Société

Parlons spores

Maintenant que le premier touriste qui reçoit par erreur le catalogue Simpson Sears n’appelle plus la police. Maintenant que les petits hommes en jaune suivis de 10 caméras ont cessé de se précipiter en groupe sur la première enveloppe étrange. Maintenant que la poussière est un peu retombé sur la menace de l’anthrax, parlons un peu de l’étrange carrière de ce terrifiant bacille dans le monde du spore. Une histoire que certains de nos voisins américains n’aiment pas trop raconter…

Connaissez-vous l’unité 731? Non?

Il s’agissait du matricule de l’unité spéciale de l’armée japonaise qui travaillait au développement d’armes biologiques durant la Deuxième Guerre mondiale.

Grands pionniers dans la culture de l’anthrax à des fins militaires, les Japonais furent les premiers et les seuls à utiliser leur découverte sur des populations civiles, en l’occurrence les Chinois, qu’ils projetaient d’exterminer par millions dès qu’une accalmie sur le front du Pacifique le leur permettrait. Le sort en décida autrement et lorsque le Japon rendit les armes en 1945, il n’avait pas encore eu le temps de zigouiller tous ces petits Chinois.

Au lendemain de la capitulation, les forces d’occupation américaines dirigées par MacArthur firent des pieds et des mains pour mettre la main sur les données scientifiques des chercheurs de l’unité 731, dispersés à travers toute l’île. En échange de renseignements techniques sur l’anthrax, l’Amérique offrit l’immunité aux dirigeants de 731 que d’autres voulaient traduire en cour pour crime contre l’humanité.

C’est ainsi que la recette secrète de l’anthrax fit son entrée en Amérique vers 1950.

Perfectionnistes comme on les connaît, nos voisins se mirent immédiatement au travail afin d’améliorer le produit. En quelques mois et au prix de pas mal d’animaux morts, on en vint à établir que, si la dose mortelle pour un cochon d’Inde était de 100 spores dans 100 litres d’air, de 500 pour un chimpanzé, la dose fatale pour un être humain tournait autour de 600 spores.

Puisque c’était le but, on en vint à fabriquer des bombes de quatre livres bourrées d’anthrax, capables en théorie de faire autant de victimes qu’une petite bombe atomique.

Le potentiel du projet ainsi que la qualité de dispersion du bacille amélioré furent testés à large échelle sur des îles du Pacifique. Les résultats des tests sont demeurés secrets jusqu’à ce jour. Mais 400 bombes furent stockées dans l’arsenal américain.

On enroba ensuite les spores américains d’un silicone synthétique qui leur permettait de flotter dans l’air plus longtemps.

En cas de conflit majeur, l’un des projets les plus déments du gouvernement américain consistait à saupoudrer d’anthrax la périphérie d’une ville atomisée dans son centre afin de liquider les populations fuyant en masse les radiations.

On envisagea même un temps de se servir de l’anthrax contre Cuba. Puis, s’inquiétant de la propagation d’une technologie peu coûteuse de destruction de masse, Richard Nixon, dans les années 60, décréta que la recherche sur les armes biologiques ne servirait plus qu’à la défense. On n’effaça pas les stocks de cette petite bestiole bien trop efficace. Mais 400 scientifiques furent mis à pied…

Trop tard! L’Amérique (Canada inclus puisque des recherches furent menées au milieu du Saint-Laurent) fut incapable de stopper ce qu’elle avait amorcé. En 75, 5000 Soviétiques travaillaient sur l’anthrax. Leurs missiles intercontinentaux braqués sur l’Occident en contenaient des dizaines de kilos… Maintenant? Nul ne sait… Probablement encore… puisque les Russes disposent, comme ils l’ont annoncé, d’un super vaccin récent.

Lorsque le bacille a frappé chez médias et sénateurs, nul doute qu’on a dû ressortir de leur retraite les spécialistes séniles et les vieux scientifiques fous. Rechercher dans le cahier de famille de belles images jaunies de la bestiole. Ou tout simplement rechercher dans un laboratoire militaire une similitude entre deux souches que l’on affirme… domestiques. Puisque l’anthrax qui a tué quelques Américains est, comble de l’ironie, d’origine américaine.

À Washington, on peut bien feindre la stupeur, ne reconnaître qu’à moitié cette vague relation de la famille dont on connaît le passé gênant. L’ Amérique a retrouvé un vieil ami, un monstre qu’elle a dégueulassement élevé en son sein.