervention financière qui baisse rapidement pour ceux qui ont un chiffre d’affaires de 500 000 $."
L’UPA a-t-elle l’intention de suivre la voie de l’écoconditionnalité, ou du moins de s’en inspirer? "S’en inspirer, oui, mais pas copier. On est dans une société qui fait de l’agriculture de façon différente. Il existe encore en Europe une agriculture de subsistance. Au Québec, nous avons un beau mélange entre l’Europe et les États-Unis."
Parmi les autres pratiques agricoles prônées par l’UP (qui ne sont toutefois pas des conditions d’admission): l’élimination des pesticides et des produits de synthèse, l’étiquetage obligatoire et la ségrégation des OGM (disposés à part sur les tablettes en magasin). M. Bouchard souscrit également à un usage restreint des antibiotiques et à la disparition, à terme, des hormones de croissance. "Plus de la moitié des antibiotiques dans les élevages sont utilisés non pas comme médicaments, mais comme stimulants de croissance. Le plus grand danger est de provoquer une résistance généralisée aux antibiotiques."
De son côté, M. Pellerin clame son ignorance pour ce qui est du pourcentage exact de porcs et de boeufs auxquels on injecte des antibiotiques et des hormones de croissance, même s’il reconnaît que c’est une pratique "assez répandue". Il demeure tout aussi discret sur la question des risques pour la santé liés à l’utilisation de ces intrants ou des OGM. "Aujourd’hui, la problématique mérite d’être étudiée. Quand on aura un panel d’experts internationaux qui nous diront qu’on doit prendre plus de précautions sur l’utilisation de ces produits, on va se ranger à leur avis."
Trancher le débat
L’UP souhaite négocier les conditions afin de devenir un interlocuteur reconnu du gouvernement pour assurer aux citoyens un choix dans la représentation. Or, en vertu de la Loi de 1972 sur les producteurs agricoles, l’UPA est la seule organisation accréditée pour représenter les agriculteurs. "Les dirigeants de la Fédération des producteurs de Chaudière-Appalaches, qui sont des gens de l’UPA, ont fait une enquête auprès de leurs membres, et ce que nous réclamons, c’est exactement ce qu’ils veulent", lance M. Bouchard. Cela n’empêche pas M. Pellerin de rejeter d’emblée la reconnaissance de l’UP, rappelant que 92 % des agriculteurs sont membres de l’UPA. Parler d’une seule voix est essentiel, à son avis, pour faire contrepoids aux multinationales et faire pression sur le gouvernement. "En France [où il n’y a pas de monopole syndical], il y a 800 000 agriculteurs, au Québec il y en a 45 000, c’est une autre réalité."
M. Bouchard admet s’être inspiré du succès de la Confédération paysanne, un syndicat reconnu en France. "Mais on n’est pas une succursale pour Bové qui va aller démolir des McDo. Il ne faut pas exclure de moyens en partant, mais on est un groupe démocratique qui privilégie un style d’action citoyen, ayant le droit d’intervenir. Il faut expliquer au monde comment ça se passe dans la culture industrielle et comment on fait tout pour exterminer les petits producteurs qui produisent la bouffe la plus originale. Au bout du compte, c’est l’opinion publique qui pourra faire changer les choses."