![Michel Vastel : Comme un roman](https://voir.ca/voir-content/uploads/medias/2011/11/11300_1;1920x768.jpg)
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Michel Vastel : Comme un roman
C’est un travail de défricheur que MICHEL VASTEL a effectué quand il s’est lancé dans la biographie de Bernard Landry; rien de semblable sur l’homme n’avait été fait auparavant et M. Vastel lui-même n’était pas certain que son sujet valait aussi tôt un détour biographique.
Éric-Olivier Dallard
Il ne doute plus, maintenant, Michel Vastel, que Bernard Landry valait le détour: Bernard Landry – Le Grand Dérangeant compte plus de pages que la biographie de M. Trudeau, par le même auteur, et le biographe s’est manifestement passionné pour son nouveau sujet, pourtant moins flamboyant que le précédent. Et cette brique se lit comme un roman.
C’est que le "coq tapageur", comme le surnommait Lise Payette, a la carrure d’un personnage de roman: déterminé, avec des failles qui sont aussi des forces et des forces qui sont enfin des failles. Mais surtout, une vocation… un personnage de roman, dis-je… un personnage sinon digne d’estime, certainement digne d’intérêt.
Trois mois de travail, cinq entrevues dominicales, à Verchères, avec le principal intéressé, de nombreux témoignages d’amis présents et anciens, de la famille, des documents d’archives (les textes qu’il publiait dans les journaux étudiants sont éloquents)… Michel Vastel a mené un travail d’enquêteur qui lui permet, aujourd’hui, de parler de Bernard Landry comme d’un intime, avec le recul d’un journaliste.
Formé à "servir autrui" de par son éducation, Bernard Landry trouve dans la politique le "service aux autres" qui lui convenait: "C’est d’abord quelqu’un de très dévoué à la cause et à son parti, souligne M. Vastel en entrevue. Cela reste sa principale motivation… et sa motivation est aussi de réussir là où tout le monde a échoué." Pascale Landry, la plus jeune de ses filles, le constate d’ailleurs: Landry n’est pas Bouchard… lui, il va essayer autre chose et pourra dire "J’ai essayé".
Bernard Landry est-il un homme qui doute? "Sûrement. Il a tardé à adhérer à la cause souverainiste, il ne fait pas partie des membres fondateurs du Parti québécois, rappelle Michel Vastel. C’est sur le tard, en 1969, qu’il en joint les rangs. Aujourd’hui, je ne dirais pas qu’il doute, mais il évolue avec son temps, il modernise son projet, parlant de confédération, par exemple."
Un homme déterminé, donc. Avec une stature et un arrière-plan intellectuel dont on ne peut douter. Mais un homme impétueux aussi, on ne peut faire l’impasse là-dessus. Michel Vastel rapporte d’ailleurs ce propos de la mère de M. Landry, selon lequel elle craint que son fils ne "grimpe dans les rideaux, qu’il dise des choses qu’il regretterait". Pour Michel Vastel, c’est le grand défaut de l’homme d’État: "Il a toujours été comme cela. Il y a des moments où il ne se contrôle pas… et c’est pour lui une tragédie. Cet aspect de sa personnalité lui fait d’ailleurs un tort considérable."
Marques d’estime
Les anecdotes et les citations rapportées laissent découvrir aussi un homme (trop?) sûr de lui. C’est qu’il est souvent content de lui, "le grand vizir", tel que L’Actualité l’avait (fort étrangement d’ailleurs) surnommé en avril 1997. Sur les frères de Saint-Gabriel et sur les clercs de Saint-Viateur, il dit sans tiquer: "Ils cultivaient des leaders, et ils m’ont cultivé." Ne s’autorisant pas à sacrer, au collège, il crée le juron "taberlue" (qui lui vaudra d’ailleurs, durant ces années, le surnom de "Berlue"): "Il fallait bien atténuer nos sacres, commente-t-il, et je trouvais "taberlue" fort ingénieux." Plus enfantin encore, Bernard Landry raconte à Michel Vastel, évoquant la période de 1996 à 2000: "Parizeau a commencé à me regarder de travers quand il a lu à cinq ou six reprises que "Landry est le plus grand ministre des Finances depuis la Révolution tranquille". À ce moment-là, Jacques Parizeau a dû se sentir comme Maurice Richard qui voit Wayne Gretzky passer devant lui!" La métaphore sportive n’est ni sportive ni délicate! "Bernard Landry est très conscient de sa valeur, commente Michel Vastel. Mais en même temps, ça le gêne un peu. Quand il se rend compte qu’il ne passe pas dans la population, qu’il échoue, qu’il n’est pas charismatique, il se demande si c’est parce qu’il a étudié à Paris ou parce qu’il parle trop bien. Il sait qu’il n’est pas un populiste et qu’il passe moins bien comme politicien que d’autres."
Un autre trait de caractère de Bernard Landry, que l’on ne retrouve pas comme tel dans la biographie, est qu’il "n’écoute pas", selon M. Vastel: "Il veut toujours faire comprendre, mais il n’écoute pas les objections des autres. C’est un problème." Mais s’il y a une faille dans le parcours du premier ministre, "c’est qu’il a été trop loyal au Parti québécois. Il doit prendre congé de ce parti, trop sectaire, qui ne rallie pas assez la population québécoise, et qui devient pour lui un handicap. Bernard Landry doit s’extirpé de cela, croit Michel Vastel, et aller chercher beaucoup plus loin."
Comment éviter le piège de la propagande facile, comme l’évite si bien Michel Vastel? "Il faut garder une saine distance, un humour, un scepticisme à l’occasion. Il ne faut pas hésiter à relever les critiques qui se justifient. Il faut savoir être critique, remettre en question, etc. Nous, chroniqueurs, sommes d’ailleurs des sceptiques professionnels!" Et cela donne un ouvrage sympathique, mais non partisan.
"Il sait déjà que sa place dans l’Histoire sera celle du premier à avoir réussi. Ou du dernier à avoir essayé", écrit Michel Vastel dans Bernard Landry – Le Grand Dérangeant: "C’est son défi actuel, commente-t-il. Le Parti québécois ne survivrait pas à un échec retentissant de Landry. Et s’il y a un échec, il sera nécessairement retentissant."
Bernard Landry – Le Grand Dérangeant
de Michel Vastel
Les Éditions de l’Homme
2001, 438 pages